L’historien de l’Eglise, Jörg Ernesti, dans un article publié récemment, explique que l’évolution de la papauté en tant que figure publique remonte à un tournant récent de l’histoire. Au XVIIe et XVIIIe siècles, le choix des cardinaux se portait souvent sur des candidats âgés ou malades, afin de limiter la durée du pontificat. Ce type de stratégie politique est aujourd’hui impossible : un pape sans charisme médiatique ne correspondrait plus aux attentes de l’époque moderne.
Un des signes les plus visibles de cette transformation est le développement d’une infrastructure médiatique exceptionnelle par le Vatican : la mise à disposition gratuite des documents papaux en ligne ou encore la réforme des médias sous François, avec la création d’un Dicastère pour la Communication, en témoignent. Le pape n’est plus seulement le chef spirituel de l’Église : il en est aussi devenu la principale vitrine.
Jörg met toutefois en garde contre les effets secondaires de cette médiatisation. D’une part, il souligne le risque d’un « culte de la personnalité » autour des papes, où l’attention des fidèles se fixe davantage sur la figure individuelle du pontife que sur l’institution ou son message. D’autre part, cette surmédiatisation crée une attente presque irréaliste vis-à-vis des papes, avec une « hauteur de chute » conséquente en cas d’échec ou de scandale, comme cela a été observé sous Pie XII ou Paul VI.
L’historien pointe également un glissement fondamental dans la perception de la papauté. Autrefois, le respect pour un pape reposait sur la fonction qu’il incarnait ; aujourd’hui, c’est avant tout le charisme personnel du pontife qui suscite admiration ou critique. Ce changement a transformé l’Église en une « Église papale », où l’autorité spirituelle repose de plus en plus sur la figure du pape plutôt que sur la continuité institutionnelle.
Ce constat soulève quand même des questions pour l’Église. Si la visibilité médiatique permet de renforcer le rayonnement du message chrétien, elle peut aussi désacraliser la papauté en la réduisant à une figure médiatique parmi d’autres personnalités. Ce phénomène de personnalisation risque d’éclipser la richesse spirituelle de l’Église universelle et de sa tradition.
La centralisation excessive autour du pape pose aussi un problème de gouvernance ecclésiale. L’Église doit-elle dépendre de l’image et des actions d’un seul homme, au risque d’ébranler sa structure en cas de crise ou de division interne ? L’accent mis sur le charisme papal semble également renforcer une forme de centralisation au détriment des églises locales, un paradoxe à l’heure du synode sur la synodalité.
L’analyse de Jörg cherche l’équilibre entre tradition et modernité dans l’Église. Si les moyens de communication actuels sont un outil puissant pour l’évangélisation, ils ne doivent pas devenir une fin en soi. L’Église risque de perdre sa mission spirituelle si elle s’engage trop loin dans une logique de marketing religieux.