Soulagement des âmes du Purgatoire considéré comme œuvre de justice
in , , , , ,

Soulagement des âmes du Purgatoire considéré comme œuvre de justice


IMPRIMER CET ARTICLE / Faire un don à Lecatho.fr

Le soulagement des âmes du Purgatoire, il faut dire maintenant ce que nous devons faire pour elles. Il y a là, comme je le dirai plus loin, une obligation générale de charité, mais quelquefois, il y a plus, à l’égard de certaines âmes, il y a une obligation rigoureuse de justice, et c’est ce que je vais établir ici.

Ce n’est pas en vain que l’auteur de l’Imitation nous avertit de faire des œuvres satisfactoires, pendant notre vie, et de ne pas trop compter sur nos héritiers, toujours pressés d’entrer en possession des biens que nous laissons, mais qui, trop souvent, négligent d’acquitter les pieuses fondations que nous avions faites, pour le soulagement de notre pauvre âme.

C’est un fait d’expérience journalière ; une famille, qui vient d’être mise en possession d’une fortune quelquefois considérable, marchandera à un malheureux défunt, les quelques suffrages qu’il s’était réservés, et, si les subtilités de la loi civile s’y prêtent, on n’aura pas honte de faire casser un testament, sous prétexte de captation, afin de se débarrasser de l’obligation d’acquitter les legs pieux qui y sont réclamés.

Eh bien !, c’est là, il faut que les familles le sachent, c’est là une cruauté abominable. Voler un pauvre, dit le IV Concile de Carthage, c’est se faire son meurtrier ; que dire de celui qui ne rougit pas de dépouiller un malheureux défunt ! Egentium necatores !

Aussi, ceux qui se rendent coupables de ce vol sacrilège sont ordinairement punis de Dieu, et d’une manière très sévère. On s’étonne quelquefois de voir se fondre entre les mains d’héritiers avides une belle fortune ; une sorte de malédiction semble planer sur certains héritages. Au jour de la manifestation des consciences, on verra souvent que la cause de ces ruines était dans l’avarice et la dureté de cœur des héritiers, qui avaient négligé d’acquitter les legs dont leur héritage était chargé.

À Milan, raconte le Père Rossignoli, une magnifique propriété avait été ravagée par la grêle, alors que les voisins n’avaient rien éprouvé de fâcheux.

On ne savait à quoi attribuer cet accident, lorsque l’apparition d’une âme du Purgatoire fit connaître que c’était le juste châtiment dont Dieu avait puni des enfants ingrats et sans cœur. Les histoires sont pleines de récits, où l’on parle de maisons hantées, rendues inhabitables, au grand détriment de leurs propriétaires ; quand on va au fond de tout cela, on trouve toujours une âme oubliée des siens, et qui réclame l’acquittement des suffrages qui lui sont dus.

Faisons aussi large que vous le voudrez la part de l’imagination, de l’illusion, de la fourberie même, il restera toujours assez de faits parfaitement prouvés, pour apprendre aux héritiers sans entrailles comment Dieu punit, même dès cette vie, ces vols sacrilèges. Mais, c’est surtout dans l’autre vie que la justice divine trouve à s’exercer sur ces coupables détenteurs du bien des morts.

Le Saint-Esprit l’a dit par la bouche de Saint Jacques : Un jugement sans miséricorde à qui s’est montré sans miséricorde. — Judicium sine misericordia, illi qui non fecit misericordiam. (Saint Jacq. 11-13. )

Si cela est vrai, à quelle rigueur de jugement ne doit pas s’attendre celui dont l’abominable avarice a laissé, pendant des mois, des années, des siècles peut- être, l’âme d’un parent, d’un bienfaiteur, au milieu de ces effroyables supplices du Purgatoire.

Au temps de l’empereur Charlemagne, un brave soldat, qui avait guerroyé sur tous les champs de bataille de l’Europe, se voyant à son lit de mort, fit venir un sien neveu, son unique héritier, et lui dit :

« Beau fils, je n’ai pour tout bien que mon cheval et mes armes ; inutile de faire un testament. Les armes seront pour loi ; quant au cheval, lorsque je ne serai plus, je te recommande instamment de vendre cet animal, et d’en distribuer le prix aux pauvres et aux prêtres, pour que les uns offrent à mon intention le divin Sacrifice, et que les autres me secourent de leurs prières. »

Le neveu promet tout en pleurant. Le défunt, une fois en terre, il prend le cheval, et l’emmène pour le vendre. La bête était belle, et d’un prix bien supérieur à celui des armes. Il commença par trouver que rien ne pressait de s’en défaire tout de suite, que peut- être, en attendant un peu, il en trouverait un meilleur prix, ce qui serait à l’avantage du défunt ; puis il s’en servit pour quelques petits voyages, car à quoi bon laisser cette bête à l’écurie.

Les jours se passèrent, puis les semaines, puis les mois ; le neveu ne pensait plus à s’acquitter de sa promesse, mais Dieu sut bien la lui rappeler. Un matin, il y avait six mois que le défunt était mort, il apparut à son héritier infidèle.

« Malheureux, lui dit-il, tu n’as pas eu pitié de l’âme de ton oncle ; où est la promesse que tu m’as faite à mon lit de mort ; cœur plus dur que la pierre ; à cause de ton manque de foi, j’ai souffert des supplices inexprimables dans le Purgatoire ; mais Dieu a eu pitié de moi, aujourd’hui, j’entre dans la félicité des saints ; mais toi, tu vas mourir à ton tour, et, par un juste jugement, tu souffriras tout le temps qu’il me restait à expier, et cela, sans préjudice du temps réservé à tes propres fautes. »

Quelques jours après, le neveu tomba malade ; il fit appeler un prêtre, lui raconta la vision qu’il avait eue ; puis il mourut, et sans doute, il alla subir la seconde partie de la peine qui lui avait été annoncée en punition de son injustice. Avis aux héritiers infidèles.

Je trouve, dans la vie de Raban Maur, par Trithème, un récit encore plus émouvant des justices du Seigneur sur ces voleurs sacrilèges.

Raban Maur, premier abbé du célèbre monastère de Fulda, et plus tard archevêque de Mayence, était plein de charité pour les défunts. Selon les constitutions de l’ordre de Saint-Benoît, lorsqu’un frère vient à mourir, on doit donner, pendant trente jours, sa ration aux pauvres, afin que l’âme du défunt soit soulagée par cette aumône, qui est faite en son nom.

Or, il arriva, en l’an 830, qu’une sorte de peste enleva coup sur coup, un grand nombre de religieux, et parmi eux, un des supérieurs. Raban Maur fit appeler le Père Procureur, nommé Edelard, et lui recommanda de faire distribuer aux pauvres les rations accoutumées, ajoutant que s’il y manquait, Dieu le châtierait sévèrement.

Hélas ! l’avarice se glisse jusque dans le cloître, Edelard promit tout et n’en fit rien.

« À quoi bon, pensait-il, nourrir tant de mendiants ? Il vaut mieux réserver ce que nous avons, pour les Pères qui ont survécu au fléau. »

Un soir, accablé d’affaires, il avait veillé au-delà du temps marqué par la règle, et il s’en allait se reposer à son tour. Comme il traversait la salle du Chapitre, un flambeau à la main, il voit l’abbé, entouré de ses moines, qui tenaient conseil.

Que peuvent-ils faire à cette heure ? Il regarde tout surpris ; ô terreur ! ce n’est pas l’abbé ; c’est le Supérieur défunt, entouré des autres moines défunts. L’épouvante le retenait à sa place, quand deux moines se détachant de leur stalle, viennent à lui, le dépouillent de ses habits, et, sur l’ordre du supérieur, lui administrent une forte discipline.

En même temps, le Supérieur lui disait :

« Reçois, malheureux, le châtiment de ton avarice ; mais ce n’est rien encore, un châtiment plus terrible t’attend dans la tombe, où tu descendras dans trois jours. »

Alors tous les suffrages qui te sont réservés seront appliqués à ceux que ton abominable avarice a privé des leurs. En descendant au chœur, à minuit, pour chanter matines, la communauté le trouva étendu, sanglant et tout couvert de plaies. On s’empresse autour de lui, on le transporte à l’infirmerie ; mais lui, d’une voix mourante :

« Hâtez-vous, dit-il, d’appeler le Père Abbé. J’ai plus besoin des remèdes spirituels que d’aucun autre, car ces membres ne doivent pas guérir. »

Dès que l’abbé fut là, il raconta, en présence de ses frères, la terrible vision qu’il avait eue, et dont ses blessures attestaient assez la vérité, puis il reçut les sacrements avec de vifs sentiments de contrition, et s’éteignit doucement, au bout des trois jours qui lui avaient été marqués. On chanta aussitôt la messe des défunts, on célébra pour lui les trente messes de règle, et, pendant un mois, on distribua fidèlement sa ration aux pauvres ; au bout de ce mois, le défunt apparut à Raban Maur, pâle et défiguré par d’atroces souffrances.

– « Cher frère, que pouvons-nous encore faire pour vous ?« 

– « Je vous remercie, ô Père très miséricordieux, des suffrages que vous m’avez déjà accordé, mais ils n’ont pas pu me délivrer de mes peines ; la justice de Dieu les ayant appliqués à ceux de mes frères que j’avais frustrés des leurs. Je vous supplie donc, ô Père très bon, de redoubler de prières et d’aumônes, car je ne puis sortir d’ici avant la délivrance de mes frères, il faut donc travailler à nous délivrer tous, eux d’abord, moi ensuite ; ainsi le veut la justice divine.« 

On continua à prier et à faire des aumônes ; au bout d’un second mois, l’âme d’Edélard apparut de nouveau, il était vêtu de blanc, le visage joyeux, son expiation et celle de ses frères était achevée. Mais il ne suffit pas d’acquitter fidèlement les legs pieux auxquels les défunts ont droit, il faut encore le faire sans retard.

Quelques théologiens ont prétendu, il est vrai, que la négligence à cet égard ne saurait préjudicier au défunt, qui bénéficie immédiatement des suffrages qu’il s’est réservés, et la raison qu’ils en donnent, c’est que le défunt ayant fait de sa part tout ce qu’il fallait pour s’assurer ces suffrages, il ne serait pas juste qu’il en fût privé par la négligence d’autrui ; mais cette raison ne me paraît rien moins que convaincante.

N’oublions pas que nous sommes ici sous le régime de la justice stricte. Des fautes ont été commises, l’expiation doit suivre nécessairement, à moins que l’on offre à Dieu des œuvres satisfactoires ; or, ces œuvres n’existent pas encore ; la justice de Dieu peut donc les regarder comme non avenues, et, de fait, toutes les apparitions des âmes, qui viennent se plaindre de la négligence qu’on met à les secourir, montrent bien que Dieu ne leur applique ces suffrages qu’au moment précis où ils lui sont offerts.

Mais, dira-t-on, il dépend donc de nous de prolonger le Purgatoire d’un malheureux défunt, et sans qu’il y n’ait en rien sa faute ? – Oui, répondrai-je, et c’est en cela précisément que consiste le crime de ces héritiers avides, qui diffèrent sans fin d’acquitter les legs pieux d’une succession ; cela me paraît d’autant plus certain, que bien souvent ces suffrages que le défunt avait demandés pour son âme, ne sont, au fond, que des restitutions déguisées.

C’est là ce que les familles ignorent trop souvent. On trouve très commode de parler de captations et d’avidité cléricale ; on fait casser un testament sous ces beaux prétextes ; et, bien souvent, le plus souvent peut-être, il s’agissait d’une restitution nécessaire. Le prêtre n’était que l’intermédiaire, obligé au secret le plus absolu, par la confession dont il est le dépositaire.

Un mourant a commis des injustices, cela arrive plus souvent que l’on ne pense, même à de très honnêtes gens selon le monde ; au moment de paraître devant Dieu, ce malheureux se confesse ; il veut réparer, mais le temps lui manque, il ne veut pas révéler à ses enfants ce triste secret. Que fait-il ? il couvre sa restitution sous le voile d’un legs pieux.

Si ces legs ne sont pas acquittés, que va-t-il advenir ? l’infortuné sera-t-il retenu dans le Purgatoire indéfiniment ?, ce serait bien dur. Cependant, ne nous rassurons pas trop vite ; des apparitions fort nombreuses témoignent en ce sens. Nous ne pouvons être admis au séjour de la béatitude tant que la justice reste lésée.

Voilà ce qu’elles déclarent toutes ; d’ailleurs ces âmes sont coupables, en un certain sens, de ce long retard apporté aux droits de leurs créanciers, si, comme elles le devaient, elles n’avaient pas attendu au dernier moment pour régler leurs affaires temporelles, le prochain n’aurait pas à attendre, indéfiniment peut-être, le payement de ce qui lui est dû.

Elles souffrent cruellement, dit-on ; mais le pauvre prochain qu’elles ont lésé, est-ce qu’il ne souffre pas lui aussi ? Res clamat Domino ; tant que la restitution ne sera pas faite, ce cri de la justice lésée se fera entendre contre ces âmes. Il faut donc, je le crois, s’en tenir à l’axiome des théologiens : pas de restitution, pas de Paradis.

Que si, par la mauvaise foi des héritiers, la restitution ne doit jamais se faire, il est clair que cette âme ne saurait rester indéfiniment en Purgatoire ; mais dans ce cas, un long retard à son entrée dans le Ciel me paraît une compensation très équitable d’une injustice que cette âme infortunée a rétractée, il est vrai, mais dont elle avait posé la cause toujours subsistante et toujours efficace.

Et maintenant, songeons-y, quelle effroyable dureté de cour ne faut-il pas, pour laisser s’écouler les jours, les semaines, les mois, les années quelquefois avant d’acquitter une dette aussi sacrée. Oh ! que notre foi est faible ! si un animal domestique, si un chien tombait dans le feu, est-ce que nous attendrions pour l’en retirer ?

Mais ce sont nos parents, nos bienfaiteurs, nos amis qui se tordent dans les flammes du Purgatoire ; rien ne presse. Ils passeront après tous les autres créanciers, après nos commodités et les exigences de notre luxe. Ne faut-il pas liquider la succession, nous mettre en possession de l’héritage, nous habituer à notre nouvelle position ?

À lire aussi | Les conséquences du silence autour du diable dans l’Église

Il sera toujours temps, d’acquitter cette dette, et les âmes du Purgatoire sont des créancières commodes ; on ne risque pas, au moins d’ordinaire, de les rencontrer sur son chemin pour réclamer ce qui leur est dû. Oh ! l’effroyable dureté de cœur ! oh ! la cruelle injustice ! Il n’y a pas que les legs pieux laissés par les défunts qui créent une obligation de justice à leur égard.

Nous avons des parents, des bienfaiteurs, des amis; est-ce que nous ne leur devons rien ? hélas !, c’est bien souvent à cause de nous qu’ils sont punis. Cette mère a été trop faible pour ses enfants ; ce père a commis des injustices pour arrondir leur fortune. Leur dirons-nous la froide parole des prêtres déicides à Judas : Cela ne nous regarde pas ; c’est votre affaire !

Source : Le purgatoire d’après les révélations des Saints – Abbé Louvet – 1883

Qu'est-ce que tu penses de l'article ?

Laisser un commentaire