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Des effets sociaux en cascade d’après l’Abbé Pierre

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La crise du logement intense et généralisée que nous traversons génère des effets sociaux durables qui pourraient bien causer des dommages profonds pour les jeunes qui y sont confrontés, voire pratiquement irréversibles quand ils conduisent, par exemple, certains jeunes à renoncer à une formation qualifiante.

Elle n’oblige pas seulement les jeunes à vivre dans des situations de mal-logement intolérables en elles-mêmes, mais elle nuit gravement à leur vie affective, professionnelle et sociale. Les difficultés que rencontrent les jeunes pour accéder à un logement constituent un frein radical à leur entrée dans la vie et bloquent la plupart de leurs projets : acquérir une solide formation, obtenir un emploi, envisager une progression de carrière, avoir une vie affective selon son choix, et éventuellement fonder une famille…

L’ensemble de ces actes nécessite d’avoir un lieu pour vivre, un « chez-soi », et que soit réuni un ensemble de conditions permettant de s’y investir. Or c’est précisément cela, ce premier pas dans la vie d’adulte, qui est interdit à la grande majorité des jeunes aujourd’hui. Ils l’expriment avec beaucoup de lucidité parfois, mais aussi beaucoup de souffrance.

Quelle vie est proposée aux jeunes ? C’est déjà l’interrogation de l’abbé Pierre au début de cet ouvrage. La question mérite d’être posée au regard des difficultés qu’ils rencontrent pour accéder à un logement d’abord, puis pour vivre dans des conditions qui ne sont évidemment pas celles qui avaient été rêvées, mais qui ne sont même pas des conditions propices pour mener une vie quotidienne ordinaire.

Ainsi cette jeune assistante sociale déjà citée qui demeure depuis plusieurs années dans un petit studio à Grenoble et n’arrive pas à trouver de solution plus satisfaisante. Fatiguée d’une solution qui dure, elle a l’impression d’être revenue à la case départ, quand elle était étudiante.

« Mon studio actuel est plus petit que mon premier studio, en 1996, et plus cher bien sûr. Je n’ai pas de machine à laver, donc je vais au lavomatic et pour faire à manger, les plaques électriques, ce n’est pas évident ! »

Elle pense parfois à s’installer ailleurs.

« En ce moment, je regarde les offres de logement et c’est de pire en pire. Le rapport prix/superficie est délirant. Mes collègues de travail qui ont des enfants étudiants paient des fortunes pour les loger. J’ai regardé les prix à Saint-Étienne et j’ai trouvé des 60 mètres carrés pour 300 euros. Je me dis que je vais peut-être bouger… »

Des jeunes sont ainsi conduits à choisir d’abord un lieu de résidence conforme à leurs moyens (en s’éloignant de la ville, ou en cherchant un logement dans une ville au marché moins tendu) avant de rechercher un emploi. Le choix du logement pilote alors celui de l’emploi. Et pour ceux qui ont un logement, la pression sur la vie quotidienne liée au poids du logement dans leur budget est bien souvent insupportable.

Le coût du logement ou de l’hébergement pèse fortement sur des revenus limités et aléatoires, et il conduit de nombreux jeunes à faire des arbitrages entre leurs différentes charges. Les dépenses alimentaires ou les dépenses de santé constituent souvent la variable d’ajustement du budget : les frais d’alimentation sont limités, ceux qu’il faut engager pour se soigner différés quand cela est possible. On prend la mesure de cette tension qui pèse sur le budget de certains jeunes quand on sait que des foyers de jeunes travailleurs sont amenés à proposer à leurs résidents les services de la Banque alimentaire !

En fait, il est bien souvent difficile pour les jeunes, quand ils sont allocataires du RMI (RSA), en apprentissage ou salariés au SMIC, de faire face à leurs dépenses lorsqu’ils doivent payer un loyer ou même une redevance en foyer. Une fois prises en charge les dépenses liées à l’occupation d’un logement, il reste une somme dérisoire qui ne permet pas de vivre, ou oblige à renoncer au logement et à retourner à la case départ pour bénéficier de la solidarité familiale, quand cela est possible. Sinon c’est la rue, le squat, ou d’autres solutions tout aussi incertaines…

Sans logement, pas de stabilité et sans point d’attache pas de projet. L’absence d’un logement autonome où l’on se sente chez soi pénalise la vie de couple ou la vie familiale, générant des ruptures qui à leur tour freinent les projets professionnels et les possibilités d’acquérir des ressources suffisantes pour se loger. Cette « spirale » qui éloigne toujours plus de l’accès à un logement occasionne beaucoup de dégâts dans la vie conjugale et affective des jeunes.

Combien de jeunes couples ne peuvent vivre ensemble, même lorsque des enfants naissent ? Combien de couples, séparés, continuent à habiter sous le même toit ? Combien de décohabitations ne se font pas, maintenant plusieurs générations, dans le même appartement fatalement trop exigu… quand il ne s’agit pas de retourner vivre chez ses parents après l’échec d’une expérience conjugale ? Parmi les témoignages recueillis, deux apparaissent emblématiques. Il y a l’exemple de cette jeune femme de vingt-trois ans, vivant à Douai, employée en contrat aidé depuis deux ans (rémunérée 818 euros nets par mois) qui n’a jamais pu habiter avec son conjoint.

Ils souhaitaient vivre ensemble depuis 2003. Le couple a entamé des démarches auprès de bailleurs publics en août 2003 et a eu une réponse positive en décembre 2004. En attendant, elle est restée chez sa mère tandis que son ami vivait chez ses parents.

« On était beaucoup à vivre chez ma mère. Il y avait mes deux frères et ma sœur, l’amie de mon frère et leur petite fille. Mon frère est toujours chez ma mère, il attend encore une réponse des HLM. »

En attendant un logement social, le couple a fait très peu de démarches dans le parc privé :

« J’ai cherché dans les journaux, mais c’était trop cher et je pensais qu’ils ne voudraient pas d’un couple avec un seul salaire et sans garant. »

Aujourd’hui, enceinte, elle s’est séparée de son ami et assume seule un loyer de 450 euros, devenu bien trop élevé pour elle seule. Un autre cas de vie affective perturbée par les problèmes de logement est constitué par la situation de cette jeune femme de vingt-deux ans, originaire de Guadeloupe, séparée et ayant en charge deux enfants. Elle est arrivée dans la métropole il y a trois ans, pour rejoindre le père de ses enfants.

Lorsque intervient leur séparation, elle vit pendant un an avec ses enfants dans des foyers, des hôtels, ou est « hébergée » dans des squats. Sous la menace de se voir retirer la garde de ses enfants, elle réemménage au domicile de son ex-conjoint.

« C’était la seule solution : soit je retournais vivre chez lui, soit on m’enlevait mes enfants. (…) Pour moi, c’est une solution provisoire, je peux me retrouver à la porte du jour au lendemain. »

Depuis sa séparation, sa situation ne lui a pas permis d’avoir un quelconque projet :

« Pendant un an, je n’ai fait aucune démarche pour trouver du travail, j’étais prise dans les papiers, la peur qu’on m’enlève mes enfants, l’attente d’un logement. Je ne pouvais pas chercher de travail. Sans logement, ce n’était pas possible d’entreprendre quelque chose, surtout s’il faut déménager tous les mois. »

La situation professionnelle n’est pas le seul de ses soucis, car elle souffre de sa situation de cohabitation forcée avec son ancien conjoint. Il lui est difficile d’envisager une autre vie, comme elle le dit :

« Tant que je ne serai pas stable, je ne pourrai pas avoir de vie sentimentale. »

Beaucoup de stratégies que les jeunes adoptent par défaut se parent des couleurs du « mode de vie alternatif » librement choisi, alors qu’il n’en est pas toujours ainsi, loin s’en faut. La colocation, le retour à la campagne, la vie prolongée chez les parents, une certaine forme de nomadisme urbain sont des sujets dont se sont emparés les médias, mais aussi les fictions télévisées ainsi que les films de cinéma, comme L’Auberge espagnole.

Ce film de Cédric Klapisch, comme l’émission de téléréalité Le Loft, ont donné un côté si folklorique à la colocation que d’emblée, nombreux sont ceux (qui n’y sont pas confrontés) qui approuvent cette formule qu’ils trouvent « sympathique ». De même, le film d’Étienne Chatiliez, Tanguy, a fait de la cohabitation tardive chez ses parents un objet de comédie bien loin des problèmes que rencontrent les jeunes dans leur ensemble.

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Ainsi, le propos du film a souvent été utilisé, par facilité ou par maladresse, pour présenter le phénomène de la cohabitation de façon biaisée : la question étant présentée comme une preuve de l’inadaptation des jeunes à la vie d’adulte plutôt que comme le résultat d’un ensemble d’obstacles qui sont faits à l’insertion sociale des jeunes.

Ces situations, bien réelles, prennent un tour souvent anecdotique qui permet à l’opinion publique et aux décideurs d’évacuer beaucoup de questions gênantes concernant la précarité sociale et économique que cachent ces fameux « modes de vie ». Lorsque des stratégies de contournement vis-à-vis de la pénurie de logement sont présentées comme des modes de vie ou des choix librement opérés, l’accession à la propriété, la colocation, le « retour à la campagne »… deviennent des solutions miracles pour les jeunes qui peuvent même être encouragés à les adopter, y compris dans le cadre de dispositifs publics…

Source : N’oublions pas les jeunes ! – Abbé Pierre – 2007

Publié par Napo

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