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Si le retour à l’État chrétien est vraiment une chimère

L’État chrétien, c’est la grande organisation catholique de l’autorité et de la liberté dans le monde. C’est l’État uni et subordonné à l’Église ; c’est la société civile et politique dans son état normal, sachant pourquoi elle existe, où elle doit tendre, dans quelle voie elle doit marcher, ce qu’elle doit faire pour rendre heureux tous les membres qui la composent.

« C’est là une chimère, dit-on ; c’est un beau rêve. »

Non. L’État chrétien est un idéal ; mais c’est un idéal que tout chrétien, quel qu’il soit, doit contribuer à réaliser le moins imparfaitement possible. L’État chrétien est un idéal parfait, comme tout le reste de la morale chrétienne : comme la loi de l’amour de Dieu, comme la loi de l’humilité, de la patience, de la sainteté.

Parce que toutes ces saintes lois nous montrent un idéal parfait, faut-il les appeler pour cela des chimères ? Les sociétés chrétiennes réalisent l’idéal de l’État chrétien, comme chaque chrétien en particulier réalise les lois de Dieu et les maximes de l’Évangile : imparfaitement, mais réellement.

J’accorde encore et très-volontiers que jamais l’État chrétien n’a été pleinement réalisé ; même dans les siècles de foi, les passions de toutes sortes étaient là qui combattaient l’action bienfaisante de l’Église ; mais enfin, dans ces temps- là, le monde chrétien était constitué sur ses vraies bases, et les désordres n’étaient qu’accidentels ; ils ne venaient point, comme aujourd’hui, de l’organisation sociale elle-même.

Depuis trois ou quatre siècles, au contraire, les puissances de l’enfer, un moment enchaînées, se sont ruées avec fureur contre l’édifice social du christianisme, si laborieusement élevé par la Papauté ; elles l’ont si bien miné qu’il a fini par s’écrouler en 1789, avec la révolution française et européenne. Sur ces ruines, le retour à l’État chrétien est-il encore possible ?

« Non, dit-on généralement ; il faut que l’Église en prenne son parti. Elle s’arrangera, comme elle pourra, avec le monde nouveau. Les fleuves ne remontent point vers leurs sources. Les peuples ne retournent point en arrière. Vouloir changer l’ordre social établi par la Révolution, c’est une chimère, une folie à laquelle il ne faut pas même songer. »

Et pourquoi donc ? Qui peut plus, ne peut-il pas moins ? Lorsque saint Pierre est arrivé à Rome pour y établir la Papauté ; lorsque saint Paul et les autres Apôtres ont prêché l’Évangile et l’ont scellé de leur sang, le monde païen n’était-il pas plus malade mille fois, et plus redoutable que le monde actuel ?

Qu’est-ce que la puissance de nos gouvernements modernes, en comparaison de ce colosse universel qui s’appelait l’empire romain ? Le césarisme, l’esclavage couvraient le monde entier, et tous les vices, toutes les passions étaient divinisées. Les Apôtres, les Évêques, les chrétiens ont lutté pendant trois siècles, et chacun sait de quel côté est restée la victoire.

Pourquoi n’en serait- il pas de même aujourd’hui ? On se fait grandement illusion si l’on s’imagine qu’il faudrait trois siècles et neuf millions de martyrs pour venir à bout du monstre révolutionnaire. Les chrétiens qui disent cela manquent de foi. Oui, il y a beaucoup à faire ; oui, l’ennemi est puissant ; mais il y a de toutes parts de tels éléments de résurrection, que, pour rétablir l’État chrétien, ou du moins pour faire faire un pas immense à cette grande question de salut public, il suffirait certainement d’un seul homme, d’une seule puissante volonté.

Prenons pour exemple notre France, dont l’influence, bonne ou mauvaise, sur l’Europe et sur le monde entier est si incontestable. Je l’entendais dire naguère à un homme politique éminent : Si, après la tourmente de 1848, si en 1851 et en 1852, l’empereur Napoléon eût compris davantage et son devoir et son intérêt ; s’il eût eu le sens catholique et s’il eût continué à s’appuyer, comme il semblait le faire d’abord, sur l’élément chrétien de la société ; s’il se fût entouré, comme il le pouvait certainement et facilement, de Ministres chrétiens, intelligents des véritables intérêts du pays, il est impossible de prévoir quel bien il aurait réalisé en dix ou douze ans et quelles plaies sociales, il aurait cicatrisées

Il avait pour lui la plus puissante, la plus populaire, et en même temps la plus pure de toutes les forces humaines : la force religieuse, sans parler des bénédictions et grâces exceptionnelles qu’une politique chrétienne eût attirées sur son œuvre de régénération ; il avait pour auxiliaire la Papauté, l’Épiscopat, le sacerdoce, tous les Ordres religieux, tous les gens de bien : et cela, non-seulement en France, mais en Europe, mais dans le monde entier.

À cette force morale, il aurait joint le prestige et la force militaires, attachés à son nom ; il aurait mis au service de son idée sa volonté de fer et son étonnante ténacité. Ce qui restait encore de puissances conservatrices et chrétiennes en Europe, déposant peu à peu leurs méfiances, se seraient jointes à lui, pour la grande œuvre de régénération. À l’intérieur, les institutions eussent été graduellement prudemment améliorées ; l’opinion publique (que l’on forme ou que l’on déforme, hélas ! à si peu de frais) se serait profondément modifiée ; encouragés et fortifiés, tous les bons se seraient vraiment rassurés et les méchants auraient vraiment tremblé.

Je dis que tout cela eût été, non-seulement possible, mais probable, mais facile, plus facile qu’on ne pense. Est-il trop tard aujourd’hui ? Je l’ignore ; je le crains. Le personnage politique que je viens de dire ne le pense pas. Mais il faudrait un changement radical dans le système et dans le choix des instruments. Les hommes ne manquent pas à qui les cherche tout de bon. Il faudrait commencer par là.

Il n’y aurait presque rien à modifier dans les lois ; mais il faudrait faire énergiquement exécuter celles qui favorisent la religion (et il y en a beaucoup), et aussi celles qui répriment le mal. C’est l’esprit qu’il suffirait de changer, et non point la lettre. Confiée à des Ministres, à des chefs de service, à des magistrats, à des préfets, en un mot à des fonctionnaires solidement chrétiens (et je le répète, on en trouverait facilement), cette grande œuvre de transformation s’opérerait sans secousse et comme d’elle-même.

On est si fort, quand on a pour soi la conscience et la vérité ! Il n’y aurait à persécuter personne, mais simplement à favoriser le bien, et cela ouvertement, sans broncher. Ce qui est certain, c’est que, maintenant, comme toujours, la grande force des méchants vient de l’inertie et de la peur des bons. Quand le pouvoir public les caresse, ils font les fiers et crient bien haut ; ils rentrent dans l’ombre dès qu’ils sentent devant eux une volonté énergique.

Tout acharné qu’il est, le mal est lâche de sa nature. C’est surtout parce qu’on tremble devant lui qu’aujourd’hui, il est si fort. Je regrette d’être obligé de le dire : les catholiques libéraux contribuent beaucoup à empêcher le retour de la société à sa forme normale et chrétienne. Ils découragent bon nombre de catholiques, en déclarant, comme ils le font, que le retour à l’état chrétien n’est plus possible, qu’il est inutile de lutter sur ce terrain-là, qu’il ne faut pas froisser l’ennemi, de peur de l’éloigner ; qu’il faut des conciliations et des réconciliations, etc.

« Hommes de peu de foi, pourquoi doutez-vous ? »

Plus que jamais aujourd’hui, le salut est dans l’affirmation et dans l’amour de la vérité totale. En face des négations totales de la fausse autorité et de la fausse liberté, il faut au monde l’affirmation totale, catholique, de l’autorité et de la liberté véritables. La résurrection est là et elle n’est que la. À la société éperdue, il faut Jésus-Christ, le seul Sauveur ; il lui faut l’Église, la seule Libératrice.

C’est une question de vie ou de mort. Sous une forme ou sous une autre (les formes importent peu), il faut que l’État, que le pouvoir public redevienne chrétien ; qu’il se fasse, comme il le doit, le serviteur de Dieu, le protecteur et le défenseur de la vérité, de l’ordre, du vrai droit, du vrai bonheur des peuples, de leur vraie liberté.

S’il n’en arrive là, le monde est perdu, et son jugement approche. Ce qui semble évident, c’est que le retour de la France et de l’Europe, et de la société, à la profession publique du christianisme, ne peut avoir lieu que par un coup inespéré de Providence : je ne dis point par un miracle ; mais par une grâce tout à fait extraordinaire.

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Depuis trente ans, un saint Religieux, connu de toute la France par son zèle apostolique, demande chaque jour au bon Dieu qu’il daigne envoyer celui qu’il doit envoyer ; Mitte, Domine, quem missurus es. Demandons avec lui au Sauveur du monde, qu’il suscite quelque grand homme qui, par la puissance de sa foi, de son dévouement et de son génie, rétablisse l’empire de Dieu au milieu de nous, et réalise, dans la mesure où le permet l’infirmité humaine, le renouvellement de la société catholique.

Ce ne serait, ni plus ni moins, que le retour des peuples pro digues à la maison paternelle.

Source : La liberté – Mgr de Ségur – 1869