Le Pape adressa à Philippe la Bulle « Ausculta fili » dans laquelle il reprochait au roi, sur un ton toujours paternel, la violation des libertés de l’Église, ses usurpations sur les biens du clergé, ses abus dans l’administration du royaume, abus qu’il avait portés au point d’altérer les monnaies, enfin l’oppression qu’il exerçait sur ses sujets séculiers.
« Écoutez, très cher fils, le précepte du Père ; inclinez l’oreille de votre cœur à la doctrine du maître qui tient la place de Celui qui est Maître et Seigneur… C’est à vous que s’exprime notre amour paternel, c’est à vous que l’Église, la tendre Mère, ouvre son cœur… Rentrez dans la voie qui mène à Dieu et dont vous vous êtes écarté à l’instigation de conseillers pervers. Ne vous laissez pas surtout persuader que vous n’avez point de supérieur et que vous n’êtes pas soumis au chef de la hiérarchie ecclésiastique ».
Il est incontestable que Boniface aimait la France, on en a la preuve dans cette constante sollicitude à réprimer autour d’elle ses ennemis, en exhortant tantôt Édouard, roi d’Angleterre, tantôt Adolphe de Nassau à déposer les armes et à ne pas inquiéter la France, en revendiquant avec constance la Sicile pour Charles de Valois, en manifestant le désir de l’élever à la charge impériale ; et lorsque Philippe eut à lutter contre les Anglais, les Flamands, et autres, Boniface vint encore à son secours.
Que le roi fut entouré de conseillers pervers, Henri Martin, l’un des interprètes les plus accrédités de la pensée libérale n’hésite point à le reconnaître :
« Le roi, dit-il, réunit autour de lui tout ce qu’il y avait de plus subtil, de plus ambitieux et de moins scrupuleux parmi les docteurs du monarchisme. C’étaient Flotte et Nogaret, c’étaient les deux frères, le Portier de Marigny, dont le plus célèbre, Enguerrand, eut depuis une si grande puissance et une si tragique fin ».
On sait l’accueil que Philippe est accusé d’avoir fait à la Bulle « Ausculta fili« . Nous devons dire que la science historique conteste actuellement ce qui a été cru jusqu’ici sur le témoignage de certains chroniqueurs. Philippe ne fit point brûler cette bulle en grand apparat sous les yeux du peuple de Paris; mais à la bulle authentique, il en fit substituer une autre plus brève, qu’il rendit publique et où les déclarations du Pontife étaient exagérées à dessein et présentées sous la forme la plus brutale et la plus injurieuse pour le roi.
Cependant le Pape, avec une perspicacité qui ne se trompait point, voyant ce que les paroles et les actes de Philippe devaient amener dans un avenir plus ou moins prochain, s’efforçait de conjurer la rupture.
« Ce que Dieu a joint (l’Église et l’État), disait-il dans le consistoire tenu au mois d’août 1302, que l’homme ne le sépare point ». Et il rappelait l’union de la France à l’Église romaine, il rappelait que cette union avait commencé avec le règne de Clovis et que saint Remi avait fait cette prédiction que le roi et le royaume de France seraient heureux tant qu’ils demeureraient unis à l’Église mais qu’ils périraient dès qu’ils viendraient à se séparer. Hélas ! cette sanction fut exécutée sur Philippe, sur sa famille et aussi sur le peuple de France.
Car Philippe ne fut point seul coupable : peuple, noblesse, clergé, plus ou moins trompés, le soutinrent dans sa révolte. Après avoir, par cette fraude, la substitution d’une bulle apocryphe à la bulle authentique, excité l’opinion contre le Pape, Philippe convoqua à Paris les Prélats et les nobles du royaume avec les députés des villes.
Cette assemblée mémorable à plus d’un titre — elle est dite la première réunion en France des États Généraux — eut lieu le 10 avril 1302 dans l’église de Notre-Dame à Paris.
Un des légistes de Philippe, Pierre Flotte porta la parole au nom du roi, chargé d’interpréter la Bulle, dont il eut soin de ne pas lire le texte. Il termina par ces paroles :
« Nous vous prions donc, comme maître et comme ami de nous aider à défendre les libertés du royaume et celles de l’Église. Nous n’hésiterons pas, s’il le faut, à sacrifier dans ce double but, nos biens, notre vie, et au besoin celle de nos enfants ».
Les nobles écrivirent une lettre collective, où ils s’élevaient hautement contre les prétentions du Saint-Siège. Une lettre analogue fut présentée à la signature des députés des villes. L’une et l’autre furent envoyées, non au Pape, mais aux Cardinaux, que le roi se flattait de gagner aussi à ses intérêts. Les prélats adressèrent à Boniface une lettre embarrassée, où, en définitive, ils se décidaient pour le roi contre le Pape. Ils la terminaient par ces mots :
« C’est une rupture complète qui se prépare en ce moment entre le royaume et l’Église, et d’une manière générale entre le peuple et le clergé. Nous faisons donc humblement appel à votre prudence. En retirant l’injonction que vous nous avez transmise (de se rendre à Rome pour assister au Concile qui devait examiner toute cette affaire), vous agirez pour notre sûreté (Philippe faisait défense de s’y rendre), et vous conserverez entre l’Église et le royaume une union qui semble sur le point de se rompre ».
Boniface adressa aux évêques une lettre où il leur reprochait leur faiblesse. Un certain nombre de prélats se rendirent à Rome malgré la défense du roi, le roi ordonna de saisir leur temporel. Le Pape publia alors la Bulle « Unam sanctam« , renouvelant la doctrine proclamée par Grégoire VII et Innocent III.
Le 12 mars 1303, Philippe réunit une autre assemblée de barons et de prélats; et un autre de ses dévoués légistes, Guillaume de Nogaret, demanda et obtint de porter contre Boniface les accusations de simonie et d’hérésie. Il supplia le roi, dans l’intérêt de l’Église, de se concerter avec les cardinaux, les évêques et les souverains de l’Europe pour réunir un concile général qui jugerait Boniface et ordonnerait, s’il y avait lieu, d’élire un autre Souverain Pontife. Philippe voulait imiter les empereurs allemands jusqu’au bout et susciter comme eux des antipapes.
Le 13 juin, il réunit de nouveau au Louvre en sa présence les seigneurs et les prélats (cette fois plus nombreux), et un autre de ses ministres, Guillaume Duplessi, reprit et développa la requête de Nogaret, priant de nouveau le roi de se faire le défenseur de l’Église et, à ce titre, de provoquer la réunion d’un concile qui déclarerait Boniface indigne du pontificat et s’occuperait des moyens de lui choisir un successeur.
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Philippe déclara qu’il consentait dans l’intérêt de la foi à la requête qui lui était présentée et il invita ses barons et les évêques à y consentir avec lui. Les seigneurs s’empressèrent de donner leur adhésion. Les évêques, après en avoir délibéré, refusèrent de figurer comme partie dans l’accusation, mais ils admirent la convocation du concile, parce que, disaient-ils, ils étaient persuadés que dans un concile général éclaterait à tous les yeux l’innocence du Pontife, dépendant, ils écrivirent au Pape, témoignant qu’ils prêtaient foi, jusqu’à un certain point, aux injustes accusations de Philippe contre lui.
C’est alors, écrit l’historien protestant Genevois Sismondi, c’est alors que pour la première fois la nation et le clergé s’ébranlèrent pour défendre les libertés de l’Église gallicane. Avides de servitude, ils appelèrent liberté le droit de sacrifier jusqu’à leur conscience aux caprices de leur maître.
Au lendemain de cette assemblée, des agents du roi furent envoyés dans toutes les contrées de la France pour recueillir, et au besoin contraindre, les adhésions du clergé, de la noblesse, et des villes à la convocation du concile. Il n’y eut d’opposition ni de la part des seigneurs, ni de la part des communes; le clergé ne se rendit pas aussi promptement, mais enfin, il consentit, à quelques exceptions près.
Philippe ne se contenta pas de l’adhésion de la France, il chercha à obtenir celle des autres États et écrivit dans ce but aux seigneurs et aux prélats de Navarre, d’Espagne, de Portugal et aux cités d’Italie.
Source : Jeanne d’Arc – Mgr Henri Delassus – 1913
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