Donner au bien de la publicité, c’est contribuer activement à l’étendre et à le développer. Mais le sentiment qui nous porte à manifester la vertu, pour l’édification de nos semblables, ce sentiment si élevé et si généreux appelle de lui-même quelque chose de plus.
Il ne se peut pas, en effet, que le récit d’une belle action vienne se placer sur nos lèvres sans provoquer de notre part un témoignage d’estime et d’admiration. Expression fidèle de notre pensée intime, ce témoignage est susceptible de recevoir différentes formes : il devient la louange dans la bouche de l’orateur ou sous la plume de l’écrivain; il prend l’accent de l’enthousiasme sur la lyre du poète; il se confond avec le murmure approbateur du suffrage populaire; et enfin, quand nous avons le droit ou la mission de distinguer le mérite en l’entourant d’honneurs, ce témoignage peut grandir et s’élever jusqu’à la récompense.
Assurément, Mes Frères, c’est en elle-même que la vertu trouve ici-bas la première et la plus douce des récompenses. Quand vous faites le bien, que vous pratiquez cette chose si sainte, mais souvent si pénible, qui s’appelle le devoir, et que vous remportez la victoire la plus difficile de toutes, celle de se vaincre soi-même, il se produit en vous ce je ne sais quoi qui réjouit l’âme, qui dilate le cœur, qui parfume la vie; une émotion qui ne ressemble à aucune joie de la terre, et qu’on dirait une anticipation sur la félicité céleste.
Dieu, qui savait ce qu’il en coûterait à l’homme de briser son égoïsme, Dieu n’a pas voulu que le sacrifice demeurât sans récompense immédiate et qu’il ne reçût de couronne que dans un avenir lointain. C’est pourquoi il a placé en chacun de nous un tribunal devant lequel se discutent nos actes, et un juge qui, seul de tous les juges de la terre, a le privilège de décréter le bonheur.
Non, il n’est pas d’autorité qui couvre sa voix; contre sa sentence il n’y a pas d’appel. C’est de la conscience que surgit le laurier qui ceint le front des élus du bonheur. L’histoire l’a dit, l’expérience le proclame : les vrais heureux de ce monde, ce ne sont pas les hommes de plaisir, ce ne sont pas les riches à millions; ce sont les hommes à qui leur conscience rend le témoignage qu’ils n’ont pas failli au devoir et à l’honneur; ce sont les hommes de bien.
Mais si la vertu trouve déjà une récompense dans le bonheur intime qui l’accompagne et qui la suit, ce n’est pas à dire que les hommes ne puissent et ne doivent ajouter leur témoignage à celui de la conscience. Il faut qu’à la voix de ce juge intérieur réponde, éclatante et haute, la voix de la société; et Dieu n’aurait pu départir à l’humanité une plus noble prérogative que de partager avec elle le droit et le pouvoir de récompenser la vertu. Or, Messieurs, quand je cherche le mobile que vous mettez en jeu pour encourager le bien, je trouve que vous prêtez à vos hommages l’une des formes les plus pures et les plus délicates en faisant appel à un sentiment qui exclut l’intérêt pour ne laisser de place qu’à l’honneur.
L’honneur! Ah! je le sais, ce mot peut paraître profane dans une chaire chrétienne; mais non, il n’y a plus rien de profane dans l’ordre moral, depuis que le Christ a ennobli la nature humaine en l’élevant à la hauteur de sa divinité. Sur les lèvres et dans le cœur du chrétien, l’honneur s’est dépouillé de cette enveloppe fastueuse où se drapait l’orgueil du stoïcien; il s’est transfiguré; il est devenu, sous l’action évangélique, ce mélange de dignité et de délicatesse qui fait que l’homme se respecte, qu’il respecte son caractère, sa parole, son âme, et qu’il ne permet pas au vice d’imprimer une flétrissure à sa mémoire ni d’avilir son nom.
J’aime donc que l’on s’adresse à l’honneur pour récompenser la vertu, à l’honneur qui fait les héros de la patrie, et qui n’est pas un mot vide de sens pour les héros de la foi. Oui, dans ces médailles d’honneur que vous décernez au mérite, comme dans la publicité dont vous cherchez à l’entourer, je trouve, Messieurs, une grande puissance d’action. Car rien n’agit plus fortement sur l’esprit des multitudes que de voir combien l’on porte de respect à tout ce qui est grand et généreux. Les peuples qui ne savent plus honorer la vertu sont bien près de ne plus savoir la pratiquer.
Il y a des sceptiques qui me diront : Qu’est-ce que cela peut faire au progrès des mœurs que d’accorder au bien une distinction honorifique?
Je leur répondrai : Qu’est-ce que cela peut faire au patriotisme que d’attacher à la poitrine des braves le signe de l’honneur? La vertu a ses champs de bataille comme la politique : là aussi il y a des braves qui soutiennent le feu de l’ennemi, et des lâches qui désertent leur poste. Elle doit avoir également ses trophées, afin de rappeler au vainqueur que le courage est devenu pour lui une nécessité, et qu’il ne peut plus reculer désormais sans déchoir de lui-même.
Le peuple n’a pas de parchemins qui lui transmettent une longue chaîne de vertus héréditaires, ni d’armoiries pour lui redire par la bouche de vingt ancêtres : Noblesse oblige. Mais vous, Messieurs, vous lui faites un parchemin de ce témoignage que vous rendez au mérite; vous lui créez un blason qui aura son éloquence ; et quand, plus tard, le fils de l’ouvrier verra cette médaille d’honneur suspendue au bas de l’image du Christ, il se dira devant ce mémorial d’une vie éteinte : Mon père était un homme de bien; la société a couronné sa carrière par un hommage éclatant. Tout le temps qu’il ne donnait pas au travail, il le consacrait à sa famille. Il rendait ma mère heureuse; il élevait ses enfants dans la crainte de Dieu. Le jour du repos, au lieu de suivre le chemin du vice, il prenait celui du devoir religieux et des délassements honnêtes. Charitable autant que laborieux, il trouvait encore dans ses modestes épargnes de quoi venir au secours de ses compagnons visités par le malheur. Non, il ne sera pas dit que l’héritage de ses vertus périra entre mes mains, et que ce signe de l’honneur, conquis en un jour de gloire, deviendra pour son fils un signe accusateur et une marque d’ignominie.
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Vous ne croyez peut-être pas, Mes Frères, que ces sentiments-là soient fréquents dans le peuple. En pensant de la sorte, vous ne lui rendriez pas la justice qui lui est due. Peuple ou non, lorsqu’on parle à des Français, l’on s’adresse à une race fière, haute, ayant le sentiment de l’honneur, et le conservant alors même qu’elle semble tout faire pour le perdre. Et quand elle se trouve en présence d’une société comme celle dont je viens de vous entretenir, lorsqu’elle voit des princes de l’Église, des hommes politiques, des magistrats, des littérateurs, se réunir sous les auspices du souverain lui-même et descendre jusqu’aux derniers rangs du peuple pour y rechercher le bien, le signaler, le louer, le récompenser, croyez bien qu’un spectacle pareil n’est pas perdu pour les masses, et que le niveau des âmes ne peut que s’élever sous l’impression d’un tel acte.
Mes Frères, nous sommes à une époque de l’histoire où le bien et le mal, toujours en présence depuis l’origine du monde, se livrent un combat décisif. Nul ne peut se désintéresser d’une lutte dont dépendent nos destinées. Depuis quelques années surtout, l’on profère autour de nous des mots étranges que nos oreilles chrétiennes n’étaient plus accoutumées à entendre. Dieu n’est pas, le Christ n’est pas, l’âme n’est pas : telles sont les maximes désolantes que des esprits infirmes osent répéter dans des productions plus infirmes encore; et le peuple est là qui regarde, qui écoute et qui lit.
Voilà le danger. Corrompre l’atelier, c’est à quoi le génie du mal n’avait pas songé avant notre époque. Il avait cherché à corrompre le trône, à corrompre le sanctuaire; mais il s’était arrêté devant l’atelier; et, voyant ce travailleur aux mains rudes et calleuses, cet homme dont le lot est si chétif sur la terre, et qui n’a de véritables espérances que dans un monde à venir, il avait consenti à lui laisser sa foi et ses mœurs. De nos jours, il a passé outre, et c’est à la porte de l’atelier qu’il frappe de préférence pour y semer le poison de ses doctrines.
Source : Œuvres de Mgr Freppel Tome II – 1891