Histoire de Sainte Anne dans l’antiquité
L’antiquité chrétienne nous a conservé de précieux souvenirs sur sainte Anne, Mère de la Vierge Marie , et aïeule, selon la chair, du Fils de DIEU fait homme, Jésus Christ, notre adorable Seigneur et Sauveur.
Saint Grégoire de Nysse et Saint Epiphane, entre autres, les ont pieusement recueillis dès le quatrième siècle. Sainte Anne était de la tribu de Juda et de la race de David. Son père, établi à Nazareth, se nommait Mathan; et sa mère, Mirian ou Marie.
Trois filles avaient été le fruit de l’union de Mathan et de Marie: l’aînée, nommée Marie comme sa mère, épousa Cléophas et lui donna quatre fils, tous glorieux par leur sainteté : Jacques, qui fut depuis un des Apôtres de Notre Seigneur et est connu sous le nom de saint Jacques-le- Mineur; Jude qui fut également un des douze Apôtres: Siméon, premier Evoque de Jérusalem ; enfin Joseph, surnommé le juste, à qui l’Esprit-Saint préféra saint Mathias.
Lorsque les Apôtres élurent dans le Cénacle le remplaçant du traître Judas. Ces quatre grands Saints devaient être un jour les cousins issus de germains de Notre Seigneur Jésus Christ et les propres neveux de la Sainte-Vierge et de saint Joseph. Tous quatre moururent martyrs.
La seconde fille de Mathan et de Marie fut Sobé, mère de sainte Elisabeth, et par conséquent grand mère de saint Jean-Baptiste. Sainte Elisabeth fut ainsi la propre nièce de sainte Anne et la cousine germaine de la sainte-Vierge ; saint Jean-Baptiste fut, comme on dit, « le neveu à la mode de Bretagne » de la Sainte-Vierge et de saint Joseph, el le cousin issu de germain de l’Enfant Jésus.
Enfin, sainte Anne, troisième et dernière fille de Mathan et de Marie, était prédestinée à concevoir et à enfanter la très-sainte et immaculée Vierge MARIE , Mère de DIEU. Anne était, parait-il, d’une beauté et d’une bonté qui égalaient sa sainteté.
Elle épousa son parent «Jo-Achim(Joachim), ou Eli-Achim, c’est-à-dire Elévation de DIEU » ou « Elévation du Seigneur ». C’est lui qui est désigné, dans l’évangile de saint Luc, sous le nom abrégé d’Eli, comme beau-père de Saint Joseph. Joachim était un très-saint homme, versé dans là science des Ecritures et brûlant de zèle pour la gloire et la cause du vrai DIEU.
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Dès l’âge de quinze ans, comme son royal ancêtre David (dont il descendait par Nathan, comme Anne en descendait par Salomon), il mena la vie pastorale, gardant et soignant des troupeaux. Le Seigneur se plut si bien a le bénir que, pendant de longues années, de concert avec Anne sa sainte épouse, il put faire de grandes charités.
La tradition rapporte qu’ils avaient coutume de diviser en trois parts égales leurs revenus annuels: la première était destinée au Temple et aux prêtres; la. seconde, aux pauvres; la troisième, à leur propre maison et à la subsistance de leurs serviteurs.
Mais ils n’avaient pas d’enfants; et cette stérilité était d’autant plus douloureuse pour leur coeur, qu’ils appartenaient tous deux à cette race privilégiée de laquelle, suivant toutes les prophéties, devait naître un jour le Messie, le Christ, le Seigneur. Leurs longues et ardentes prières furent exaucées enfin; et, dans un àge où il ne lui était plus permis de penser a devenir mère, Anne, la très sainte servante de DIEU, préparée de longue main à cette grâce suprême par la pratique d’une héroïque sainteté, reçut la visite d’un Ange, (l’Ange Gabriel, selon toute apparence), qui lui annonça qu’elle allait mettre au monde la Vierge, la Femme par excellence, prophétisée depuis quatre mille ans, et dans le sein de laquelle s’incarnerait bientôt le Verbe éternel, Jésus Christ.
Saint Joachim reçut, de son coté, un avertissement semblable. On vénère encore aujourd’hui à Jérusalem l’emplacement de la demeure de saint Joachim et de sainte Anne, où s’opéra, par la toute-puissance du DIEU créateur, l’auguste mystère de l’Immaculée Conception de Marie.
Dans ces dernières années, une belle église y a été bâtie, sous le vocable de L’Immaculée-Conception. C’est dans le sein de la bienheureuse Anne que Marie a été conçue sans péché; comme c’est dans le sein de Marie immaculée qu’a, été conçu le Verbe fait chair. La Conception immaculée et miraculeuse de la Vierge était le prélude, et comme l’aurore de la Conception virginale et bien plus miraculeuse encore de Notre-Seigneur Jésus Christ.
Après le sein de Marie , sanctuaire vivant de Dieu fait homme, il n’est rien de plus grand, de plus vénérable, de plus céleste que le sein de la bienheureuse Anne, vivant sanctuaire de l’Immaculée, de la future Mère de Dieu. Aussi dans notre dévotion à l’ineffable mystère de l’Immaculée-Conception, ne faut-il jamais séparer sainte Anne de la Sainte-Vierge, la Mère de la Fille.
Sainte Anne, miraculeusement la mère de Marie , fut aussi miraculeusement sa nourrice; le Seigneur tout puissant donna à sa vieillesse le lait nécessaire à l’alimentation de la petite Vierge. Elle ne la sevra qu’à trois ans; et, après les fêtes d’usage en pareille circonstance dans les familles juives, elle partit avec elle, sous la conduite de saint Joachim, pour l’offrir au service du Temple, où elle devait être élevée et formée jusqu’à son mariage. Cette oblation, ou « Présentation » de. la petite Vierge Marie au Temple était l’exécution d’un vœu que l’Esprit-Saint avait inspiré à sainte Anne et à saint Joachim, au moment où l’Ange leur avait annoncé leur bonheur.
Restèrent-ils à Jérusalem? Retournèrent-ils à Nazareth? On ne le sait pas au juste. Ce qui est certain, c’est que saint Joachim mourut peu d’années après, et que sainte Anne, qui était également morte avant les fiançailles de la Sainte-Vierge avec saint Joseph, fut ensevelie près de Jérusalem.
Plus tard, les fidèles recueillant ses reliques sacrées avec tout l’honneur qui leur était dû, les déposèrent en grande pompe dans l’église « du sépulcre de Notre-Dame », dans la vallée rie Josaphat
A l’époque des croisades, le corps de sainte Anne a été transporté, en grande partie du moins, dans la ville d’Apt, diocèse d’Avignon, où il est encore aujourd’hui en grande vénération.
Le culte à Sainte Anne
Le culte de la bienheureuse Mère de la Mère de Dieu se répandit, dès l’origine du Christianisme, en Orient et en Occident.
Le Pape Grégoire XIII l’appelait dans une Bulle Apostolique de l’année 1584, « une antique dévotion qui remonte au berceau de l’Eglise » ; et le Pape Grégoire XV, guéri miraculeusement par l’invocation de sainte Anne, déclarait, en 1622, avec une égale solennité que :
« l’heureuse Mère de Marie fut toujours l’objet d’un culte spécial et d’une dévotion particulière dans l’Église universelle, tant en Orient qu’en Occident. »
Trois siècles auparavant, en 1378, le Pape Urbain VI accordait à toutes les Églises de la Grande-Bretagne, le privilège de célébrer solennellement la fête de sainte Anne. Mais déjà au quatrième siècle, saint Jérôme parlait des religieux hommages dont sainte Anne était l’objet dans la Terre-Sainte, et tout spécialement de la magnifique église qui lui était dédiée à Jérusalem, à l’endroit même où s’était opéré dans son sein prédestiné le mystère de la Conception immaculée de Marie. Dans la crypte de cette église, les fidèles vénéraient l’emplacement de la chambre de sainte Anne et de saint Joachim.
Sainte Anne Patronne de la Bretagne
Les plus anciens souvenirs nationaux des Bretons, nous apparaissent comme liés au culte et à l’amour de sainte Anne d’Armor. Armor ou Armorique est l’ancien nom de la Bretagne et signifie » la terre qui s’avance sur la mer. » Voici un échantillon touchant de ces légendes bretonnes, sous la poésie desquelles les traditions de l’histoire se transmettaient d’âge en Âge.
Un jeune héros breton, soutien de ses fiers compatriotes, va partir pour le combat. Il se nomme Lez-Breiz.
« O sainte Anne, s’écrie-t-il, Dame bénie! je vins bien jeune vous rendre visite; je n’avais pas vingt ans encore et j’avais été à vingt combats, que nous avons gagnés tous par votre assistance, ô Dame bénie ! Si je retourne au pays. Mère sainte Anne, je vous ferai un présent… et j’irai trois fois à genoux puiser de l’eau pour votre bénitier. »
« Vas au combat, va, chevalier Lez-Breiz! J’y vais avec toi, » lui répond sainte Anne.
Plus tard, le chevalier vainqueur accomplit son vœu et s’écrie en pleurant :
« Grâces vous soient rendues, o Mère sainte Anne! C’est vous qui avez gagné celle victoire.»
Enfin, vaincu à sou tour et usé par le chagrin d’une longue captivité, le pieux guerrier voit venir A lui, passant dans le bois vert, une Dame vêtue de blanc, qui le regarde et se met à pleurer.
« Lez-Breiz, mon cher fils, est-ce bien toi? Viens ici, mon pauvre enfant ; que je coupe ta chaîne. Viens, je suis ta Mère, sainte Anne d’Armor. »
Tel était l’écho des traditions de la Bretagne, au sujet de sainte Anne.
Au septième siècle, saint Mériadec, évêque de Vannes, avait élevé à sainte Anne un sanctuaire à quatre lieues de Vannes, à l’endroit même où existe aujourd’hui le célèbre pèlerinage; et pour exciter davantage la piété des fidèles, il y avait exposé à leur vénération une statue de la Sainte en bois peint.
Mais en l’année 699 au mois de février, le sanctuaire fut détruit par une de ces hordes de pillards qui dévastèrent alors tout le pays. Seule, la sainte image échappa à ces fureurs sacrilèges; elle fut enfouie dans la terre, à la place même où elle avait été vénérée. C’est là qu’elle attendit pendant plus de neuf siècles l’heure de la Providence. Le village qui s’était groupé autour de la chapelle avait pris et conserva toujours le nom de Ker-Anna, c’est-à-dire village de sainte Anne.
Le culte de sainte Anne demeura vivant dans le coeur de ses Bretons; et, à différentes époques, la Bretagne construisit en son honneur des églises et des oratoires, en particulier à Brandelion. à Moréac, à Buléou, à Méuéac, à Plumerian, à Saint-Dolay et à Saint-Nolf.
Keranna n’avait donc plus que son nom et la piété de ses habitants pour souvenir de son ancien sanctuaire; et en 1623 l’endroit où il s’élevait jadis, s’appelait le champ du Bocenno. On montrait dans ce champ, avec une religieuse terreur, un espace où, de mémoire d’homme, jamais la charrue n’avait passé. Cent fois l’expérience en avait été tentée : arrivé là, l’attelage se cabrait et reculait l’effrayé; que si l’on pressait davantage, les pauvres boeufs s’effarouchaient jusqu’à briser parfois la charrue.
« Prenez garde à l’endroit de la chapelle! »
disait-on par manière de proverbe aux paysans qui allaient labourer le champ du Bocenno. Quelques pierres éparses qu’un honnête fermier de Keranna avait cru pouvoir utiliser pour en consolider les murs de sa grange: voilà ce qui restait de l’antique sanctuaire élevé par saint Mériadec en l’honneur de sainte Anne.
Yves Nicolazic, de Keranna
C’était en 1623. Le Saint-Siège était occupé par le saint Pontife Grégoire XV. Louis XIII était roi de France et venait d’épouser la pieuse reine Anne d’Autriche, tertiaire de Saint-François.
Le hameau de Keranna faisait partie de la paroisse de Pluneret, près Auray. Le Recteur ou Curé de Pluneret, était alors dom Silvestre Rodouez; il avait pour vicaire dom Jean Thominec. Tous deux étaient d’humeur assez difficile.
Un de leurs meilleurs paroissiens, alors âgé d’environ quarante ans, était un laboureur, nommé Yves Nicolazic. Sa réputation de vertu et de droiture, sa piété et l’innocence de sa vie avaient fait de lui l’exemple et l’arbitre du voisinage. De père en fils, les Nicolazic cultivaient depuis longtemps la ferme qui contenait le champ du Bocenno, Yves Nicolazic était un bon paysan breton de l’ancienne roche, au visage tranquille et ascétique, doux et grave tout à la fois; son front était élevé et reflétait la paix de son coeur; ses cheveux, courts par devant, couvraient son cou par derrière, suivant l’usage immémorial du pays. Son regard intelligent et doux inspirait la confiance, et toute sa physionomie révélait la force du paysan breton avec la douceur du chrétien et de l’homme de prières. Il était marié avec Guillemette Le Roux, et il n’avait point d’enfants.
C’est lui que Noire-Seigneur avait choisi comme instrument de la glorification de sainte Anne, sa bienheureuse aïeule, comme il devait choisir deux siècles et demi plus tard, l’humble petite Bernadette pour faire glorifier à Lourdes sa Mère immaculée.
Le bon Nicolazic se préparait, sans le savoir, à sa sainte destinée par une dévotion extraordinaire et chaque jour croissante envers sainte Anne, la bonne Mère et Maîtresse des Bretons. Dès sa plus tendre enfance, il avait uni dans un môme sentiment de religion et d’amour la Vierge immaculée, et sainte Anne sa Mère, qu’il aimait à nommer « sa. bonne Maîtresse ». Il s’approchait souvent des sacrements, et sanctifiait toujours le travail par la prière.
Premières manifestations de sainte Anne au bon Nicolazic.
Une nuit du mois d’août 1623. vers onze heures du soir, Nicolazic vit tout à coup sa chambre illuminée d’une clarté éblouissante, qui provenait d’un lambeau de cire que soutenait en l’air une main mystérieuse. Le prodige dura, disait Nicolazic lui-même, « l’espace de deux Pater et de deux Ave ».
C’était le commencement des avertissements célestes. Dans les quinze mois qui suivirent, ce phénomène surnaturel se renouvela, plusieurs fois. Souvent, à son réveil, il apercevait devant lui et la main mystérieuse et le (lambeau allumé. Plusieurs fois aussi le soir, quand il rentrait chez lui, le flambeau resplendissait à ses cotés, sans que le vent agitât la flamme.
Près du champ du Bocenno, dans une prairie qui faisait partie de sa ferme, il y avait une fontaine, où Nicolazic et Jean Le Roux son beau-frère menaient boire leurs bestiaux. Un soir d’été, en 1624, une heure environ après le coucher du soleil, comme ils y conduisaient leurs boeufs, ceux-ci s’arrêtèrent tout à coup refusant d’avancer.
Les deux fermiers aperçurent avec stupeur, au-dessus de la fontaine, une grande et belle lumière, et, au milieu de cette lumière, une éblouissante apparition. C’était une dame majestueuse, toute vêtue de blanc, et tournée vers la fontaine. Il se sauvèrent éperdus; puis, s’étant rassurés, ils revinrent sur leurs pas ; mais tout avait disparu.
Cette dame au blanc vêtement n’était autre que sainte Anne, comme on va le voir ; et la fontaine, qu’elle visita ainsi plus d’une fois, est cette fameuse « fontaine de sainte Anne, » dont les eaux, sanctifiées par la sainte Mère de Marie , ont été depuis lors l’instrument de tant de miracle. Nicolazic ne savait pas encore que c’était sainte Anne qui venait de lui apparaître. Craignant les illusions du démon, il alla tout raconter à son confesseur, un bon capucin d’Auray, nomme le P. Modeste. Celui-ci l’engagea à redoubler de prières et à garder sa conscience bien pure, afin de ne pas donner prise au démon.
Il obéit, et Dieu récompensa son humble docilité. La blanche dame de la fontaine revint souvent le visiter, tantôt près de la source, tantôt près de sa maison, quelquefois même clans sa grange et en d’autres endroits. La céleste apparition ne l’effrayait plus. Debout sur son nuage, le flambeau à la main, elle se tenait devant lui, majestueuse et douce, enveloppée dans les plis de son vêtement lumineux.
A deux reprises, le bon laboureur entendit, au Bocenno, sur l’emplacement de l’antique chapelle, des harmonies célestes : ce lieu béni lui apparaissait éclairé d’une lumière extraordinaire, et une fois entre autres la clarté, provenant comme toujours du flambeau mystérieux, s’étendait du Bocenno jusqu’au village. Nicolazic priait en silence, croissait en grâces, et attendait
Nouvelles manifestations, plus explicites
Je prie le bon lecteur de remarquer ici la conformité touchante des prodiges répétés de Keranna avec ceux de la grotte de Lourdes. Sainte Anne et la Vierge immaculée ont la môme manière de faire; et, pour remuer les peuples, la Mère se sert, comme la Fille, des pauvres et des petits. Toutes deux, elles apparaissent dans une lumière toute céleste ; toutes deux sont vêtues de blanc, symbole d’innocence et de gloire ; toutes doux gardent longtemps le silence, et ne se nomment qu’après avoir longtemps préparé les voies, l’une au pauvre paysan de Keranna, l’autre à la pauvre petite bergère de Lourdes.
Dans les apparitions multipliées de l’une comme de l’autre, tout est grave, tout est noble, simple, plein de grâce, de douceur et de sainteté.
Le 20 juillet 1624, veille de la fête de sainte Anne, le bon Nicolazic rentrait chez lui, à la tombée de la nuit, le chapelet a la main, le coeur tout à Dieu. Au moment où il passait devant une croix de pierre qui se voit encore sur l’ancienne route d’Auray, à un petit quart de lieue de Keranna, l’apparition lumineuse se dressa tout à coup devant lui. Comme toujours, la dame était vêtue de blanc, portée par une nuée, environnée d’éclat, et elle tenait à la main le flambeau allumé. Elle appela Nicolazic par son nom, l’encouragea par de bonnes et douces paroles, et, marchant devant lui, elle le conduisit jusqu’à sa demeure. Alors, s’élevant majestueusement dans les airs, elle disparut.
Le bon paysan était tellement ému, qu’il ne put souper avec sa femme et ses serviteurs. Afin de cacher son émotion et de prier plus librement, il se retira dans sa grange, et s’étendit sur la paille. Mais il ne put fermer l’oeiL Vers le milieu de la nuit, il entendit comme un bruit confus de voix, et comme une multitude qui passait devant la grange. Très étonné, Nicolazic se lève, ouvre la porte… Il n’y avait personne. De plus en plus ému, il rentre, prend son chapelet et se met à genoux.
« Seigneur, dit-il, ayez pitié de moi, et ne permettez pas que je sois le jouet du démon. Mon unique désir, vous le savez, c’est de faire en tout votre sainte volonté. »
Il avait à peine fini que la grange se remplit soudain d’une grande clarté; et une voix se Fait entendre, qui lui dit en breton :
« N’avez-vous pas oui dire qu’il y eut jadis une chapelle dans le Bocenno? »
Avant qu’il eût pu répondre, la dame majestueuse apparut au milieu de la lumière; et regardant avec bonté le pauvre paysan qui, saisi d’une crainte religieuse, tremblait à ses pieds :
«Yves Nicolazic, lui dit-elle (toujours en breton), ne craignez point. Je suis Anne , Mère de Marie . Dites à votre Recteur que, dans la pièce de terre que vous appelez le Bocenno, il y a eu autrefois, même avant qu’il y eût ici aucun village, une chapelle dédiée en mon nom. il y a 924 ans et six mois qu’elle a été ruinée. Je désire qu’elle soit rebâtie au plus tôt, et que vous vous chargiez de ce soin. Dieu veut que j’y sois honorée. »
Après quoi elle disparut, avec la lumière. Nicolazic, le coeur plein de joie et tout ensemble de confusion,
s’endormit paisiblement, avec la bénédiction de « sa bonne Maîtresse. »
Nicolazic et le Recteur de Pluneret – Suite des apparitions et des prodiges
A son réveil, le bon Nicolazic se prit à réfléchir. Il ne vit plus que les côtés difficiles, ou pour mieux dire les impossibilités de sa mission, et resta six semaines dans une pénible incertitude.
Sa « bonne Maîtresse » eut compassion de lui, et vint le visiter, resplendissante comme toujours et vêtue de blanc.
« Ne craignez point, mon Nicolazic, lui dit-elle avec bonté, et ne vous mettez pas en peine. Découvrez à votre Recteur, en confession, ce que vous avez vu et entendu; et ne tardez plus à m’obéir. Conférez-en aussi avec quelques gens de bien, afin de savoir comment vous devez vous y prendre.»
Elle le bénit, et disparut. Encouragé par ces bonnes paroles, le pieux serviteur de sainte Anne alla, dès le lendemain, se confesser et tout raconter au Recteur de Pluneret. Celui-ci le reçut fort mal, le traita d’extravagant, et, comme on dit vulgairement, l’envoya promener. Il eut tort sans doute; mais, en pareil cas, un excès de prudence et de franchise vaut mieux peut-être que la crédulité.
Attristé, mais non découragé, Nicolazic communia pieusement dans l’église de Pluneret, et s’en revint à Keranna. Dès la nuit suivante, sainte Anne lui apparut encore, pleine de douceur.
« Ne vous mettez pas en peine, Nicolazic, de ce que les hommes diront de vous. Faites ce que je vous ai dit ; et pour le reste, reposez-vous-en sur moi. »
Malgré ces consolantes paroles, le pauvre Nicolazic hésita sept semaines encore. Les duretés de son Recteur lui revenaient sans cesse à l’esprit; et il fallut que la bonne Mère sainte Anne vint de rechef lui rendre un peu de courage. Sans lui faire de reproches, elle lui dit, dans une quatrième apparition :
« Consolez-vous, Nicolazic; l’heure va venir où ce que je vous ai dit s’accomplira. »
Enhardi par cette promesse, Nicolazic lui répondit naïvement :
« Bon DIEU, ma bonne Maîtresse, quand je dirai qu’il y a eu une chapelle en ce lieu où je n’en ai jamais vu et où il n’en reste aucune trace, qui me croira? Et puis, qui est-ce qui fournira aux frais de ce bâtiment? Vous savez comment m’a reçu notre Recteur et comment il m’a traité »
« Ne vous en mettez pas en peine, mon Nicolazic, répliqua la bonne sainte Anne; faites seulement ce que je vous dis. Je vous donnerai de quoi commencer, et jamais rien ne manquera, non-seulement pour bâtir, mais encore pour faire d’autres choses qui étonneront le monde. »
Affermi désormais et inébranlable dans sa confiance, le saint paysan de Keranna alla de nouveau trouver le Recteur de Pluneret et son vicaire ; et, malgré les railleries qui accueillirent cette nouvelle communication, il s’en revint plus décidé que jamais à obéir à sainte Anne. Celle-ci daigna le fortifier par de nouveaux prodiges.
Vers la fin de l’été, un soir où, au clair de la lune, il chargeait du mil, pour le transporter dans sa grange, il vit tomber une pluie d’étoiles, depuis le Bocenno jusqu’à sa chaumière. Dans le même temps, trois personnes d’un canton voisin, appelé Pluviguer, revenant du marché d’Auray, vers neuf heures du soir, virent, au même endroit, descendre du ciel, une dame majestueuse vêtue de blanc, environnée d’une éblouissante clarté, et ayant à ses côtés, deux flambeaux allumés.
La vie de Nicolazic s’écoulait ainsi au milieu des manifestations surnaturelles de la puissance de sainte Anne ; et ces grâces répétées, jointes aux contradictions et aux épreuves, avaient fait de cet humble laboureur un homme tout nouveau. Pendant la nuit, il lui arriva plus d’une fois d’être transporté, sans savoir comment, au bienheureux champ du Bocenno ; et là, ravi, en extase, il entendait des chants célestes et oubliait les heures.
Découverte de la statue miraculeuse de sainte Anne.
D’après le conseil de sa « bonne Maîtresse » Nicolazic avait ouvert son coeur à divers amis, dont il connaissait la foi et la prudence. Il trouva lumières et consolations, entres autres auprès du seigneur de Kermadio ; auprès de Yves Richard, prêtre et son voisin de Keranna ; et auprès d’un autre chrétien du voisinage, Julien Lezulit, marguillier de la paroisse.
Le premier lundi de mars 1625, sainte Anne lui apparut; c’était la cinquième fois depuis qu’elle s’était fait connaître. Elle lui reprocha doucement ses lenteurs, et lui dit qu’à l’endroit qui lui serait montré, dans le champ du Bocenno, elle voulait qu’il lui élevât une chapelle.
« Une lumière du ciel, ajouta-t-elle, vous fera découvrir mon ancienne image, dans l’endroit du champ qui vous sera indiqué. »
Et Nicolazic, surnaturellement transporté dans le champ béni, l’avait trouvé tout inondé de lumières, et avait entendu comme le bruit de grandes multitudes, qui semblaient briser les haies et franchir les fossés pour y pénétrer. Pour obéir à sa « bonne Maîtresse, » il alla une troisième fois au presbytère de Pluneret, en compagnie du bon Lezulit. Avec sa candeur ordinaire, il raconta tout au Recteur et au vicaire, qui, cette fois, s’emportèrent jusqu’aux menaces les plus violentes : s’il persévérait dans sa folie, on l’excommunierait, on lui interdirait l’entrée de l’église, et s’il venait à mourir avec ces idées, on lui refuserait la sépulture ecclésiastique.
Menaces ridicules dans la bouche de simples prêtres, à qui l’Eglise ne donne point un tel pouvoir. Nicolazic ne répondit rien et s’en revint au logis, l’âme dans une paix profonde. Sainte Anne lui apparut encore, approuva sa conduite, et l’exhorta à mettre lui-même la main à l’œuvre sans plus de retard, et avec une entière confiance.
« Alors, faites-donc quelque miracle, ma bonne Maîtresse, lui dit le saint homme, pour que tout le monde connaisse votre volonté. »
« Allez, lui répondit sainte Anne ; confiez-vous eu Dieu et en moi ; bientôt vous verrez des miracles, et en abondance ; et l’affluence du monde qui viendra m’honorer en ce lieu sera le plus grand de tous. »
Le lendemain matin, 7 mars, à la place où le flambeau mystérieux était apparu au bon paysan, la femme de Nicolazic aperçut douze quarts d’écus, rangés trois par trois, et qu’aucune main humaine n’avait placés là. Nicolazic, ne doutant pas que cela ne vint de sainte Anne, alla aussitôt les montrer au presbytère, où il fut fort mal reçu du vicaire, dom Thominec.
Les Pères Capucins d’Auray, qu’il alla consulter ensuite, ne furent pas aussi durs pour lui, et rengagèrent seulement à beaucoup de prudence. Fatigué et quelque peu attristé, le bon laboureur rentra chez lui et se retira le soir de bonne heure pour réciter son chapelet. Pendant qu’il priait ainsi, vers les onze heures, la clarté et le flambeau qu’il connaissait si bien, remplirent sa chambre d’une vive lumière: il leva les yeux et aperçut la bienheureuse apparition, toute rayonnante, pleine de charme et de majesté.
« Yves Nicolazic, lui dit sainte Anne, appelez, vos voisins et menez-les avec vous au lieu où ce flambeau vous conduira. Vous y trouverez l’image qui vous mettra à couvert des risées du monde ; on connaîtra enfin la vérité de ce que je vous ai promis. »
Et elle disparaît. Ravi de joie, Nicolazic se lève aussitôt et sort. Le flambeau de sainte Anne marchai! devant lui, éclairant ses pas. il arrive au Bocenno ; mais là, il se rappelle la recommandation de sainte Anne :
« Appelez vos voisins, et menez-les avec vous. »
il s’en retourne et revient bientôt accompagné de son fidèle Julien Lezulit, de Jean Le Roux son beau-frère, et de trois autres de ses voisins, Sur le champ du Bocenno où arrivent tout émus les six témoins de sainte Anne. le flambeau miraculeux brille toujours, élevé à trois pieds de terre environ, et les précédant.
« Le voyez-vous ? s’écrie Nicolazic avec transport. Allons, mes amis, allons où Dieu et Madame sainte
Anne nous conduiront. »
Ils suivent la céleste lumière ; ils entrent dans le Bocenno. Tout a coup, le flambeau s’arrête ; trois fois il s’élève et redescend ; puis il disparaît dans la terre, à un endroit couvert de seigle vert. Nicolazic s’élance, met le pied à la place où le flambeau s’était enfoncé dans le sol.
« Ici, dit-il à Jean Le Roux. Prenez votre hoyau et creusez. »
En cinq ou six coups de tranche, le hoyau atteint du bois.
«Qu’un d’entre vous, s’écrie Nicolazic, aille vite jusqu’au village quérir un tison de feu et un cierge bénit de la Chandeleur. »
Quelques instants après, le cierge étant allumé, tous se mettent à l’oeuvre, et tirent de terre une statue de bois vermoulue, d’environ trois pieds de haut, représentant sainte Anne, et portant encore les traces de la couleur blanche dont la robe avait été peinte jadis. Les extrémités étaient à moitié détruites par l’humidité. N’osant y toucher avant le plein jour, ils la déposèrent sur le talus du fossé voisin, et rentrèrent chez eux pleins de joie. C’était la nuit du vendredi 7 au samedi S mars.
Dès la pointe du jour, Nicolazic avec quelques autres amis revint voir la statue. Malgré les altérations causées par les siècles st l’humidité de la terre, on reconnaissait, aisément l’image de sainte Anne. Elle reparaissait ainsi A la lumière après plus de 924 ans !
Malgré les rebuts dont il avait si cruellement souffert, le bon serviteur de sainte Anne, tout se déroula comme Sainte Anne l’avait annoncée et Nicolazic a eu la chance d’être le témoin de l’arrivée de grandes troupes de pèlerins, qui arrivaient à Keranna de partout. D’après la longueur du trajet, on calcula que ces multitudes avaient du se mettre en route depuis plusieurs jours, c’est-à-dire depuis le moment où la statue miraculeuse de sainte Anne avait été découverte. On ne sait comment ils avaient entendu l’appel de sainte Anne, et de quelle ardeur subite ils avaient tous été saisis pour aller en pèlerinage à Keranna. C’était la réalisation de la prophétie de sainte Anne elle-même. Comme on se le rappelle, elle avait annoncé cette soudaine et prodigieuse affluence comme la plus étonnante: des merveilles qui allaient manifester sa puissance en ce lieu.
Source : Œuvres de Mgr de Ségur tome XI 1893