Il y a 150 ans, dans la soirée du 22 mai 1874, un événement culturel européen de premier plan se déroulait à Milan. Le maestro Giuseppe Verdi interprétait sa « Messa da Requiem » dans l’église Saint Marc.
Des spectateurs locaux et internationaux assistent à l’événement. Le compositeur sexagénaire est déjà une célébrité mondiale. Deux ans et demi auparavant, pour l’inauguration du canal de Suez et sur invitation du roi d’Égypte, son opéra « Aïda » avait été joué pour la première fois au Caire. À Milan, Verdi et des centaines d’invités rendent hommage à l’écrivain Alessandro Manzoni, disparu l’année précédente, vénéré comme l’écrivain et poète national du jeune Royaume d’Italie. Verdi, ardent soutien du mouvement pour l’unification de l’Italie, a écrit un Requiem en mémoire de Manzoni.
Lorsque le maestro s’est avancé devant le chœur de cent vingt personnes et l’orchestre de cent musiciens, un silence funèbre a enveloppé l’église. Si les violoncellistes n’avaient pas laissé échapper des sons étouffés des cordes de leurs instruments, on aurait pu croire que la pièce n’avait pas encore débuté.
Puis, toujours en pianissimo, les altos et les violons ont fait leur entrée. « Requiem aeternam », le chœur entonne les premiers mots de l’invocation : « Donne-leur, Seigneur, le repos éternel et que la lumière perpétuelle brille pour eux ». Les textes de la messe de requiem catholique ont offert au compositeur un texte pour un « opéra en habit liturgique », tel que Verdi l’appréciait et le décrivait lui-même : « de manière concise et sublime, sans mots inutiles ».
Le ciel ou l’enfer, la vie ou la mort
Verdi a illustré dans ses opéras la manière dont les hommes font face à eux-mêmes et à leur destin. Dans son Requiem, c’est encore une fois toute l’existence qui est mise en balance. Tout ou rien – paradis ou enfer, vie ou mort. Bien que perçu comme anticlérical, notamment parce que le pape était contre l’unification de l’Italie, Verdi était un homme de foi. Comme l’a souligné le renommé critique musical allemand Max Nyffeler, « la mort est aussi présente dans son œuvre que l’amour, son opposé, qui est la plus sublime manifestation de la vie ». Verdi a connu ces deux extrêmes dès sa jeunesse.
Après seulement deux ans de mariage, il perd successivement sa fille, son fils et sa femme. En 1840, à l’âge de 27 ans, il se retrouve seul sans famille. La douleur et la compassion l’accompagnent tout au long de sa vie, ainsi que l’espoir incertain d’une existence après la mort.
Suite à l’introït de la messe et à l’invocation du « Kyrie eleison » (Seigneur, aie pitié), murmuré en silence et crié désespérément par les solistes et le chœur, vient le « Dies irae », le jour de la colère. Ce jour où « le monde s’écroule en poussière » se manifeste avec un fortissimo vibrant. Feux, tempêtes, séismes et tonnerres – Verdi rassemble les « tutti » pour forger un « paysage musical de l’apocalypse ».
À l’écoute, une version acoustique du Jugement Dernier de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine prend forme, se déclinant en scènes distinctes, de la terreur brute de la mort à l’espoir précaire et ténu de la rédemption. La crainte de l’avènement du « roi des puissances terrifiantes » est dramatisée fortissimo par les cuivres et les basses, tout comme la prière : « Sauve-moi, source de bonté », qui émerge peu à peu dans les voix.
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Peur de la vengeance et espoir de rédemption
Selon ses biographes, Verdi était un homme de foi, mais il admettait aussi ses doutes. Selon Nyffeler, cette attitude se retrouve dans le Requiem. Verdi « a osé regarder l’abîme moderne du néant sans bouée de sauvetage religieuse ». Néanmoins, elles sont toujours suivies d’un tournant vers un message chrétien d’espoir.
Les solistes dépeignent le drame de la mort et du deuil, la peur de la vengeance et l’espoir de la rédemption du point de vue de l’âme du défunt. Le chœur le fait pour les endeuillés et la communauté humaine dans son ensemble. Mais comme il s’agit d’une messe de requiem pour le poète national italien Manzoni, ses compatriotes peuvent avoir l’impression qu’elle leur est adressée. Le compositeur lui-même est devenu une icône italienne. Lorsqu’il est mort à Milan en 1901, 300 000 personnes lui ont rendu un dernier hommage.
En raison de son immense succès, le Requiem de Verdi a été interprété à plusieurs reprises à la Scala de Milan peu après sa première. Il a par la suite été joué à Paris et à Vienne. Malgré une controverse initiale, le Requiem de Verdi, qui dure un peu moins d’une heure et demie — considéré comme trop long pour une messe — est devenu une pièce conçue pour les salles de concert. La théologienne néerlandaise Mariele Wulf le décrit comme une « peinture tonale aux couleurs les plus intenses, sans la moindre tache blanche ».
Selon elle, « Verdi confronte le néant de la mort avec toute la gamme des émotions humaines et de l’espoir divin. Devant cette musique, on ne peut que donner son tout ».
Cet article prend pour source Ekai (Lien de l’article).