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Les Rois fainéants et insensés, un mythe calomniateur

De tous les différents États qui se formèrent des débris de l’empire romain vers le commencement du Ve siècle de l’ère chrétienne, il n’y en eut point qui s’éleva à un si haut degré de puissance, et si promptement que la monarchie française.

Clodion, Mérovée, Childéric, Clovis et les rois, ses enfants et ses successeurs, s’emparèrent en moins d’un siècle de toutes les Gaules ; ils en chassèrent les Romains, les Visigoths et les Bourguignons. Tout ploya sous l’effort et la rapidité de leurs armes.

Clovis étendit sa domination en Allemagne jusqu’aux Alpes Rhétiques, et les rois, ses enfants et ses successeurs, ne songèrent à conserver les États qu’il leur avait laissés que par de nouvelles conquêtes. Ils partagèrent une si vaste monarchie en différents royaumes, mais cependant qui ne formaient qu’un même État, et plusieurs fois ces royaumes se trouvèrent réunis sous le sceptre du même souverain.

Ainsi, Clotaire Ier, Clotaire II et Dagobert Ier possédèrent seuls et sans partage toute la monarchie française. Dagobert Ier laissa deux princes qui lui succédèrent : Sigebert III et Clovis II. Sigebert avait été reconnu, du vivant du roi son père, pour souverain de l’Austrasie, et Clovis, à l’âge de quatre ans, lui succéda aux royaumes de Neustrie et de Bourgogne, vers l’an 638.

Clovis II est regardé par un grand nombre d’historiens comme le chef de cette série de rois qu’on a injustement flétris du nom odieux de fainéants et d‘insensés: série de princes qui occupa le trône depuis 638, époque de l’avènement de Clovis II, jusqu’à 750, temps où Childéric III dut abandonner le sceptre à Pépin, père de Charlemagne.

Clovis II est le premier roi que les chroniqueurs, et, après eux, la foule des historiens, ont taxé de démence. Le moine anonyme de Saint-Denys, auteur des Gesta Dagoberli, qui écrivait vers la fin du VIIIe siècle, c’est- à-dire plus de cent ans après l’événement qu’il raconte, rapporte la cause de la folie de Clovis II à une dévotion indiscrète.

Laissons parler le chroniqueur lui-même :

« Le roi Clovis, par un coup du sort, dans les dernières années de sa vie (651), vint un jour comme pour prier dans l’église des Saints-Martyrs (Denys, Rustique et Eleuthère) et voulant avoir en sa possession leurs reliques, il fit découvrir leur sépulcre. A la vue du corps du bienheureux et excellent martyr Denys, et plus avide que pieux, il lui cassa l’os du bras, l’emporta, et, frappé soudain, tomba en démence.

Le Saint lieu fut aussitôt couvert de ténèbres si profondes, et il s’y répandit une telle terreur, que tous les assistants, saisis d’épouvante, ne songèrent qu’à prendre la fuite. Le roi Clovis, pour recouvrer le sens, donna ensuite à la Basilique plusieurs domaines, fit garnir d’or et de pierres précieuses l’os qu’il avait détaché du corps du saint, et le replaça dans le tombeau. Il lui revint quelque peu de raison ; mais il ne la recouvra jamais tout entière, et perdit au bout de deux ans son royaume et la vie. »

Telle est l’anecdote qui termine les Gesta Dagoberti. Mais, plus haut, voici ce qu’il raconte :

« La quatorzième année de son règne 652, d’après l’avis de quelques hommes, et parce qu’une grande famine se faisait alors sentir, il ordonna qu’on enlevât la couverture de la voûte sous laquelle reposaient les corps de Saint Denys et de ses compagnons ; et que la piété du roi son père (Dagobert Ier) avait fait garnir en dehors de pur argent. C’était, disait-on, pour venir au secours des pauvres, affamés et des pèlerins. Clovis ordonna à l’abbé Aegulf, qui gouvernait alors ce monastère, d’exécuter cette œuvre fidèlement et avec la crainte de Dieu. »

Quoique, comme nous l’apprend Aimoin, auteur du Xe siècle, on eût remis par ordre de Clovis II, à l’abbé Aegulf, le prix des lames d’argent précitées, pour qu’il le distribuât lui-même aux pauvres, cependant les moines de Saint-Denys ne purent pardonner à ce prince une charité qu’il exerçait à leurs dépens et qui pouvait tirer à conséquent.

« En ce temps, dit Jean du Tillet, y eut très-grande famine en France, pour obvier à laquelle Clovis arracha, et ôta l’or et l’argent, duquel Dagobert avait fait somptueusement et magnifiquement décorer l’église de Saint-Denis, et humainement le distribue aux pauvres ; il enlève aussi le trésor qui était (existait), et châsses et coffrets, et rompt le bras de saint Denis et l’emporte ; pour lequel acte, on dit que, par vengeance divine, il devint enragé et hors du sens tout le reste de sa vie.

Certainement, si pour subvenir aux pauvres et indigents, il a ce fait, il a sagement fait, et en homme de bien, nonobstant qu’ils aient mis en avant qu’il était fou, craignant que par ci-après les princes ne prissent cet exemple pour eux, quand ils auraient besoin de prendre les biens de l’Église pour aider aux pauvres, et non-seulement pour les pauvres, mais aussi pour eux-mêmes. »

Ainsi s’exprimait, au XVIe siècle, un vénérable prélat, Jean du Tillet, évêque de Meaux. Nous voyons, pour ne citer qu’un exemple, le chapitre de Notre-Dame de Paris, donner à Louis XV les magnifiques chandeliers d’argent massif du maître-autel de cette Cathédrale, pour subvenir aux pressants besoins de l’État.

Il est très-vraisemblable que les moines, presque les seuls historiens de ces temps-là, trouvèrent à propos d’épouvanter les successeurs de Clovis II, par l’exemple d’un châtiment si redoutable. C’est ainsi qu’un chroniqueur traita la mémoire de Charles Martel, auquel l’Eglise de France devait la conservation de la religion et de ses autels, contre les entreprises des Sarrasins.

Ce grand homme ayant pris les biens de l’Église pour se mettre en état de résister à trois cent mille Sarrasins ou Arabes, qui voulaient conquérir et asservir la France, nos évêques, dans une lettre qu’ils adressèrent depuis à Louis, roi de Germanie, en 858, rapportèrent à ce prince qu’Eucherius, évêque d’Orléans, avait eu révélation depuis la mort de Charles Martel, que ce personnage illustre était damné pour avoir pris les biens de l’Église ; que Boniface, l’apôtre de l’Allemagne, Fulrard, abbé de Saint-Denys et chapelain du roi Pépin, fils de Charles Martel, ayant fait ouvrir son tombeau, à la prière d’Eucherius, on n’y trouva qu’un dragon affreux, qui s’envola dans un tourbillon d’une fumée épaisse.

Il est bon de remarquer, que Charles Martel, à son retour de la défaite des Sarrasins, exila Eucherius et sa famille, vers l’année 732, que cet évêque mourut la sixième année de son exil, que Charles Martel vécut encore trois ans, d’autres disent dix ans, n’étant mort que le 2 octobre 741, et ainsi qu’Eucherius n’avait pas pu avoir de révélation de la damnation d’un prince plein de vie, qui lui avait survécu plusieurs années.

Nous n’avons rapporté cet exemple, que pour faire voir combien il est dangereux de croire aveuglément nos anciens historiens. Nous ne pouvons mieux, du reste, justifier la mémoire de Clovis II, que par l’exposé de la conduite habile et pleine de fermeté que ce prince tint après la mort de Sigebert, son frère aîné, roi d’Austrasie, et depuis sa prétendue démence, qu’on place vers la seizième çinnée de son règne (654).

Sigebert n’avait laissé qu’un fils appelé Dagobert. Grimoald, maire du palais d’Austrasie, fils du vieux Pépin, et le premier qui eût succédé à son père dans une si grande dignité, plaça son fils Childebert sur le trône d’Austrasie, au préjudice du jeune Dagobert, qu’il avait fait transporter furtivement en Irlande. La reine, sa mère, se réfugia auprès de Clovis II, qui la prit sous sa protection, et ayant fait arrêter l’usurpateur et son fils, il fit couper la tête au père, et sans doute le fils eut le même sort. Acte souverain de sa justice, et qui prouve en même temps son autorité et l’habileté qu’il avait employée pour se rendre maître de la personne de ces tyrans.

Saint Ouen, dans la Vie de saint Eloi, son ami, nous assure que ce prince religieux vécut dans une parfaite union avec la reine Bathilde, sa femme. Cet historien contemporain ne lui reproche aucun égarement d’esprit. Aimoin loue son ardente charité, vertu dont son père, le roi Dagohert, lui avait légué l’amour. Aimoin résume toute la vie et tout le règne de Clovis II en trois mots, et l’appelle un « prince agréable à Dieu. » Deo amabilis princeps.

Helgaud nous le représente comme « un prince illustre, plein de justice, et resplendissant par sa piété. » Clodovaeus inclitus successit regno justitiœ et pietatis amictus ornamento.

L’abbé Liodebaud, sujet et contemporain de Clovis II, parlant d’un échange qu’il fit avec ce roi au sujet de l’établissement du monastère de Fleury, près d’Orléans, dit :

« Le roi Clovis, seigneur glorieux et très-élevé, »

Mais, sans nous arrêter à ces témoignages puissants, qu’il nous serait facile de multiplier, passons aux rois de la première race, dite des Mérovingiens, que des historiens plus célèbres que l’auteur des Gesta Dagoberti ont traités d’insensés. Tâchons de démêler par quel motif ils en ont parlé si indignement.

Les deux premiers sont le moine d’Angoulême, dans la Vie de Charlemagne, et Eginbard, secrétaire de ce prince, qui semblent s’être copiés, quoiqu’on ne sache pas bien lequel des deux est l’original.

« Nourri par ce monarque (dit Eginbard, en parlant de Charlemagne), du moment où je commençai d’être admis à sa cour, j’ai vécu avec lui et ses enfants dans une amitié constante qui m’a imposé envers lui, après sa mort comme pendant sa vie, tous les liens de la reconnaissance ; on serait donc autorisé à me croire et à me déclarer bien justement ingrat, si, ne gardant aucun souvenir des bienfaits accumulés sur moi, je ne disais pas un mot des hautes et magnifiques actions d’un prince qui s’est acquis tant de droits à ma gratitude ; et si je consentais que sa vie restât comme s’il n’eût jamais existé, sans un souvenir écrit, et sans le tribut d’éloges qui lui est dû. »

C’est donc la reconnaissance qui fît prendre la plume à Eginbard, et quoiqu’un sentiment si louable ne soit pas incompatible avec cette vérité exacte et scrupuleuse qu’exige l’histoire, ce que nous allons rapporter, tiré de son ouvrage, nous fera voir qu’il a moins songé à écrire une biographie qu’à faire un éloge, et qu’il s’est surtout attaché à élever la race Carolingienne aux dépens de celle des Mérovingiens.

On sait que Pépin, père de Charlemagne, le héros d’Éginbard, avait détrôné son souverain, et lui avait enlevé sa couronne. Eginbard glisse d’abord sur un endroit si délicat, et pour diminuer ce qu’une pareille entreprise pourrait avoir d’odieux, voici ce qu’il dit en propres termes :

« La famille des Mérovingiens, dans laquelle les Francs avaient coutume de choisir des rois, passe pour avoir duré jusqu’à Childéric, déposé, rasé et confiné dans un monastère par l’ordre du pontife romain Étienne. On peut bien, il est vrai, la regarder comme n’ayant fini qu’en ce prince ; mais depuis longtemps déjà, elle ne faisait preuve d’aucune vigueur et ne montrait en elle-même rien d’illustre, si ce n’est le vain titre de roi.

Les trésors et les forces du royaume étaient passés aux mains des préfets du palais, qu’on appelait maires du palais, et à qui appartenait réellement le souverain pouvoir. Le prince était réduit à se contenter de porter le nom de roi, d’avoir les cheveux flottants et la barbe longue, de s’asseoir sur le trône et de représenter l’image du monarque. Il donnait audience aux ambassadeurs, de quelque lieu qu’ils vinssent, et leur faisait, à leur départ, comme de sa pleine puissance, les réponses qui lui étaient enseignées ou plutôt commandées.

À l’exception du vain nom de roi et d’une pension alimentaire mal assurée, et que lui réglait le préfet du palais selon son bon plaisir, il ne possédait en propre qu’une seule maison de campagne, d’un fort modique revenu, et c’est là qu’il tenait sa cour, composée d’un très-petit nombre de domestiques chargés du service le plus indispensable et soumis à ses ordres.

S’il fallait qu’il allât quelque part, il voyageait monté sur un chariot traîné par des bœufs et qu’un bouvier conduisait à la manière des paysans ; c’est ainsi qu’il avait coutume de se rendre au palais et à l’assemblée générale de la nation qui se réunissait une fois chaque année pour les besoins du royaume ; c’est encore ainsi qu’il retournait d’ordinaire chez lui.

Mais l’administration de l’État et tout ce qui devait se régler et se faire au dedans comme au dehors étaient remis aux soins du préfet du palais. »

Le moine d’Angoulême, autre biographe de Charlemagne, n’a point eu honte de dire, pour faire sa cour à la maison dominante, que les derniers rois du sang de Clovis étaient tous fous et insensés, père, enfants, cousins. La démence, à en croire cet historien passionné, était également héréditaire dans la ligne directe et dans la collatérale.

Les chroniqueurs grecs, trompés par nos annalistes, ont ajouté de nouvelles fables, et encore plus extravagantes, à celles-ci, Cedrenus, écrivain du XIe siècle, et Théophanies, son prédécesseur, prétendent que tous nos rois avaient l’épine dorsale couverte et hérissée d’un poil de sanglier.

Mais, pour en revenir à Éginbard, dans quel historien contemporain, lui, qui n’écrivait que dans le IXe siècle, et après la mort de Charlemagne, a-t-il pris tout ce qu’il dit de ce chariot, conduit seulement par un bouvier ? en a-t-il trouvé un seul exemple dans toute l’histoire de la première race, et comment a-t-il pu être instruit si exactement de l’escorte et des seigneurs qui accompagnaient nos rois, avant le règne de Charlemagne et de Pépin le Bref, lui qui avoue qu’il n’a pu rien apprendre de la jeunesse et de l’éducation du prince dont il a rédigé la biographie, parce qu’il n’en avait rien trouvé par écrit, et que ceux dont il aurait pu tirer des lumières étaient tous morts ?

Éginbard ne trouve personne qui l’instruise des premières années de Charlemagne et de l’éducation de ce prince, sous le règne duquel il avait vécu, et il veut que nous le croyions sur tout ce qu’il nous dit des mœurs et des coutumes des rois qui ont précédé Charlemagne, et qu’il fait conduire si indignement par un bouvier, pour les rendre plus méprisables.

Boileau, dans des vers heureux et imitatifs, a consacré le mensonge d’Éginbard, en faisant dire à la Mollesse :

Hélas! qu’est devenu ce temps, cet heureux temps,
Où les rois s’honoraient du nom de fainéants,
S’endormaient sur le trône, et me servant sans honte,
Laissaient leur sceptre aux mains ou d’un maire ou d’un comte ?
Aucun soin n’approchait de leur paisible cour,
Ou reposait la nuit, on dormait tout le jour.
Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines
Faisait taire des vents les bruyantes haleines,
Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris le monarque indolent.
Ce doux siècle n’est plus…

Voilà comment le charme des vers perpétue l’erreur et le mensonge ! Pauvres débris de la race mérovingienne, ce n’était pas assez qu’on vous eût immolés à la gloire de Charlemagne : après plus de huit siècles, on vous sacrifiait de nouveau à la louange de Louis XlV !

On voit que Boileau, pour jeter du ridicule sur les derniers princes mérovingiens, leur reproche ce chariot traîné par des bœufs, comme une voiture inventée exprès pour entretenir leur mollesse et leur indolence. Mais, à supposer que nos rois se soient servis de ces chars, c’était, peut-être, la seule voilure usitée en ce temps-là, et qu’on appelait communément basterne, à cause des peuples de ce nom qui habitaient anciennement la Podolie, la Bessarabie, la Moldavie et la Valachie.

Grégoire de Tours, parlant de la reine Deuterie, femme du roi Théodebert, petit-fils de Clovis Ier, rapporte que cette princesse, craignant que le roi ne lui préférât une fille qu’elle avait eue d’un premier lit, la fit mettre une basterne, à laquelle on attacha, par son ordre, de jeunes bœufs qui n’avaient pas encore été mis sous le joug, et que ces animaux la précipitèrent dans la Meuse.

Et pour qu’on n’objecte pas que cette voiture était seulement réservée aux femmes ou à des hommes indolents, on peut voir dans les lettres de Symmaque que ce Préfet de Rome, écrivant aux fils de Nicomachus, les prie de tenir des basternes prêtes pour le voyage de leur frère.

Il y a toute apparence que les premiers Francs, dans le temps qu’ils demeuraient au-delà du Rhin, avaient emprunté cet usage des Cimmériens, qui habitaient les rives du Bosphore, avant qu’ils en eussent été chassés par les Gettes. Lucien, parlant, dans ses Dialogues, d’un roi des Scythes, nommé Toxaris, dit que ce prince n’était pas né du sang royal, mais qu’il sortait d’une famille honnête et riche, et de ceux qu’on appelait octopodes, parce qu’ils avaient, dit-il, le moyen d’entretenir un chariot et deux bœufs ; et Lucanor, dans le Traité de l’Amitié du même Lucien, demande à Arsacomas, qui recherchait sa fille en mariage, combien il avait de chariots et de bœufs à son usage.

Mais, dira-t-on, vous ne pouvez nier que ces princes, qui, selon Éginbard, n’en avaient plus que la naissance et le nom, ne parussent dans les assemblées générales de la nation, avec un cortège bien indigne de leur rang, puisqu’au rapport de cet historien, ils n’étaient escortés que par un bouvier.

Il est vrai que ce sont les termes d’Eginbard; mais nous avons déjà démontré que ce chroniqueur n’était ni contemporain, ni fondé sur aucune autorité d’écrivains contemporains, et il doit être justement suspect d’avoir voulu rendre méprisable une maison à laquelle la couronne venait d’être enlevée. Après tout, et quand ce qu’Éginbard rapporte de nos derniers rois de la première race serait vrai, la pauvreté de leur équipage ne prouve ni leur mollesse, ni leur fainéantise, et on n’en peut conclure au plus, sinon que la pompe et tout l’éclat qui doivent accompagner les rois dans des solennités publiques, étaient passés aux maires, qui avaient en même temps le commandement des armées et le gouvernement de l’État.

Nous dirons de plus que, comme l’origine de nos anciens usages a échappé à nos premiers historiens, nous ne savons si cette litière si humiliante (supposé que ce qu’en dit Éginbard soit vrai), et si ces bœufs et ce paysan qui les conduisait n’étaient point d’institution, et pour faire ressouvenir nos rois de leur origine et de la simplicité qui se trouvait dans les mœurs de ces temps si éloignés.

« On sait (écrivait Vertot, au siècle dernier) que parmi les Turcs, le sultan ou le grand seigneur est obligé, avant que de monter sur le trône, de conduire pendant quelques moments une charrue, et d’ouvrir quelques sillons de terre ; on prétend même que dans ce souverain degré de puissance ou il est élevé, il doit travailler de ses mains, et que sa table n’est servie que du prix de son travail. »

Si nous remontons à des siècles plus reculés et plus proches des temps dont nous parlons, nous trouverons que les habitants de la Garnie et de la Carinthie, peuples qui se disaient issus des anciens Francs, avaient une manière d’inauguration aussi humiliante que l’équipage qu’on reproche aux rois de la première race.

À l’égard de ce qu’Éginbard rapporte de l’usage où nos rois étaient de porter de longs cheveux, cela n’est contesté par personne. Agathias nous apprend qu’ils les portaient tressés et cordonnés avec des rubans ; en sorte qu’on peut dire que cette chevelure était comme un diadème, qui faisait reconnaître le roi et les princes de son sang.

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Mais, pour ce qui est de cette grande barbe qu’il leur attribue, avec laquelle il nous représente les derniers rois mérovingiens, cela paraît encore plus fabuleux que le chariot traîné par des bœufs. Que l’on consulte l’effigie de la plupart de nos rois de la première race qu’on trouve sur leurs monnaies, aucun de ces princes n’y est représenté avec cette barbe vénérable dont parle Éginhard.

La plupart sont rasés, et il n’y en a que deux ou trois dont la barbe paraît avoir trois semaines ou un mois, ou telle qu’on la rapporte d’un voyage ou d’une expédition, qui n’aurait pas permis de se faire raser. L’histoire est conforme sur ce point avec le métal, et Sidoine Apollinaire, qui vivait du temps de nos premiers rois, dit que les Francs se faisaient raser le visage, et qu’ils ne conservaient que de grandes moustaches, qu’ils relevaient avec le peigne.

Source : Erreurs et mensonges historiques – Charles Barthélemy – 1863