Il est certain, par l’Écriture, que l’Esprit de Dieu habite au-dedans de nous, qu’il y agit, qu’il y prie sans cesse, qu’il y gémit, qu’il y désire, qu’il y demande ce que nous ne savons pas nous-mêmes demander, qu’il nous pousse, nous anime, nous parle dans le silence, nous suggère toute vérité, & nous unit tellement à lui, que nous ne sommes plus qu’un même esprit avec Dieu.
Voilà ce que la foi nous apprend. Voilà ce que les Docteurs les plus éloignés de la vie intérieure ne peuvent s’empêcher de reconnaître. Cependant, malgré ces principes, ils tendent toujours à supposer dans la pratique, que la loi extérieure, ou tout au plus une certaine lumière de doctrine & de raisonnement nous éclaire au-dedans de nous-mêmes, & qu’ensuite, c’est notre raison qui agit elle-même sur cette instruction.
On ne compte point assez sur le Docteur intérieur, qui est le Saint-Esprit, & qui fait tout en nous. Il est l’âme de notre âme : nous ne saurions former ni pensée ni désire par lui. Hélas ! quel est donc notre aveuglement ? Nous comptons, comme si nous étions seuls dans ce sanctuaire intérieur : & tout au contraire, Dieu y est plus intimement que nous n’y sommes nous-mêmes.
Vous me direz peut-être : Est-ce que nous sommes inspirés ? Oui, sans doute, mais non pas comme les Prophètes & les Apôtres. Sans l’inspiration actuelle de l’Esprit de grâce, nous ne pouvons ni faire, ni vouloir, ni croire aucun bien. Nous sommes donc toujours inspirés ; mais nous étouffons sans cesse cette inspiration.
Dieu ne cesse point de parler ; mais le bruit des créatures au-dehors, & de nos passions au-dedans, nous étourdit, & nous empêche de l’entendre. Il faut faire taire toute créature ; il faut se faire taire soi-même, pour écouter, dans ce profond silence de toute l’âme, cette voix ineffable de l’Époux. Il faut prêter l’oreille ; car c’est une voix douce & délicate qui n’est entendue que de ceux qui n’entendent plus tout le reste.
O qu’il est rare que l’âme se taise assez pour laisser parler Dieu ! Le moindre murmure de nos vains désirs, ou d’un amour-propre attentif à soi, confond toutes les paroles de l’Esprit de Dieu. On entend bien qu’il parle & qu’il demande quelque chose : mais on ne fait point ce qu’il dit ; & souvent on est bien aise de ne le deviner pas.
La moindre réserve, le moindre retour sur soi, la moindre crainte d’entendre trop clairement, que Dieu demande plus qu’on ne lui veut donner, trouble cette parole intérieure. Faut-il donc s’étonner, si tant de gens, même pieux, mais encore pleins d’amusements, de vains désirs, de fausse sagesse, de confiance en leurs vertus, ne peuvent l’entendre, & regardent cette parole intérieure comme une chimère de fanatiques ?
Hélas ! que veulent-ils donc dire avec leurs raisonnements dédaigneux ? À quoi servirait la parole extérieure des Pasteurs, & même de l’Écriture, s’il n’y avait une parole intérieure du Saint-Esprit même, qui donne à l’autre toute son efficace ? La parole extérieure, même de l’Évangile, sans cette parole vivante & féconde de l’intérieur, ne serait qu’un vain son.
C’est la lettre qui seule tue, & l’esprit seul peut nous vivifier. O Verbe, ô Parole éternelle & toute-puissante du Père, c’est vous qui parlez dans le fond des âmes. Cette parole, sortie de la bouche du Sauveur pendant les jours de sa vie mortelle, n’a eu tant de vertu, & n’a produit tant de fruits sur la terre, qu’à cause qu’elle était animée par cette parole de vie, qui est le Verbe même.
De-là vient que Saint Pierre dit :
» À qui irons-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle. «
Ce n’est donc pas seulement la loi extérieure de l’Évangile, que Dieu nous montre intérieurement par la lumière de la raison & de la foi, c’est son Esprit qui parle, qui nous touche, qui opère en nous, & qui nous anime ; en sorte que c’est cet Esprit, qui fait en nous tout ce que nous faisons de bien, comme c’est notre âme, qui anime notre corps, & qui en régie les mouvements.
Il est donc vrai que nous sommes sans cesse inspirés, & que nous ne vivons de la vie de la grâce, qu’au tant que nous avons cette inspiration intérieure. Mais, mon Dieu, peu de Chrétiens la sentent ; car il y en a bien peu, qui ne l’anéantissent par leur dissipation volontaire, ou par leur résistance. Cette inspiration ne doit point nous persuader que nous soyons semblables aux Prophètes.
L’inspiration des Prophètes était pleine de certitude pour les choses, que Dieu leur découvrit, ou les commandait de faire : c’était un mouvement extraordinaire, ou pour révéler les choses futures, ou pour faire des miracles, ou pour agir avec toute l’autorité divine. Ici, tout au contraire, l’inspiration est sans lumière, sans certitude ; elle se borne à nous insinuer l’obéissance, la patience, la douceur, l’humilité, & toutes les autres vertus nécessaires à tout Chrétien.
Ce n’est point un mouvement divin pour prédire, pour changer les lois de la nature, & pour commander aux hommes de la part de Dieu : c’est une simple invitation dans le fond de l’âme pour obéir, pour nous laisser détruire & anéantir selon les desseins de l’amour de Dieu. Cette inspiration, prise ainsi dans ses bornes & dans sa simplicité, ne renferme donc que la doctrine commune de toute l’Église, elle n’a par elle-même, si l’imagination des hommes n’y ajoute rien, aucun piège de présomption ni d’illusion : au contraire, elle nous tient dans la main de Dieu, sous la conduite de l’Église, donnant tout à la grâce sans blesser notre liberté, & ne laissant rien ni à l’orgueil ni à l’imagination.
Ces principes posés, il faut reconnaître que Dieu parle sans cesse en nous. Il parle dans les pécheurs impénitents ; mais ces pécheurs étourdis par le bruit du monde & de leurs passions ne peuvent l’entendre, sa parole leur est une fable. Il parle dans les pécheurs qui se convertissent, ceux-ci sentent les remords de leur conscience & ces remords sont la voix de Dieu qui leur reproche intérieurement leurs vices.
Quand ces pécheurs sont bien touchés, ils n’ont pas de peine à comprendre cette voix secrète, car c’est elle qui les pénètre si vivement. Elle est en eux ce glaive tranchant, dont parle Saint Paul ; il va jusqu’à la division de l’âme d’avec elle-même. Dieu se fait sentir, goûter, suivre : on entend cette douce voix qui porte jusqu’au fond du cœur un reproche tendre, & le cœur en est déchiré.
Voilà la vraie & pure contrition. Dieu parle dans les personnes éclairées, savantes, & dont la vie extérieurement régulière en tout, paraît ornée de beaucoup de vertus : Mais souvent ces personnes pleines d’elles-mêmes & de leurs lumières, s’écoutent trop pour écouter Dieu. On tourne tout en raisons : on se fait des principes de sagesse naturelle, & des méthodes de prudence, de tout ce qui nous viendrait infiniment mieux, par le canal de la simplicité & de la docilité à l’Esprit de Dieu.
Ces personnes paraissent bonnes, quelquefois plus que les autres : elles le font même jusqu’à un certain point ; mais c’est une bonté mélangée. On se possède, on veut toujours se posséder selon la mesure de sa raison : on veut être toujours dans la main de son propre conseil, on est fort & grand à ses propres yeux.
O mon Dieu, je vous rends grâces avec Jésus-Christ de ce que vous cachez vos secrets ineffables à ces grands de à ces sages, tandis que vous prenez plaisir à les révéler aux âmes faibles & petites ! Il n’y a que les enfants avec qui vous vous familiarisez sans réserve. Vous traitez les autres à leur mode. Ils veulent du savoir, des vertus hautes, Vous leur donnez des lumières éclatantes, et vous en faites des espèces de héros.
Mais ce n’est pas là le meilleur partage. Il y a quelque chose de plus caché pour vos plus chers enfants. Ceux-là reposent, avec Jean, sur votre poitrine. Pour ces grands, qui craignent toujours de se ployer et de se rapetisser, vous les laissez dans leur grandeur, vous les traitez selon leur gravité.
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Ils n’auront jamais vos caresses et vos familiarités, il faut être enfant et jouer sur vos genoux pour les mériter. J’ai souvent remarqué qu’un pécheur ignorant et grossier, qui commence à être touché vivement de l’amour de Dieu dans sa conversion, est plus disposé à entendre ce langage intérieur de l’Esprit de grâce, que certaines personnes éclairées et savantes.
Dieu, qui ne cherche qu’à se communiquer, ne sait, pour ainsi dire, ou poser le pied dans ces âmes pleines d’elles-mêmes et trop nourries de leur sagesse et de leurs vertus, mais son entretien familier, comme dit l’Écriture, est avec les simples.
Source : Œuvres spirituelles de feu Mgr François de Salignac de la Mothe-Fenelon – 1752
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Je doute que le texte original comporte des « & ». En dépit de la grammaire.