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Saint Dominique se rend à Toulouse, centre des hérésies

C’était donc à Toulouse, le foyer et le phare de toutes les erreurs, qu’il convenait à Saint Dominique de planter sa tente, quelle que fût la face des affaires. Les hommes de peu de foi attendent la paix, disent-ils, pour agir : l’apôtre sème dans la tempête pour recueillir dans le beau temps.

Il se souvient de la parole de son maître : « Vous entendrez des batailles et des bruits de batailles, prenez garde d’en être troublés. » Mais en persévérant dans sa mission malgré les terreurs de la guerre, Dominique comprit qu’il devait moins que jamais en altérer la physionomie pacifique et dévouée.

Quelque juste qu’il soit de tirer le glaive contre ceux qui oppriment la vérité par la violence, il est difficile que la vérité ne souffre pas de cette protection, et qu’on ne la rende pas complice des excès inséparables de tout conflit sanglant, l’épée ne s’arrête pas juste à la limite du droit ; il est de sa nature de rentrer malaisément dans le fourreau quand elle s’est une fois échauffée dans la main de l’homme.

Il faudrait des anges pour combattre en faveur de la justice, et encore l’esprit humain a des retours si prompts, que les oppresseurs vaincus pourraient ne pas désespérer de trouver un asile dans la partialité de la compassion. Il importait donc souverainement que Dominique restât fidèle au plan magnanime d’Azévèdo, et qu’à côté de la chevalerie armée pour défendre la liberté de l’Église, parût l’homme évangélique se fiant dans la seule force de la grâce et de la persuasion.

En Pologne, quand le prêtre récitait l’Évangile à l’autel, le chevalier tirait à moitié son épée, et écoulait dans cette posture militaire la douce parole du Christ. Voilà les vrais rapports de la cité du monde et de la cité de Dieu.

La cité de Dieu, représentée par le prêtre, parle, prie, bénit et s’offre en sacrifice ; la cité du monde, représentée par le chevalier, écoute en silence, unie à tous les actes du prêtre, et tient son épée attentive, non pour imposer la foi, mais pour en assurer la liberté.

Le prêtre et le chevalier remplissent dans le mystère du Christianisme deux fonctions qui ne doivent jamais se confondre, et dont la première doit toujours être plus visible que la seconde. Tandis que le prêtre chante tout haut l’Évangile à la face du peuple et à la lueur des cierges, le chevalier retient à moitié son épée dans le fourreau, parce que la miséricorde lui parle en même temps que la justice, et que l’Évangile même, pour lequel il se tient prêt, lui dit à l’oreille :

 » Bienheureux les hommes doux, car ils posséderont la terre.« 

Dominique et Montfort furent les deux héros de la guerre des Albigeois, l’un comme chevalier, l’autre comme prêtre. Nous avons vu la manière dont Montfort remplit sa tâche ; voyons comment Dominique accomplit la sienne. On aura remarqué sans doute qu’il n’est nommé nulle part dans les actes de cette guerre.

Il est absent des conciles, des conférences, des réconciliations, des sièges, des triomphes ; il n’est fait mention de lui dans aucune lettre allant à Rome ou venant de Rome. Nous ne l’avons rencontré qu’une fois, à Muret, priant dans une église au moment d’une bataille. Ce silence unanime des historiens est d’autant plus significatif qu’ils appartiennent à des écoles différentes, les uns religieux, les autres laïques ; les uns favorables aux croisés, les autres amis des Raymond.

Il n’est pas possible de croire que, si Dominique eût joué un rôle quelconque dans les négociations et les faits militaires de la croisade, tous ces historiens l’eusses-tu comme à l’envi. Ils ont rapporté de lui des actions d’un autre ordre : pourquoi auraient-ils caché celles-là ?

Or, voici les fragments qu’ils nous ont conservés de sa vie à cette époque :

« Après le retour de l’évêque Diego à son diocèse, dit le bienheureux Humbert, saint Dominique, demeuré presque seul avec quelques compagnons qui ne lui étaient attachés par aucun vœu, soutint pendant dix années la foi catholique en divers lieux de la province de Narbonne, particulièrement à Carcassonne et Fangeaux.

Il s’était donné tout entier au salut des âmes par l’office de la prédication, et il souffrit de grand cœur beaucoup d’affronts, d’ignominies et d’angoisses, pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

Dominique avait choisi Fangeaux pour résidence, parce que de cette ville, située sur une hauteur, on découvrait dans la plaine le monastère de Notre-Dame-de-ProuilIe. Quant à Carcassonne, qui n’était pas non plus éloigné de cette chère retraite, il a donné lui-même une autre raison de sa préférence, interrogé un jour pourquoi il ne demeurait pas volontiers à Toulouse et dans son diocèse :

« C’est, répondit-il, que, dans le diocèse de Toulouse, je rencontre beaucoup de gens qui m’honorent, tandis qu’à Carcassonne tout le monde m’est contraire. »

En effet, les ennemis de la foi insultaient en toutes manières au serviteur de Dieu : on lui crachait au visage, on lui jetait de la boue, on attachait des pailles à son manteau par dérision. Mais lui, supérieur à tout, comme l’apôtre, s’estimait heureux d’être jugé digne de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus.

Les hérétiques songèrent même à lui ôter la vie. Une fois qu’ils lui en faisaient la menace, il leur répondit :

« Je ne suis pas digne de la gloire du martyre, je n’ai pas encore mérité cette mort »

C’est pourquoi, ayant à passer par un lieu où il savait que des embûches lui avaient été préparées, non seulement il s’y hasarda avec intrépidité, mais gaîment et en chantant. Étonnés de sa constance, les hérétiques lui demandèrent une autre fois, pour le tenter, ce qu’il eût fait s’il fut tombé dans leurs mains :

« Je vous aurais priés, répondit-il, de ne pas me tuer d’un seul coup, mais de me couper les membres un à un, et après en avoir mis les morceaux devant moi, de finir par m’arracher les yeux, en me laissant à demi-mort dans mon sang ou en m’achevant à votre plaisir. »

Thierry d’Apolda raconte le trait suivant :

« Il arriva qu’une conférence solennelle devant avoir lieu avec les hérétiques, un évêque se disposait à s’y rendre en grande pompe. Alors l’humble héraut du Christ lui dit :

« Ce n’est pas ainsi, Seigneur mon père, ce n’est pas ainsi qu’il faut agir contre les enfants de l’orgueil. Les adversaires de la vérité doivent être convaincus par des exemples d’humilité, de patience, de religion et de toutes les vertus, non par le faste de la grandeur et le déploiement de la gloire du siècle.

Armons-nous de la prière, et faisant reluire en notre personne des signes d’humilité, avançons-nous nu-pieds au-devant des Goliath.« 

L’évêque se rendit à ce pieux conseil, et tous se déchaussèrent. Or, comme ils n’étaient pas sûrs de leur chemin, ils rencontrèrent un hérétique qu’ils croyaient orthodoxe, et qui promit de les conduire droit à leur but. Mais il les engagea par malice dans un bois plein de ronces et d’épines, ou leurs pieds se blessèrent, et bientôt le sang coula tout le long de leurs jambes.

Alors l’athlète de Dieu, patient et joyeux, exhorta ses compagnons à rendre grâces de ce qu’ils souffraient, en leur disant :

« Confiez-vous dans le Seigneur, mes très chers, la victoire nous est assurée, puisque voilà nos péchés qui s’expient par le sang.« 

L’hérétique, touché de cette admirable patience et des discours du saint, avoua sa malice et abjura l’hérésie. »

Il y avait aux environs de Toulouse quelques femmes nobles que l’austérité des hérétiques avait détachées de la foi. Dominique, au commencement d’un carême, alla leur demander l’hospitalité avec l’intention de les ramener dans le sein de l’Église. Il n’entra avec elles dans aucune controverse ; mais, pendant tout le carême, il ne mangea que du pain et ne but que de l’eau, lui et son compagnon.

Quand, le premier soir, on voulut leur apprêter des lits, ils demandèrent deux planches pour se coucher, et jusqu’à Pâques, ils n’eurent pas d’autre lieu de repos, se contentant chaque nuit d’un court sommeil qu’ils interrompaient pour prier. Cette éloquence muette fut toute-puissante sur l’esprit de ces femmes ; elles reconnurent l’amour dans le sacrifice et la vérité dans l’amour.

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On se rappelle qu’à Palencia Dominique avait voulu se vendre pour racheter de l’esclavage le frère d’une pauvre femme. Il eut en Languedoc le même mouvement d’entrailles à l’égard d’un hérétique qui lui avouait ne tenir à l’erreur que par la misère ; il résolut de se vendre pour lui donner de quoi vivre, et il l’eût fait, si la Providence divine n’eût pourvu d’une autre manière à l’existence de ce malheureux.

Un fait encore plus singulier nous atteste les ruses de sa bonté.

« Quelques hérétiques, dit Thierry d’Apolda, ayant été pris et convaincus dans le pays de Toulouse, furent remis au jugement séculier, parce qu’ils refusaient de retourner à la foi, et condamnés au feu.

Dominique regarda l’un d’eux avec un cœur initié aux secrets de Dieu, et il dit aux officiers de la cour :

« Mettez à part celui-ci, et gardez-vous de le brûler. Puis se tournant vers l’hérétique avec une grande douceur : Je sais, mon fils, qu’il vous faudra du temps, mais qu’enfin, vous deviendrez bon et un saint.« 

Chose aimable autant que merveilleuse ! Cet homme demeura vingt ans encore dans l’aveuglement de l’hérésie, après quoi, touché de la grâce, il demanda l’habit de Frère Prêcheur, sous lequel il vécut bien et mourut dans la fidélité. »