Ce texte émouvant est extrait du journal L’Univers, publié le samedi 10 mai 1873. Il rapporte un discours du pape en réponse à l’adresse des pèlerins français. Dans ce discours, empreint d’une émotion palpable, le Saint-Père exprime son amour et son espérance pour la France, une nation qu’il qualifie de « grande et catholique ». En rappelant les paroles de Jésus, il évoque la situation spirituelle de la France, alors traversée par des troubles religieux et sociaux. Le pape y entrevoit toutefois un renouveau de foi possible pour le pays, renforcé par les prières, la dévotion et l’attachement des fidèles. À travers ses mots, il invite les Français à tenir ferme dans leur foi et à persévérer dans les vertus chrétiennes, malgré les épreuves. Le texte suivant, emprunté au Journal de Florence, rend compte des mots mêmes du pape dans leur intégralité :
« La France m’a toujours et en toutes circonstances donné des gages d’amour et m’en donne encore à présent ; ce qui me prouve de plus en plus que certaines paroles sorties de la bouche infaillible de Jésus-Christ et que l’Église nous met en ces jours sous les yeux peuvent fort bien s’appliquer aussi à la France : Modicum et non videbitis me. Vous ne me verrez pas pendant un certain temps, mais je me manifesterai de nouveau : iterum modicum et videbitis me. Je me manifesterai de nouveau à cette grande et catholique nation.
Son éloignement temporaire était peut-être nécessaire pour faire naître dans un grand nombre de cœurs le fervent désir de le revoir, et parce que tout le monde n’a pas fait son devoir en ces derniers temps. Des doctrines fausses, des hommes appartenant à la secte infernale, des mœurs corrompues, des incrédules de toute sorte ont fait irruption sur tous les points de ce grand et noble pays.
Un très grand nombre d’hommes ont suivi le courant ; mais il en est aussi plusieurs qui ont reculé d’épouvante et qui, après s’être recueillis en eux-mêmes, ont recouru à Dieu. Les Pasteurs ont parlé et ont prié entre le vestibule et l’autel ; les chastes épouses de Jésus-Christ, prosternées à ses pieds, ont versé des larmes et, faisant violence à son cœur, elles ont demandé que la lumière se fit pour ceux qui, par ignorance ou par malice, gisent dans les ténèbres et les ombres de la mort, et qu’au milieu de l’obscurité une étincelle de foi se montrât à eux tous, mais spécialement à ceux auxquels on peut appliquer ces paroles : Video meliora proboque, deteriora sequor. À ces prières se sont jointes celles d’un grand nombre de bons chrétiens, et de pieuses mères de famille, et surtout celles de cette phalange de jeunes gens d’élite qui, mettant sous les pieds tout respect humain, n’ont voulu rechercher que le bien et, le front levé, se sont courageusement déclarés chrétiens.
Eh bien ! les pèlerinages, les prières, la fréquence des sacrements, la bonne volonté qui se manifeste en France sont un gage, une preuve que Notre-Seigneur se manifestera de nouveau à la France : Modicum et videbitis me.
Oh ! puisse-t-il, en se manifestant à ce pays de prédilection, lui apporter le salut qu’il apporta aux apôtres : Pax vobis. Qu’il nous donne à tous cette paix qui accompagne les enfants de Dieu, même au milieu des tribulations et des combats auxquels ils sont condamnés ; cette paix qui, en nous conservant notre liberté d’esprit, même au milieu des circonstances les plus difficiles, nous porte à agir avec fermeté, quoique sans précipitation, et à marcher dans la voie qui conduit à la vie.
Puisque l’Église célèbre aujourd’hui la mémoire d’un saint qui a illustré par ses vertus cette chaire apostolique, prions-le de nous obtenir de Dieu, par l’entremise de la Reine des anges, de cette Reine qui a écrasé la tête du serpent infernal, qui a vaincu les hérésies et qui a obtenu pour ce grand Pontife la victoire sur le peuple mahométan ; prions-le, dis-je, de nous obtenir la victoire sur les ennemis actuels de l’Église (ce ne sont pas des Turcs ; pour leur confusion, ils sont chrétiens), afin qu’un jour nous puissions leur appliquer ces paroles : Vidi impium superexaltatum ; transivi, et ecce non erat.
Mais pour combattre, il faut du courage ; pour vaincre, il faut de la constance, et pour triompher, il faut de la modestie ; prions donc aussi Pie I, qui scella sa foi de son sang en mourant en holocauste pour la vérité, de nous obtenir le courage et la constance nécessaires pour combattre, afin que nous puissions obtenir le triomphe désiré et passer des jours de paix dans la pratique des vertus chrétiennes.
En attendant, je vous bénis, vous et vos familles, je bénis l’épiscopat, le clergé et la France tout entière, même cette partie de la France qui fait peu de cas de la bénédiction apostolique. Oui, que cette bénédiction descende aussi sur cette partie moins choisie de la France et qu’elle soit la lumière qui l’éclaire et l’excite à faire le bien, ou la flamme qui la détruise, quod Deus avertat! (que Dieu détourne ce malheur !). Quant à nous, demeurons inébranlables dans la confiance, et ne perdons pas courage, car Dieu est avec nous ; or, s’il est avec nous, quis contra nos?
Il n’est, hélas ! que trop vrai, un grand nombre de royaumes sont en proie au désordre. Ici, on combat contre Dieu, contre son Église et contre ses ministres ; ailleurs, on combat avec plus de cynisme, mais toujours pour atteindre le même but, qui est d’étouffer le bien. Pour surcroît de malheur, on considère d’un œil indifférent les maux de l’Église catholique, même lorsqu’on devrait agir pour les écarter ou au moins les diminuer, comme la conscience et l’honneur le demandent aux puissants de la terre, à ceux qui ont le devoir de conserver la paix dans le monde. Mais il n’en est pas moins vrai que nous devons agir avec courage, sans craindre ni la tyrannie, ni la mauvaise foi, ni l’irrésolution, parce que Dieu est avec nous ; et si Deus pro nobis, quis contra nos? Benedictio Dei, etc. »
Après avoir reproduit ce discours, le Journal de Florence ajoute :
Des larmes se mêlaient à la voix du Saint-Père, pendant qu’il adressait ces touchantes paroles à ses enfants chéris réunis autour de son auguste personne. Son émotion était partagée par toute l’assistance, et nous avons vu des pleurs de tendresse s’échapper de bien des yeux. À ce sentiment d’émotion se mêlait celui de l’admiration. Tant de présence d’esprit, tant de lucidité, en même temps que de force et d’énergie dans ce vieillard qu’on avait représenté depuis quelque temps à l’Europe comme abattu par une récente indisposition, paraissait à toute l’assistance chose merveilleuse, presque surnaturelle. De plus, le ton de profonde conviction avec lequel il avait parlé et sa facilité d’élocution, bien qu’il se fût exprimé dans une langue étrangère, faisaient dire aux pèlerins en se retirant : « Vraiment notre Saint-Père est inspiré, et c’est Dieu qui nous a parlé par sa bouche.