Ce jeu délicieux des devinettes, qui a longtemps été une source de joies innocentes dans tant de familles catholiques.
Ce jeu qui consiste à deviner à quelle ligne exactement d’un article consacré, disons, au Paysage ou aux Élégiaques latins, nous allons découvrir le Doyen de St Paul (Doyen de la Cathédrale Saint Paul de Londre Anglicane / Protestante) en train de présenter l’Antidote à l’Antéchrist ou la Révélation du complot papiste – ce jeu si familier de nos jeux de salon catholiques m’a amusé de nouveau, il y a quelque temps, comme substitut aux mots croisés, lorsque j’ai découvert que j’avais eu la chance de tomber sur un excellent spécimen.
J’ai écrit précédemment sur les « familles catholiques » et j’ai failli écrire, poussé par une association d’idées, « coins du feu catholiques ». Et j’imagine que le Doyen croit vraiment que nous continuons, même par le temps qu’il fait, à entretenir la flamme de nos foyers, comme le feu de Vesta, dans l’attente permanente de voir les bûchers de Smithfield se rallumer. Quoi qu’il en soit, ce genre de devinette ou de mots croisés est rarement décevant.
À l’heure qu’il est, le Doyen a dû essayer une bonne centaine de manières d’arriver à son sujet favori et même de le dissimuler, comme une batterie masquée, jusqu’à au moment où il peut lâcher sa salve dans un remarquable bombardement de mauvaise humeur. À ce moment-là, la grille des mots croisés n’est plus un logogriphe, même si le croisement des mots est alors évident et plutôt approprié en l’occurrence, surtout pour ceux qui se sont consacrés au grand processus historique qui consiste à faire une croix sur la Croix.
Dans le cas de cet article, ce n’est que vers sa conclusion que le véritable sujet a été autorisé à se ruer sur le lecteur, comme dans une embuscade. Je pense qu’il s’agissait d’un article sur la superstition en général et, étant un article de journalisme moderne, il discutait naturellement de la superstition sans jamais définir la superstition.
Dans un article aussi éclairé que celui-là, il semblait suffisant à son auteur de suggérer qu’est superstition tout ce qui ne trouve pas grâce à ses yeux. Il se trouve que certaines de ces choses ne trouvent pas grâce à mes yeux non plus. Mais un auteur qui procède ainsi n’est pas raisonnable, même lorsqu’il a raison.
Un homme devrait objecter aux histoires de malchance des arguments plus philosophiques que leur simple imputation à la crédulité ; de la même façon qu’un homme qui oppose des objections à la messe devrait avoir un argument plus philosophique que la simple qualification de magie. On ne réfute certainement pas les spiritualistes en prouvant qu’ils croient aux esprits ; pas plus qu’on ne réfute les déistes en prouvant qu’ils croient à une déité. Croyance, crédulité et crédit sont des mots qui ont la même origine et avec lesquels on peut jongler dans tous les sens.
Mais lorsqu’un homme juge absurde ce que tout le monde croit, nous voulons d’abord savoir à quoi il croit, sur quels principes il croit et, par-dessus tout, sur quels principes il ne croit pas. Il n’y a pas la moindre trace de quelque chose d’aussi rationnel dans l’exercice de journalisme métaphysique du Doyen.
S’il avait pris le temps de définir sa terminologie, en d’autres termes, de nous dire de quoi il était en train de parler, cette analyse abstraite aurait naturellement occupé un certain espace dans l’article. Et il n’y aurait pas eu de place pour l’Alerte Contre le Pape. Le Doyen de St Paul prend les affaires en main dans un paragraphe de la seconde moitié de son article, où il dévoile pour ses lecteurs toutes les horreurs d’une citation d’un texte de Newman.
Un passage très choquant, honteux, dans lequel cet apostat dégénéré déclare qu’il est heureux dans sa religion, heureux d’être entouré des choses de sa religion, qu’il aime voir des objets qui ont été bénis par ce qui est saint et bien-aimé, et le fait qu’on puisse avoir l’impression d’être protégé par des prières, des sacrements, etc., et aussi le fait qu’une telle joie puisse combler l’âme.
Le Doyen, après nous avoir donné cet aperçu de la condition spirituelle épouvantable du cardinal, fait tomber le voile avec un grognement et déclare que c’est du paganisme. Et combien cela diffère de l’orthodoxie chrétienne d’un Plotin ! C’est très précisément cet aperçu qui m’a intéressé en la matière – pas tant un aperçu de l’âme du cardinal que de l’esprit du Doyen.
J’ai eu l’impression soudain de voir, sous une forme bien plus simple que je ne l’avais encore imaginé, le véritable problème entre lui et nous. Et la chose curieuse concernant ce problème est ceci : ce qu’il pense de nous est exactement ce que nous pensons de lui. Ce que je ressens très fortement en considérant un cas comme celui du Doyen et de sa citation du cardinal, c’est que le Doyen est un homme d’une intelligence et d’une culture éminentes, qu’il est toujours intéressant, qu’il est parfois même juste ou du moins que ses arguments sont justifiés ou justifiables ; mais qu’il est aussi le premier et le dernier champion de la superstition, l’homme qui est capable de défendre réellement et véritablement une superstition, telle qu’elle pourrait être comprise par des gens susceptibles de définir une superstition.
Ce qui rend tout cela encore plus amusant, c’est qu’il s’agit, en un sens assez particulier, d’une superstition païenne. Mais ce qui est prodigieusement intéressant, en ce qui me concerne, c’est que le Doyen adhère à ce qui peut être appelé une superstition superstitieuse. J’entends par là que c’est, en un sens particulier, une superstition locale.
Le Doyen Inge est une personne superstitieuse parce qu’il vénère une relique, une relique au sens de vestige. Il adore de manière idolâtre le fragment brisé de quelque chose, simplement parce que ce quelque chose se trouve avoir subsisté, depuis un passé lointain, dans un endroit appelé Angleterre, sous une forme assez éprouvée appelée christianisme protestant.
C’est comme si un patriote local se mettait à vénérer la statue de Notre Dame de Walsingham, uniquement parce qu’elle serait à Walsingham et sans même se souvenir qu’elle fût au Ciel. C’est même comme s’il vénérait un fragment tombé de l’orteil de la statue et oubliait d’où il provenait, et ignorait complètement Notre Dame.
Je ne crois pas qu’il soit superstitieux de respecter le fragment brisé en relation avec la statue, ou la statue en relation avec la sainte, ou la sainte en relation avec le système entier de la théologie. Mais je pense qu’il est superstitieux de vénérer ou même d’accepter le fragment sous prétexte qu’il se trouve là. Et le Doyen Inge accepte le fragment appelé protestantisme sous prétexte qu’il se trouve là.
Considérons un instant toute cette affaire comme le feraient des philosophes, dans une atmosphère universelle au-dessus de toutes les superstitions locales comme celle du Doyen. Il est tout à fait évident qu’il existe trois ou quatre philosophies ou visions du monde possibles pour des hommes raisonnables. Dans une large mesure, ces philosophies ou visions ont été incarnées dans les grandes religions ou dans le vaste champ de l’irréligion.
Il y a l’athée, le matérialiste ou moniste, ou quelque nom qu’il se donne, qui croit que tout est matériel en dernière instance et que tout ce qui est matériel est mécanique. C’est, au sens fort, une vision du monde, pas très enjouée, mais dans laquelle il est possible d’intégrer bien des faits de l’existence.
Il y a ensuite l’homme normal avec sa religion naturelle, religion qui consiste à accepter l’idée générale d’un dessein du monde et par conséquent d’un créateur, mais qui estime que l’Architecte de l’Univers est insondable et lointain, aussi éloigné des hommes qu’il l’est des microbes. Ce genre de théisme est parfaitement sain et il est, en vérité, le fondement ancien de la santé de l’esprit solide et quelque peu stagnant de l’islam.
Il y a aussi l’homme qui ressent avec tant d’amertume le fardeau de la vie qu’il souhaite renoncer à tout désir et à toute division, et rejoindre ainsi une sorte d’unité spirituelle et une paix dont (pense-t-il) nos individualités séparées n’auraient jamais dû s’écarter. C’est l’humeur à laquelle répondent le bouddhisme et de nombreux métaphysiciens et mystiques.
Il y a enfin le quatrième type d’homme, qu’on a parfois appelé un mystique et qu’il conviendrait mieux sans doute d’appeler un poète. En pratique, il peut très souvent être appelé un païen. Sa position est la suivante : nous sommes dans un monde crépusculaire et nous ne savons pas où il finit. Si nous n’en savons pas assez pour le monothéisme, nous n’en savons pas non plus assez pour le monisme.
Il y a peut-être une région frontalière et un monde au-delà, mais nous pouvons seulement en saisir des signes lorsqu’ils se présentent ; nous pouvons peut-être rencontrer une nymphe dans la forêt ; nous pouvons peut-être voir les fées dans les montagnes. Nous n’en savons pas assez sur le naturel pour renier le surnaturel. C’était, dans les temps anciens, l’aspect le plus sain du paganisme. C’est, dans les temps modernes, la part rationnelle du spiritualisme.
Ce sont là toutes les visions du monde possibles en général ; et il y en a une cinquième, qui est au moins également possible, même si elle est certainement plus positive. L’intérêt essentiel de cette dernière position pourrait être exprimé dans le vers du magnifique petit poème de M. Cammaerts sur les jacinthes des bois :
« Le ciel est tombé par terre. »
Le Ciel est descendu dans le monde de la matière, le pouvoir spirituel suprême est maintenant à l’œuvre grâce à la machinerie de la matière, il traite miraculeusement les corps et les âmes des hommes. Il bénit les cinq sens, comme les sens d’un bébé sont bénis lors d’un baptême catholique. Il bénit même les dons et les souvenirs matériels, comme pour les reliques ou les rosaires. Il opère grâce à l’eau ou à l’huile, au pain ou au vin.
Ce type de matérialisme mystique peut plaire ou déplaire au Doyen ou à n’importe qui d’autre. Mais je ne peux absolument pas comprendre pourquoi le Doyen ou n’importe qui d’autre ne voit pas que l’Incarnation fait autant partie de cette idée que la messe ; et que la messe fait autant partie de cette idée que l’incarnation.
Un puritain peut penser qu’il est blasphématoire, que Dieu peut devenir une hostie. Un musulman pense qu’il est blasphématoire que Dieu puisse devenir un ouvrier en Galilée. Et, de son point de vue, il a parfaitement raison, compte tenu de son principe premier. Mais si le musulman a un principe, le protestant n’a qu’un préjugé.
C’est-à-dire qu’il n’a qu’un fragment, une relique, une superstition. S’il est profane que le miraculeux puisse descendre jusqu’au niveau de la matière, alors le catholicisme est certainement profane. De toutes les croyances ou de tous les concepts humains, le christianisme est en ce sens le plus absolument profane.
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Mais pourquoi un homme devrait-il accepter un Créateur qui était un charpentier et se faire ensuite du souci à propos d’eau bénite, pourquoi devrait-il accepter une tradition protestante locale qui voudrait que Dieu soit né dans un endroit bien spécifique mentionné dans la Bible, simplement parce qu’on a laissé traîner la Bible en Angleterre, et dire ensuite qu’il est incroyable qu’une bénédiction puisse persister dans les os d’un saint, pourquoi devrait-il accepter la première et la plus prodigieuse partie de l’histoire du Ciel sur la Terre, et ensuite nier furieusement quelques petites déductions évidentes qui en découlent.
Voilà une chose que je ne peux pas comprendre, que je n’ai jamais comprise. Je suis parvenu à la conclusion que je ne pourrai jamais la comprendre. Je peux seulement l’imputer à la superstition.
Source : La chose, pourquoi je suis catholique – G.K Chesterton – 1929
Merci.