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De nos jours, la souveraineté appartient à l’or

De nos jours, la suzeraineté appartient à l’or. Ce métal met aux pieds de son possesseur toutes les forces, non seulement de la France, mais du monde.

Il avait sans doute un grand pouvoir dans les siècles qui précédèrent la Révolution, mais il trouvait une rivalité dans l’aristocratie qui maintes fois en eut raison. Aujourd’hui, l’or est presque passé à l’état de divinité, partout, il commande, partout, on l’adore.

Cette nouvelle puissance ne prend de celles qui l’ont précédée que les abus auxquels elles s’étaient laissées aller.

« Les hommes de la Révolution, dit M. de Vogue, ne doutaient point qu’ils eussent aboli tous les privilèges et assuré le règne de l’égalité. Dans l’empressement de leur optimisme, ils ne faisaient pas réflexion sur une loi de l’histoire : chaque fois qu’une société se débarrasse des anciennes distinctions, des anciens pouvoirs spirituel et temporel, un maître y demeure, inexpugnable celui-là, le plus dur et le plus subtil des maîtres, l’argent.

Il s’insinue dans les hautes places vacantes, il ramasse toute l’autorité arrachée à ses rivaux, il rétablit à son profit, sous d’autres formes, distinctions et privilèges. Tous lui obéissent, car il dispense seul tout ce qui fait le prix de la vie. »

L’aristocratie française dut sa grandeur à ce qui avait fait la grandeur des aristocraties anciennes : le dévouement des classes dirigeantes aux classes dirigées, l’attachement des classes dirigées aux classes dirigeantes, l’union des efforts pour le plus grand bien de tous. Chez nous, comme dans les anciennes civilisations, la décadence fut la suite naturelle de la séparation qui se fit entre la noblesse et le peuple, vivant chacun de leur côté, ne s’aimant plus, ne s’entraidant plus, ne se connaissant plus.

La noblesse avait déserté les campagnes pour aller se perdre à la cour des rois, y dépenser en plaisirs et en luxe l’argent que le travail des cultivateurs lui procurait.

« Peut-on demeurer attaché et affectionné, demande M. de Tocqueville, à des gens qui ne vous sont rien par les liens de la nature et que l’on ne voit plus jamais ? C’est surtout dans les temps de disette qu’on s’aperçoit que les liens de patronage et de dépendance, qui reliaient autrefois le propriétaire rural aux paysans, sont relâchés ou rompus.

Dans ces moments de crise, le gouvernement central s’effraie de son isolement et de sa faiblesse ; il voudrait faire renaître pour l’occasion les influences individuelles qu’il a détruites ; il les appelle à son aide : personne ne vient, et il s’étonne en trouvant morts les gens auxquels il a lui-même ôté la vie ».

Quelques années avant la Révolution, la noblesse voulut se rapprocher du peuple; il était trop tard.

Depuis un siècle, chaque classe avait cheminé à part, de son côté, grossissant, d’Age en Age, ses haines et ses préjugés contre la classe rivale qu’elle ne connaissait plus, qu’elle ne comprenait plus. On sait ce qu’il en advint. La société s’écroula dans les ruines et dans le sang.

Le comte de Chambord voulut persuader à ce qui reste d’aristocratie, de reprendre, autant que les circonstances le permettaient, son rôle providentiel.

« Je ne cesserai, disait-il, de recommander à tous ceux qui sont restés fidèles à notre cause, d’habiter le plus possible leurs terres, et de donner l’exemple de toutes les améliorations possibles. C’est le vrai et seul moyen de détruire les préventions injustes, et de rendre à la propriété foncière la part d’influence qui lui appartient, et qu’il serait si utile qu’elle obtînt dans l’administration et la conduite des affaires du pays. »

Il félicitait ceux qui avaient « conservé, avec la foi de leurs pères, le culte du foyer et l’amour du sol natal. Les séductions révolutionnaires, disait-il, exercent surtout leurs ravages chez les populations délaissées par leurs protecteurs naturels. De rapides apparitions ne remplaceront jamais l’affection dans les rapports, le désintéressement dans les services, la suite dans les conseils ».

Il ne fut point écouté autant qu’il aurait dû l’être. La bourgeoisie avait pris dans la société la place de la noblesse. Sut-elle, sait-elle les devoirs que cette situation lui impose ? Les traditions de patronage d’une part, de discipline de l’autre, créées par les anciennes corporations, se maintinrent quelque temps encore après la Révolution dans la petite industrie.

Le Play parle avec complaisance des ateliers qu’il voyait encore vers 1830, sur le modèle de ceux d’autrefois.

« Avant 1830, écrit-il, les ateliers parisiens portaient déjà la trace des idées subversives et des sentiments de haine que les révolutions antérieures avaient fait naître. J’ai cependant pu observer alors des institutions et des mœurs qui ne le cédaient en rien à ce que j’ai trouvé de plus parfait, pendant trente années, dans le reste de l’Europe : le patron et sa femme connaissant, dans tous ses détails, la vie domestique de leurs ouvriers, et ceux-ci se préoccupant sans cesse de la prospérité commune.

La solidarité et l’harmonie apparaissaient dans tous les rapports du patron et de l’ouvrier. En 1867, à une époque où je disposais de nombreux moyens d’information, il était directeur de l’Exposition universelle, j’ai vainement cherché, dans les anciens ateliers agrandis et enrichis, quelques vestiges de ces touchantes relations. J’ai surtout constaté l’absence de l’affection et du respect ».

La raison en est indiquée en ces termes par M. Th. Funck-Brentano, dans La politique :

« Ceux qui, issus des classes moyennes, arrivent rapidement à la richesse et aux honneurs, s’ils ont trouvé en eux les ressources pour y parvenir, n’ont pas toujours acquis, pour cela, ce que la tradition seule et l’éducation développent : les qualités nécessaires à l’exercice de leurs nouvelles fonctions sociales.

Elevés dans les privations, ils ont des besoins insatiables comme leur ambition et leur égoïsme : gagner encore, parvenir plus loin ! Ceux qui dépendent d’eux, ouvriers ou employés, restent les marche-pieds de leur fortune ou les victimes de leurs ambitions.

Enfin, comme ils n’ont pas reçu par éducation, nous dirions presque par apprentissage, les qualités morales propres à leur situation élevée, on les voit de moins en moins délicats dans le choix des moyens ; leur moralité s’altère ainsi que leur caractère et ils ne valent plus (pic par leur instinct des affaires ou par leur esprit d’intrigue).

Dans la génération suivante le mal s’accuse. Les enfants ne peuvent recevoir de leurs parents une éducation qu’eux-mêmes n’ont pas eue ; mais par un effet de la richesse ou de la position que leurs parents ont acquise, les enfants ne cherchent que la satisfaction de leurs goûts, de leurs plaisirs.

Les caractères se dégradent, et souvent la troisième ou quatrième génération finit à l’hôpital ou dans une maison de santé, tandis que de nouvelles familles, parvenues de même, remplacent les premières. »

Sur tous les points de la France, il serait facile de mettre des noms sous chacun des traits de ce tableau. Il n’en pouvait guère être autrement. La richesse, qui prend sa source dans la terre, y trouve des bornes à son ambition : celle qui provient de l’industrie, du commerce, de la banque, n’en connaît pas ; devenue millionnaire, elle aspire à être milliardaire, et l’on sait qu’elle arrive à l’être plusieurs et plusieurs fois.

C’est là tout son but, et, pour l’atteindre, elle exploite l’homme comme elle exploite la matière, au lieu de l’aimer et de le servir. L’homme s’efface aux yeux du capitalisme, il n’est plus qu’un moyen aux mains de ceux dont toutes les facultés sont tournées vers le but qu’ils poursuivent : la fortune. La Révolution avait proclamé l’égalité de tous. Mais, observe M. le Play, en rendant théoriquement l’ouvrier l’égal du maître, le maître était dispensé envers lui de l’obligation morale d’assistance et de protection.

Elle avait proclamé la liberté du travail. La bourgeoisie, riche d’expérience, de ressources, de capitaux, pouvait travailler ou ne pas travailler à sa guise ; mais l’ouvrier restait rivé à la nécessité implacable du labeur quotidien.

Avec les privilèges de la noblesse, la Révolution avait jeté au rebut les privilèges des ouvriers, c’est-à-dire les règlements et les coutumes qui dans la corporation les protégeaient. La bourgeoisie ne voyant plus d’entraves à la cupidité si naturelle à l’homme, traita l’ouvrier comme un outil, dont on tire tout ce que l’on peut, sans plus d’égards à sa santé qu’à sa moralité.

Elle le fit sans être arrêtée par les conditions économiques, qui autrefois s’y seraient opposées. A l’absence de frein se joint l’absence de scrupules. La continuité du travail et de l’épargne, durant nombre de générations, transmet à chacune d’elles les vertus qui ont commencé la prospérité de la famille.

Mais ces traditions ne se forment point dans les familles qui, s’occupant d’industrie, de commerce, de banque, arrivent rapidement aux sommets, par des coups heureux. On les voit donc, comme vient de l’observer M. Th. Funck-Brentano, généralement parlant, et sauf les exceptions que la vertu du christianisme peut produire, peu désintéressées, peu sensibles à l’honneur, peu portées aux nobles pensées qu’inspirent la foi et la charité chrétienne ; et, par suite, plus habiles dans leurs affaires que dévouées au bien, et aspirant à pouvoir se livrer de plus en plus au bien-être, au luxe, aux plaisirs que l’argent permet de se procurer.

Dans ces conditions, les bonnes relations sociales avec ceux dont le travail a servi à les élever et continue à les maintenir dans leur position ou à les y faire grandir, sont bien rares et bien faibles, pour ne point dire nulles. Elles le sont encore pour un autre motif. Poussés par le désir de s’enrichir toujours davantage, les grands industriels multiplient leurs usines ou les développent dans d’immenses proportions.

Ils appellent par là, autour d’eux, des populations de plus en plus nombreuses. Le contact des patrons avec les ouvriers devient presque impossible : entre eux se trouvent les maîtres et les contremaîtres, et au-dessus d’eux tous les actionnaires, car ces grandes entreprises ne peuvent aller sans de grands capitaux tirés de nombreuses bourses.

Peut-il être question de patronage et surtout de paternité de la part de ceux-ci, de ces hommes dont les coupons gisent au fond d’un coffre-fort, et qui ne connaissent d’aucune façon les travailleurs dont le labeur fait la valeur de leurs papiers ? Par toutes ces raisons, le bourgeois opulent a fini par vivre aussi à part du peuple que le gentilhomme des derniers temps.

Il aura nécessairement le même sort. On peut même dire un sort pire : car à toutes les époques et chez tous les peuples, la chute de l’aristocratie financière, industrielle et commerciale, a été accompagnée de désordres plus violents et plus sanglants que n’en a amené la supplantation de l’aristocratie féodale par l’aristocratie foncière

En Grèce, en Italie, en France, l’aristocratie féodale, reposant sur des sentiments profondément enracinés dans les âmes, se maintint de longs siècles. L’homme s’incline sans répugnance devant ce qu’il croit être le droit, ou que ses opinions lui montrent comme étant fort au-dessus de lui.

Moins longtemps dura la noblesse foncière, parce qu’elle était moins solide. Elle l’était encore beaucoup parce qu’elle aussi reposait sur l’opinion. Ces grandes propriétés étaient depuis longtemps dans la possession des familles, elles en constituaient le patrimoine, elles en portaient le nom, elles semblaient inhérentes aux familles elles-mêmes.

De génération en génération, les travailleurs avaient vu transmis de père en fils le domaine sur lequel ils vivaient. Il fallut l’oubli des devoirs qu’il imposait, pour que la pensée pût venir de les en dépouiller. L’aristocratie d’argent n’eut point chez les anciens peuples si longue durée. La poussée rapide des fortunes acquises par l’industrie, le commerce et la spéculation ne les recommande point au respect des peuples, non plus que leur instabilité ; moins encore la source impure où plusieurs sont puisées.

Enfin, l’inégalité des conditions qu’elles créent dans la même classe, déchaîne les convoitises et les appétits. Généralement parlant, le bourgeois fait peu pour les apaiser, il ne cherche point à se rapprocher de la classe inférieure, à en connaître les aspirations et les besoins ; il fuit le contact de ses misères, loin de s’unir à elle, pour chercher à en adoucir les souffrances, à écarter le vice, à restreindre la pauvreté.

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Assurément, dans ces derniers temps, un certain nombre de patrons ont prêté l’oreille à la voix de l’humanité et de la religion et fait de grands sacrifices pour l’amélioration de la condition physique et morale de leurs ouvriers. Il se trouve même des actionnaires, qui dans les assemblées prennent à cœur et en mains leurs intérêts.

Toutefois, ce ne sont encore que des exceptions.

Source : L’esprit familial dans la maison – Mgr Henri Delassus – 1910