Les combats que le Bienheureux Grégoire Lopez eut à soutenir et de l’alliance qu’il reçut de Dieu pour en sortir victorieux.
Il se rencontre tant de circonstances si considérables en la vie du Bienheureux Grégoire Lopez a menée dans la solitude qu’elles auraient besoin d’une plume fort éloquente pour les écrire. Ainsi, je me contenterai d’employer pour ce sujet l’excellente peinture faite par Saint Jérôme de la manière de vivre de Saint Hilarion dans le désert, laquelle a tant de rapport avec celle de ce serviteur de Dieu dont j’ai entrepris de parler, non que je veuille comparer ce nouveau soldat de Jésus-Christ avec ces anciens héros dont la sainteté a rendu si illustres les plus affreuses solitudes ; mais parce que je puis assurer qu’il s’est efforcé de les imiter dans ce qu’ils ont fait de plus admirable.
Dieu qui connaît seul le fond des cœurs sait de quel prix sont les actions des Saints, & la récompense qu’ils méritent. Mais ce n’est rien faire de contraire à la piété que de s’efforcer de profiter de la ressemblance qui se trouve entre eux. Voici donc de quelle sorte ce saint & célébré Docteur de l’Église parle de Saint Hilarion.
« Il donna, dit-il, une partie de son bien à ses frères & le reste aux pauvres, sans se réserver aucune chose, de peur de tomber dans le même malheur qu’Ananie & Saphire, mais principalement parce qu’il avait gravé dans son cœur ces paroles de Jésus-Christ : Celui qui ne renonce pas pour l’amour de moi a tout ce qu’il possède n’est pas digne d’être mon disciple.
Il n’avait alors que quinze ans, & s’étant en cette forte dépouillé de tout & armé de Jésus-Christ, il entra dans cette solitude, ce qui est sur la main gauche, lors que l’on va en Égypte, le long du rivage de la mer distante de sept milles de Mayuma qui est la place de commerce de la ville de Gaza.
Ces lieux étant remplis de voleurs qui y commettaient sans cesse des meurtres & des brigandages, & ses parents & ses amis l’ayant averti d’un si grand péril, il méprisa la mort, pour éviter une mort plus redoutable. On ne pouvait assez admirer une telle résolution dans en tel âge, & les étincelles qui brillaient dans ses yeux du feu que l’ardeur de sa foi avait allumé dans son cœur, principalement le voyant si délicat qu’il semblait être incapable de résister à la moindre incommodité.
Il n’avait pour tout habit qu’une robe qui lui allait jusqu’aux genoux, un scapulaire de poil que Saint Antoine lui avait donné quand il le quitta, et une tunique de grosse toile. Il entra en cet état dans une vaste et affreuse solitude où il ne mangeait que quinze petites figues après que le soleil était couché, et comme ce pays était plein de voleurs, on y avait besoin de tout.
Le démon ne put sans frémir de rage se trouver vaincu par une personne si jeune, lui qui avait dit autrefois dans son orgueil : j’établirais mon trône dans le ciel, au-dessus des étoiles, et serai semblable au Très-Haut.«
Voilà de quelle sorte parle Saint Jérôme. Les tentations que Dieu permet que les solitaires éprouvent, viennent de la honte qu’à cet esprit superbe de se voir surmonté par eux.
Ainsi, quoique l’extrême austérité de la vie de Grégoire Lopez et le manquement de toutes les choses nécessaires le fissent tant souffrir, ses travaux lui paraissaient peu considérables en comparaison des peines intérieures par lesquelles il plaisait à Notre-Seigneur de l’éprouver.
Ces tentations les plus communes aux solitaires que ce serviteur de Dieu ressentait sans doute sont le souvenir du bien que l’on a quitté, l’éloignement de ses proches, le besoin qu’ils ont d’eux, le tort que l’on fait à la noblesse de sa race, la douceur dont on pourrait jouir dans le monde, le manquement des commodités de la vie, le travail qui se rencontre dans le chemin de la vertu, la difficulté de la pouvoir acquérir, la faiblesse du corps et la longueur du temps qui reste à passer dans un état aussi pénible que celui où il faut combattre sans cesse contre les sentiments de la nature.
Le démon se sert de toutes ces choses pour former des ténèbres si épaisses dans l’esprit, et troubler de telle sorte l’imagination des personnes privées de l’assistance qui pourrait adoucir les exercices si âpres de la solitude, qu’elles sortent de la voie dans laquelle ils marchent pour aller à Dieu. À mesure que ces jeunes soldats de Jésus-Christ avancent en âge et que les mouvements des mauvaises inclinations se fortifient, le démon leur représente les plaisirs du siècle, et ils sentent par ces artifices s’allumer dans leur cœur un feu infernal qui excite en eux des pensées d’impureté qui leur étaient auparavant inconnues.
Il a paru clairement que le Bienheureux Grégoire Lopez avait éprouvé ce que je viens de dire, parce que dans une certaine rencontre, il avoua à l’un de ses amis avec une grande modestie, qu’il avait eu un tel combat à soutenir contre le démon qu’il en était venu jusqu’à lutter contre lui avec de si grands efforts, qu’il avait jeté du sang par le nez et par les oreilles, car on n’en vient point à la lutte qu’après avoir employé toutes sortes d’armes et ce saignement du nez et des oreilles montre que le combat a été bien opiniâtre puisque Dieu ne permet d’en venir là qu’à ceux qui sont déjà accoutumés à triompher des démons.
Ce généreux athlète de Jésus-Christ m’a raconté que le démon l’attaqua une fois sous une forme visible, sur quoi lui ayant demandé ce qu’il avait fait pour se défendre de lui, il me répondit :
« Rien autre chose, sinon que, croyant que je pouvais mieux faire que de continuer dans le dessein que Dieu m’avait mis au cœur, je résolus d’y travailler de tout mon pouvoir, cet Ange de ténèbres disparut sans m’avoir jamais plus tenté de la sorte. »
Il est certain que durant tout le temps que Lopez fut dans la solitude, le démon tacha de lui donner de grandes frayeurs pour lui faire abandonner son entreprise, tantôt par des hurlements et des cris de bêtes farouches, tantôt par la cruauté dont il voyait des Indiens Chichimeques, massacrer des Espagnols tout proches de lui, tantôt par diverses tentations intérieures et tantôt par les artifices dont il se servait pour le tromper.
Une oraison continuelle, tant de jour que de nuit, était le remède dont il se servait en ces rencontres dans lesquelles pour ne pas succomber, il n’y avait point d’efforts qu’il ne fut obligé de faire. Entre les sentiments dont il tira le plus de force et les plus grandes consolations qu’il reçut de Notre-Seigneur dans l’oraison furent ces paroles :
« Votre volonté soit faite en la terre comme au ciel. Amen Jésus.«
Il les répéta sans cesse de telle sorte durant l’espace de trois ans qu’il ne respirait presque point sans les dire mentalement, même en mangeant, en buvant et en parlant à qui que ce soit, sur quoi lui ayant demandé s’il était possible que toutes les fois qu’il se réveillait elles lui fussent présentes, il me répondit : Que oui, et qu’ainsi, après être éveillé, il ne respirait jamais une seconde fois sans qu’elles lui vinssent en la mémoire.
Cela est sans doute très extraordinaire, mais on ne doit pas croire qu’il ai été impossible à une personne à qui Dieu avait donné une si extrême attention pour tout ce qu’il croyait être conforme à sa volonté et utile pour son salut.
Cette application à se conformer à la volonté de Dieu lui était si nécessaire pour résister à ces tentations, qu’encore qu’il ne la discontinuait jamais, lors qu’au lieu d’y être aussi exact que de coutume, il s’en relâchait un peu, il sentait aussitôt le démon en tirer tant d’avantage et redoubler tellement ses tentations qu’il ne lui était pas seulement alors possible de prendre un livre.
Mais ces paroles : Votre volonté soit faite, lui servaient de livre, il y trouvait toute l’instruction qu’il pouvait souhaiter, elles étaient comme des armes à l’épreuve qui ne le garantissait pas seulement des efforts de ses ennemis, mais lui donnaient moyen de les vaincre par cette entière résignation qui le faisait se remettre absolument entre les mains de Dieu pour disposer de lui en la manière qui lui plairait et se prosterné contre terre, il lui disait :
« Seigneur, vous êtes mon Père, et rien ne se fait qu’en votre présence et selon votre volonté«
Avec cela, il recouvrait de nouvelles forces pour continuer de marcher dans le chemin du ciel. Ces tentations étaient si violentes et si fréquentes qu’il m’a souvent dit qu’il s’étonnait d’avoir pu persévérer dans son dessein et qu’il ne pouvait s’en souvenir sans que les cheveux lui dressassent à la tête.
Or, comme lorsqu’il me l’a raconté, il pouvait passer pour un vieil soldat très expérimenté dans cette guerre, il ne faut point de meilleure preuve de la grandeur de son courage et de la fureur de son ennemi que ce que je viens de rapporter. Car si le seul souvenir de l’opiniâtreté de ce combat produisait un tel effet dans l’esprit d’un si grand serviteur de Dieu que de lui faire dresser les cheveux de la tête, il n’y a pas sujet de s’étonner qu’il lui en coutait du sang et qu’il se trouvait réduit à un tel état.
Mais ce que j’ai pu apprendre des tentations qu’il a souffertes n’en est sans doute qu’une très petite partie, tant il prenait de soin de les cacher, et ce n’a été que par hasard que j’en ai su quelques-unes. Dans l’admiration que nous doit donner la sagesse avec laquelle Dieu gouverne le monde, ne pourrions-nous pas lui demander avec un humble respect d’où vient qu’il traite si durement ceux qui s’engagent avec tant d’amour à son service ?
Grégoire Lopez abandonne sa patrie, sa maison, ses parents, ses amis et toutes les commodités de la vie pour entreprendre un voyage de deux mille lieues à travers des mers agitées de continuelles tempêtes, pour aller pauvre et méprisé, embrasser la vie de toutes la plus austère parmi des peuples les plus farouches et les plus cruels qui soient dans le monde.
Comment donc trouver entre tant de peines ces caresses, ces douceurs, ces saveurs, cette joie inconcevable et ces sentiments d’amour pour Dieu qui font courir avec tant d’ardeur après l’odeur de ses parfums ? Il faut que les tentations et les travaux soient merveilleusement estimables, puisque tous ces avantages s’y rencontrent. Et il suffit pour le connaître de dire que dans cette milice Sainte où il s’agit de la conquête du royaume du ciel, que l’Écriture nous apprend qu’il n’y a que les violents qui soient capables de ravir, il faut avoir combattu pour être couronné, et que ce n’est qu’après les plus grands combats que Dieu donne les plus glorieuses couronnes.
Mais ceux qui s’engagent dans cette guerre spirituelle ne manquent pas d’assistance. Lorsque Saint Paul se trouve dans le champ de bataille, être aux prises avec ce mortel ennemi des hommes et réduit à demander instamment à Dieu de le vouloir délivrer de la peine que lui donnaient de si violentes et si opiniâtres tentation, ne lui répond-il pas, que c’était de son assistance et non pas de ses propres forces qu’il devait se promettre de demeurer victorieux ?
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Ainsi, dans la confiance d’un si grand secours, on n’a qu’à combattre courageusement pour être assuré de vaincre, puisque la grâce de Dieu suffit pour remporter la victoire, et il suffit même pour l’obtenir de souffrir la tentation sans s’en affliger, parce que l’on a pas moins de besoin pour vaincre de trouver un ennemi à combattre que de la grâce de Dieu pour vaincre et que ce n’est qu’après la victoire qu’il donne les couronnes et comble ces généreux combattants des faveurs dont il les récompense.
Voilà quelle est l’adorable conduite de Dieu, comme il l’a fait voir même, en la personne de son propre fils. Car le Saint-Esprit ne le conduit-il pas dans le désert pour être tenté par le diable, où, après l’avoir vaincu, il fut adoré et servit par les Anges ?
Source : La vie du Bienheureux Grégoire Lopez – Francisco de Losa 1674
Merci.