Les tournois, toujours dangereux, souvent ensanglantés et quelquefois mortels, n’avaient été imaginés que pour tenir continuellement en haleine les gens de guerre, surtout dans les temps où la paix ne laissait point d’autre exercice à leur courage.
L’objet de ces jeux, justement appelés écoles de prouesse. On voulait former de nouveaux guerriers au maniement des armes, et aux évolutions militaires, fortifier les anciens et les perfectionner de plus en plus.
Dans ces écoles de guerre, les maîtres même apprenaient à connaitre les talents de leurs élèves, s’entretenaient dans l’habitude du commandement, étudiaient avec plus de réflexion les mouvements et les manœuvres, par des expériences moins périlleuses et moins précipitées que celles qui se font devant l’ennemi. Ils s’appliquaient à rendre ces manœuvres plus régulières et plus sûres. Ils tâchaient en même temps d’en inventer de nouvelles.
On fixe communément au onzième siècle l’origine des tournois ; mais on pourrait la faire remonter jusqu’au temps où les nations ayant commencé à faire la guerre méthodiquement, établirent quelques règles et quelques principes, et la réduisirent en art : les tournois cependant ne doivent être regardés que comme de faibles images et de légers essais des expéditions militaires et des véritables combats.
Les entreprises de guerre et de Chevalerie, surtout celles des croisades, étaient annoncées et publiées avec un appareil capable d’inspirer à tous les guerriers, l’ardeur d’y concourir et de partager la gloire qui devait en être le prix. L’engagement en été scellé par des actes que la religion, l’honneur et l’amour, ou réunis ou séparés, rendaient également irrévocables.
Soit que l’on s’enfermât dans une place pour la défendre ; soit qu’on en fît l’investissement pour l’attaquer ; soit qu’en pleine campagne on se trouvât en présence de l’ennemi, des serments inviolables et des vœux dont rien ne pouvait dispenser, obligeaient également les chefs et ceux qu’ils commandaient, à répandre tout leur sang plutôt que de trahir ou d’abandonner l’intérêt de l’État.
Outre ces vœux généraux, la piété du temps en suggérait d’autres aux particuliers, qui consistaient à visiter divers lieux saints auxquels ils avaient dévotion ; à déposer leurs armes ou celles des ennemis vaincus, dans les temples et dans les monastères ; à faire différents jeûnes, à pratiquer divers exercices de pénitence.
La valeur dictait aussi des vœux singuliers, tels que d’être le premier à planter son prénom sur les murs ou sur la plus haute tour de la place dont on voulait se rendre maître, de se jeter au milieu des ennemis, de leur porter le premier coup ; en un mot, de faire tel exploit, de donner telle preuve d’audace et quelquefois de témérité. Les plus braves chevaliers se piquaient toujours d’enchérir les uns sur les autres, par une émulation qui toujours avait pour objet l’avantage de la patrie et la destruction de l’ennemi.
Une sage politique voulait multiplier les chevaliers : il fallut donc attacher à cette profession des avantages extérieurs, en rehausser l’éclat par des prérogatives honorables, et donner à ceux qui l’exerçaient une prééminence marquée sur tous les écuyers, et sur tout le reste de la noblesse.
Je commencerai par les distinctions de l’armure et de l’habillement.
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Une lance force et difficile à rompre, un haubert ou haubergeon, c’est-à-dire une double cotte de mailles tissues de fer, à l’épreuve de l’épée, étaient les armes assignées aux chevaliers exclusivement ; la cotte d’armes, faite d’une simple étoffe armoriée, était l’enseigne de leur prééminence sur tous les autres ordres de l’État et de la guerre.
Les écuyers mêmes n’avaient pas la permission d’en venir aux mains avec eux ; et quand un écuyer l’aurait eue, couvert de sa cuirasse faible et légère, armé seulement de l’épée et de l’écu, comment eût-il pu se défendre d’un adversaire presque invulnérable ? Le peuple ne portait en voyage, et peut-être même dans les combats, qu’une espèce de couteau qui pendait le long de la cuisse.
Si les armes des chevaliers et des écuyers étaient enrichis d’ornement précieux, le plus pur de tous les métaux était réservé pour celles des chevaliers, pour leurs éperons, pour les housses et pour les harnais de leurs chevaux.
Travaillé en étoffe, ils enrichissaient leurs robes, leurs manteaux, et toutes les parties de leurs vêtements et de leurs équipages, il servait dans les assemblées, à faire reconnaitre, à distinguer leurs personnes et celles de leurs femmes, comme on les distinguait dans les discours et dans les actes, ou autres écrits, par les titres de Don, Sire, Messire, Monseigneur, et par ceux de Dame, de Madame et autres.
L’argent destiné pour les écuyers, que l’on qualifiait de Monsieur et de Damoiseau, et pour leurs femmes, à qui l’on donnait le titre de Damoiselles, marquait aussi la différence qu’on devait mettre entre eux et les personnes d’un état inférieur, qui ne portaient que des étoffes de laine, ou du moins sans or, ni argent.
Les seuls chevaliers avaient droit de porter, particulièrement pour doubler leurs manteaux, le vair, l’hermine et le petit gris ; d’autres fourrures moins précieuses étaient pour les écuyers, et les plus viles pour le peuple. On avait interdit la soie aux bourgeois et aux gens du commun.
Une dernière particularité distinctive des chevaliers, que j’emprunte du manuscrit de Joinville, terminera cet article.
Les chevaliers, se rasaient le devant de la tête, soit de peur d’être saisis par les cheveux, s’ils perdaient leur casque dans le combat ; soit qu’ils les trouvèrent incommodes sous la coiffe de fer, et sous les heaumes dont ils étaient continuellement armés.
Néanmoins, ces usages ne furent pas toujours uniformes, et rien n’a plus varié, suivant les temps et les circonstances, que les règlements de la Chevalerie, surtout par rapport aux armes et au vêtement.
Source : Mémoires sur l’ancienne Chevalerie – Baptiste de la Curne de Sainte-Palaye