On ne peut pas dire du Saint-Esprit, que, dans l’Incarnation, il ait été l’époux de la Très Sainte Vierge ; cette appellation doit être donnée au Père éternel seul.
Il est vrai qu’à considérer Marie simplement comme une âme juste, il faut dire d’elle qu’elle a été par excellence l’Épouse du Saint-Esprit, ainsi qu’on le dit de toute âme justifiée, qui, coopérant aux mouvements de cet esprit de grâce, produit des œuvres saintes, méritoires du salut ; et dans ce sens, M. Olier dit avec une multitude de docteurs et d’écrivains catholiques, que Marie est l’Épouse bien aimée du Saint-Esprit.
On pourrait même lui donner ce titre en la considérant par rapport à l’lncarnation, si l’on n’envisageait dans ce mystère que la formation de la sainte humanité du Sauveur ; mais cette appellation serait impropre si l’on considérait l’Incarnation en elle-même, c’est-à-dire, en tant qu’elle renferme dans son énoncé la génération temporelle du Verbe fait chair ; car dans ce sens, Marie doit être appelée l’Épouse du Père éternel, qui seul a été son Époux dans l’Incarnation ; et c’est ce que nous allons montrer ici.
Celui-là seul doit être appelé l’Époux de Marie, qui est lui-même par nature le Père du propre Fils, dont elle est devenue la Mère dans l’Incarnation ; il est donc manifeste que nul autre que Dieu, le Père, ne peut être l’Époux de Marie, puisque dans ce mystère, par l’action toute-puissante du Père éternel, Marie est devenue Mère d’un Fils qui leur est commun à l’un et à l’autre, ayant conçu et engendré, avec Dieu le Père, dans le temps, le même Fils qu’il engendre, lui seul, dans l’éternité.
Avant d’entrer en matière, écartons d’abord les fausses notions qu’on pourrait se former de la maternité en général. Pour qu’on puisse dire d’une mère, qu’elle a conçu et engendré un fils, il n’est pas nécessaire qu’elle ait été seule la source de ce fils : sans quoi, il n’existerait point, et jusqu’ici, il n’aurait jamais existé de mère dans le monde. La mère, au contraire, d’après les lois que la sagesse de Dieu a portées, dès le commencement, ne peut trouver en elle le principe du fils qu’elle conçoit et qu’elle engendre.
Elle doit recevoir ce principe d’une autre personne que d’elle-même, de celle du père ; et parce qu’elle le reçoit en elle, et qu’elle y joint, de son propre fond, tout ce qui est nécessaire à la formation du corps de l’enfant : elle le conçoit véritablement et l’engendre. L’enfant participe donc réellement à la nature du père et à celle de la mère ; il est autant le fils de la mère, que le fils du père, puisqu’il est le produit commun et indivisible de l’un et de l’autre : le père et la mère, selon l’expression de l’Écriture, se trouvant être ainsi tous deux dans une seule et même chair, qui est celle de l’enfant.
Si dès l’origine des choses. Dieu le Père a réglé de la sorte les conditions, l’ordre et les conséquences de la formation des enfants, et a voulu la faire dépendre absolument et invariablement du concours mutuel du père et de la mère, c’était pour exprimer et figurer déjà, d’une manière mystérieuse, ce qui devait avoir lieu entre lui et la Très Sainte Vierge, son auguste Épouse, dans le mystère de l’Incarnation, qui fut le mystère incompréhensible de son saint mariage avec elle.
L’abbé Rupert fait observer, en effet, que tout ce que l’Écriture, toujours pleine de sainteté et de véracité, nous dit de Dieu comme Époux ; tous ces détails qu’elle nous donne et que nous prenons pour des similitudes tirées des choses grossières, usitées parmi nous, sont si véritables et si assurés, qu’il faut les regarder, au contraire, comme la réalité permanente des autres ; et celles-ci comme des similitudes, des images et des ombres qui passeront.
Voilà pourquoi M. Olier, comme on l’a vu, appelle avec tant de raison le mariage du Père éternel avec la Très Sainte Vierge : le divin prototype du mariage. Le prototype est, en effet, la règle et le modèle de toutes les copies qui le reproduisent ; il en est même la source, comme l’indique assez le nom très-significatif d’original qu’on lui donne aussi ; et parce que les copies diffèrent substantiellement de l’original, dont elles ne sont que des similitudes ou des images.
M. Olier dit très-bien que le saint mariage de Marie avec le Père éternel a encore été le plus vrai de tous les mariages. En raisonnant donc à notre façon, et en assimilant ce divin prototype aux mariages ordinaires : il est manifeste que Marie ne pouvait devenir la mère de Dieu fait homme, qu’en recevant de Dieu lui-même, le principe d’une telle conception. Ce principe ne pouvait être la nature divine elle-même, puisque, d’après l’enseignement des Théologiens, la nature en Dieu n’est pas l’objet de la génération, d’ailleurs la nature divine étant commune au Père, au Fils et au Saint-Esprit, Marie fut devenue la mère de ces trois augustes Personnes.
Devant donc être la Mère du Fils de Dieu seulement, il fallait qu’elle reçût, pour une si incompréhensible conception, la Personne même du Fils de Dieu, qui, venant à s’unir au sang de Marie, formé en chair, la rendit sa propre et véritable mère. Mais qui pouvait communiquer à Marie la personne du Verbe ? sinon le Père éternel seul ; et c’est ce qu’il a fait réellement dans l’Incarnation, comme l’enseignent les anciens docteurs, en réfutant les hérétiques qui avaient attaqué ce mystère, Nestorius, Elipand et les autres.
Ils enseignent, en effet, que pour opérer cette conception et cette génération en Marie, Dieu le Père a tiré, de son sein éternel, son propre Verbe, et l’a envoyé dans le sein de cette divine Vierge. Ils montrent de plus qu’en envoyant ainsi son Verbe en Marie, Dieu le Père l’a engendré dans elle et d’elle ; et que Marie elle-même l’a engendré alors. Que pour cela, le Père éternel est le vrai Père de Jésus-Christ en tant qu’homme, et qu’enfin Marie est l’Épouse du Père éternel.
C’est ce que nous allons établir, en rapportant ici leurs propres paroles. D’abord ils enseignent, qu’au moment de l’Incarnation. Dieu le Père, dans le sein duquel le Verbe était renfermé de toute éternité, le tira de son sein même, pour opérer ce mystère.
Dieu, dit S. Fulgence, a envoyé son Fils unique, le Père a envoyé la vérité qu’il engendre, il a envoyé la sagesse par laquelle il a fait toutes choses, il a envoyé son Verbe qu’il a tiré de son propre sein. Par l’Incarnation, dit un ancien docteur, la majesté infinie du Verbe daigna descendre du sein du Père éternel dans celui de sa Mère.
Le Fils de Dieu, dit Saint Zenon de Vérone, cachant en effet sa majesté, et partant du trône céleste, se prépare à lui-même une demeure dans le temple de la Vierge prédestinée : et se répand secrètement en elle, pour y être engendré, comme homme.
Dans la conception de Jésus-Christ, dit un autre docteur, Dieu le Père tira de soi-même son Verbe, qu’il envoya dans l’âme et dans les entrailles de Marie.
Dieu le Père, dit Saint Bernardin de Sienne, donna à Marie son Épouse, son Fils unique, qu’elle conçut de ses très-chastes entrailles.
O Marie ! s’écrie Pierre de Celle, Dieu le Père tire son Fils de son propre sein, et le met dans le vôtre.
En sorte que le sein de la Bienheureuse Vierge, dit pareillement Richard de saint Laurent, fut trouvé digne de recevoir le Fils de Dieu, alors que, par l’Incarnation, sortant de son Père, qui le tira de son propre sein, il entra dans celui de sa Mère.
La lumière éternelle, ajoute Hugues de saint Victor, descendit sur la Vierge avec tout l’éclat de sa majesté ; et celui que le monde ne peut renfermer, se mit tout entier dans les entrailles de la Vierge.
Et comme la substance du Verbe est indivisible ; l’Abbé Rupert dit expressément que Dieu le Père mit dans l’âme et dans les entrailles de Marie toute la substance de son Verbe.
Au reste, cette doctrine ne peut présenter aucune difficulté, puisque l’Église elle-même la professe avec acclamation dans sa liturgie sacrée et dit à Marie elle-même :
« Celui que tout l’univers ne peut contenir s’est renfermé dans vos entrailles, en se faisant homme ; vous avez porté dans votre sein celui que les cieux ne peuvent contenir »
Mais si les saints docteurs disent, que le Père éternel a porté toute la substance de son Verbe dans l’âme et dans la chair de Marie ; s’ils disent que Marie l’a renfermé tout entier en elle-même, ces manières de parler sont employées ici pour exprimer que Dieu le Père l’a engendré véritablement en le faisant homme dans Marie et de Marie.
C’est ce qui fait dire à un ancien docteur : La majesté infinie du Fils daigna descendre dans le sein de la Vierge, sans quitter pour cela le siège naturel où elle résidait, le sein de son Père ; ni être renfermée dans celui de sa Mère.
Alcuin s’exprime à peu près de la même manière pour dire que, si le Verbe descendit en Marie, ce fut pour y être engendré, La divinité du Verbe, dit-il, ne vint pas dans la bienheureuse Vierge, en passant d’un lieu dans un autre ; elle y vint en lui manifestant sa puissance ineffable, et en remplissant le sein de sa Mère pour y être engendré. Il ne quitta donc pas le sein de son Père ; étant tout entier partout, parfait partout : la plénitude de la divinité ne pouvant être partagée. Ainsi tout le Fils est dans le Père, et tout le Fils résida dans le sein de la Vierge. De son côté, si le Père éternel l’envoie dans le sein de Marie, c’est pour l’y engendrer temporellement.
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Dieu le Père, dit Saint Jean Damascène, lui qui avait engendré son Fils auparavant, a engendré ensuite ce même Fils dans l’Incarnation, comme nous le lisons au Psaume :
7. Je publierai le décret : Yahweh m’a dit : Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui.
Car cette circonstance de temps : aujourd’hui n’a pas lieu dans la génération éternelle du Verbe.
Aujourd’hui donc, je vous ai engendré, ajoute Richard de saint Laurent, c’est-à-dire, dans le temps, par l’Incarnation…
Enfin, les saints docteurs enseignent pareillement, que dans l’Incarnation, Marie a conçu et engendré la divinité du Verbe, aussi bien que son humanité.
Source : Vie Intérieure de la Très Sainte Vierge Marie – Recueillie des écrits de M.Olier – 1866