Le témoignage durable des martyrs jésuites du XVIIe siècle transcende les conflits politiques éphémères de leur époque et offre une grande leçon aux catholiques contemporains confrontés au défi évangélique d’aujourd’hui.
« Au lieu d’être un grand théologien comme vous pouvez l’être en France, vous devez compter être ici un humble savant, et puis, bon Dieu ! avec quels maîtres, exposé aux rires de tous les sauvages. La langue huronne sera votre saint Thomas et votre Aristote. Tout désinvolte que vous êtes, il faut vous décider pour longtemps à rester muet parmi les barbares. » – Saint Jean de Brébeuf (1593-1649)
Le 19 octobre, nous célébrons la fête des martyrs nord-américains : Isaac Jogues, Jean de Brébeuf et leurs compagnons. L’Église honore ces missionnaires jésuites du XVIIe siècle, principalement pour leur martyre héroïque au service de la diffusion de l’Évangile. Ces jésuites ont travaillé parmi les Indiens Hurons dans la région des Grands Lacs et leur travail missionnaire a traversé ce qui serait plus tard la frontière entre le Canada et les États-Unis.
En tant que catholique fréquentant les écoles paroissiales du nord de l’État de New York, sur les rives du lac Ontario, j’ai appris les tortures horribles et le cannibalisme auxquels ces martyrs ont été soumis par les Iroquois, les peuples autochtones de la région de l’État de New York et ennemis jurés des Hurons.
En tant qu’étudiant en histoire américaine, j’ai appris plus tard que les Jésuites, les Hurons et les Iroquois étaient tous pris dans une guerre plus large pour l’empire du Nouveau Monde, opposant les Anglais et les Hollandais protestants aux Français catholiques. Le témoignage durable de ces martyrs jésuites transcende les conflits politiques éphémères de l’époque ; cependant, il a aussi parfois occulté un autre aspect de l’expérience missionnaire jésuite, l’engagement avec la culture huronne.
Comme l’indique la citation de Jean de Brébeuf ci-dessus, le zèle des missionnaires jésuites s’est d’abord heurté à ce qui semblait être une barrière culturelle presque infranchissable, la langue huronne. Saint Brébeuf a constaté que la formation philosophique et théologique sophistiquée qui était la marque de l’éducation jésuite était peu utile dans un contexte missionnaire qui exigeait un effort extraordinaire pour communiquer, même sur les questions les plus fondamentales de la vie quotidienne.
La maîtrise de la langue, au mieux, préparait les jésuites à faire face à l’obstacle supplémentaire que représentait le fossé culturel entre les peuples païens matériellement primitifs du Nouveau Monde et le peuple chrétien matériellement développé de France.
Pour reprendre les métaphores d’un fils contemporain de saint Ignace, le pape François, Brébeuf, formé à l’université, considérait la Nouvelle-France comme un « hôpital de campagne » plutôt que comme une salle de conférence ; il voyait que lui et ses compagnons jésuites devaient être « des bergers qui sentent les moutons« , vivant avec les autochtones et comprenant leur vie à un niveau personnel.
Peu sont appelés au martyre rouge enduré par Brébeuf et ses compagnons. Tous sont appelés à évangéliser. À une époque où les catholiques sont confrontés à une culture contemporaine aussi païenne et aussi hostile que celle de certains peuples autochtones du Nouveau Monde, ce modèle jésuite d’engagement culturel est peut-être encore plus pertinent que leur modèle de martyre héroïque.
La grande époque du martyre jésuite s’est déroulée dans les années 1640, une dizaine d’années après le début des premiers efforts missionnaires sérieux et soutenus en Nouvelle-France. À cette époque, plus de cent ans s’étaient écoulés depuis que Jacques Cartier (1491-1557), le » Colomb de France « , avait exploré pour la première fois le fleuve Saint-Laurent et les sites qui allaient devenir les villes de Montréal et de Québec. Les guerres et la Réforme freinent les rois français dans leurs efforts pour reproduire le succès des monarques espagnols dans le Nouveau Monde.
Des années 1520 aux années 1550, les monarques Valois de France ont fait la guerre à leur rival catholique, les Habsbourg, qui, en la personne de Charles Quint, régnaient sur le Saint Empire romain germanique à l’est et sur l’Espagne au sud-ouest. À peine ces guerres étaient-elles terminées que la France faillit s’effondrer après près de trente ans de guerres civiles provoquées à la fois par le conflit entre les nobles et une monarchie aspirant à l’absolutisme et par la révolte des nobles protestants contre les efforts du roi et des nobles catholiques pour que la France reste un royaume catholique.
En fin de compte, il fallut un homme d’Église, le cardinal Richelieu, pour ramener la stabilité dans le royaume, bien qu’il y parvint en forçant les nobles et l’Église à se soumettre à l’autorité royale. Richelieu considérait l’Église comme un outil essentiel à la consolidation du pouvoir royal sur les nobles ; les missionnaires jésuites étaient des bénéficiaires inattendus de cette stratégie.
Il sait que la richesse du Nouveau Monde est une clé de l’avancement de la France et il trouve dans le commerce des fourrures l’équivalent le plus proche de l’or espagnol qu’offrent les forêts du nord de la Nouvelle-France. Richelieu croit que les missionnaires aideront à établir les bonnes relations avec les Autochtones, essentielles au commerce des fourrures.
À une époque où les protestants jouissent encore de la tolérance officielle, il veut s’assurer que les catholiques contrôlent ces efforts missionnaires. Il trouve chez les Jésuites l’ordre missionnaire le plus dynamique et le plus efficace de la Réforme catholique et leur confie la tâche de faire des chrétiens des peuples autochtones de la Nouvelle-France.
Les Jésuites acceptent leur rôle dans la construction de l’empire français, mais considèrent l’évangélisation des autochtones comme leur première priorité. Richelieu, préoccupé par la guerre de Trente Ans et la consolidation de la monarchie absolue des Bourbons, leur donne une liberté d’action étonnante. L’historien W. J. Eccles est allé jusqu’à les juger » maîtres pratiques du Canada » durant leur âge d’or des années 1630 et 1640.
Ces « maîtres » jésuites utilisaient leur pouvoir sur le modèle du Christ, s’humiliant pour servir les autres et sauver les âmes. La vie à la frontière était une expérience souvent humiliante pour ces Français cultivés et cosmopolites qui tentaient de survivre sur une terre inconnue, à l’autre bout du monde, loin du confort de la civilisation. Partager la foi signifie vivre avec les autochtones, qui à leur tour vivent comme eux.
Paul Le Jeune, supérieur jésuite de la Nouvelle-France de 1632 à 1639, a écrit sur ses expériences d’accompagnement des Montagnais, des chasseurs nomades qui parcouraient les forêts nordiques à l’ouest de la ville de Québec. Le Jeune n’était manifestement pas à la hauteur des rigueurs de l’hiver nordique ; il dépendait entièrement de ses hôtes autochtones pour sa survie. Les Montagnais faisaient souvent des commentaires, parfois moqueurs, sur sa faiblesse relative ; néanmoins, ils appréciaient sa volonté de risquer sa vie pour les accompagner et acceptaient sa présence au sein de leur communauté.
Malgré des relations généralement bonnes, Le Jeune n’a eu qu’un succès limité auprès des Montagnais. Les Jésuites ont jugé que le mode de vie nomade des Montagnais, plus que les hivers nordiques ou même les barrières de la langue, était le principal obstacle à l’évangélisation. En cela, leur expérience reproduit celle des Franciscains dans le climat beaucoup plus chaud du Mexique et du Sud-Ouest américain. À maintes reprises, les missionnaires catholiques du Nouveau Monde ont insisté sur le fait que la véritable conversion et une catéchèse appropriée ne pouvaient avoir lieu que dans le contexte de communautés agricoles établies.
Forts de ce parti pris, les Jésuites ont placé leurs plus grands espoirs dans l’évangélisation du plus sédentaire et du plus agricole des peuples autochtones du Canada, les Hurons. La mission en Huronie se situe au centre de l’âge d’or de l’évangélisation en Nouvelle-France. Cet âge s’étend de 1634, lorsque Brébeuf établit pour la première fois une présence jésuite parmi les Hurons, à 1649, lorsque les Iroquois détruisent effectivement le peuple huron par la guerre d’extermination qui a coûté la vie à de nombreux compagnons jésuites du Huron.
Ayant trouvé un peuple agricole sédentaire ouvert à l’évangélisation, les Jésuites se heurtent rapidement au prochain obstacle culturel, la langue. Saint Brébeuf rencontre des difficultés linguistiques pour enseigner la plus simple des prières catholiques, le signe de croix. Demandant conseil à un supérieur jésuite, Brébeuf écrit :
« Un nom relatif chez eux comprend toujours le sens d’une des trois personnes du pronom possessif, de sorte qu’ils ne peuvent pas dire simplement « père, fils, maître, serviteur », mais sont obligés de dire « mon père, ton père, son père« .
Nous nous trouvons dans l’impossibilité de leur faire dire correctement, dans leur langue, Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Jugeriez-vous bon, en attendant une meilleure expression, de la remplacer par : Au nom de notre Père, et de son Fils, et de leur Saint-Esprit ? Il semble certainement que les trois Personnes de la très sainte Trinité seraient suffisamment exprimées de cette manière… … Nous risquerions-nous à l’employer ainsi jusqu’à ce que la langue huronne soit enrichie, ou que l’esprit des Hurons s’ouvre à d’autres langues ? Nous ne ferons rien sans conseil.«
La relation exacte des trois personnes de la Trinité avait été une occasion d’hérésie et de schisme dans l’histoire antérieure de l’Église. Pour Brébeuf, il est clair que ce n’est pas une petite question de sémantique. Néanmoins, reconnaissant les limites actuelles de la traduction et faisant confiance à la miséricorde et à la patience de Dieu, il est prêt à expérimenter une construction linguistique potentiellement trompeuse afin de commencer à guider les Hurons vers la pleine vérité de la Trinité.
La construction de ponts culturels par Brébeuf s’étendait bien au-delà de la grammaire. Comme beaucoup de ses contemporains jésuites, Brébeuf a souligné à plusieurs reprises la vertu naturelle des peuples autochtones qu’il a rencontrés. Comparés à la fois au Français rustre qui faisait le sale boulot de l’expansion de l’empire et aux nobles efféminés et trop raffinés de la cour française, les Hurons semblaient à Brébeuf l’équivalent des païens vertueux de l’ancien monde : ils étaient honnêtes et généralement exempts des vices européens dominants que sont la cupidité et la luxure. Plus surprenant encore, Brébeuf voyait la vérité et la beauté dans certains des rituels religieux païens des Hurons, notamment la fête des morts. Le récit de Brébeuf est presque aussi horrible que certains des récits ultérieurs des martyrs jésuites aux mains des Iroquois.
Les Hurons ne se contentaient pas d’honorer leurs morts par des prières, des chants et des danses, ils exhumaient leurs cadavres en décomposition, les embrassaient et les revêtaient des plus belles robes de castor neuves. Même en tenant compte du processus de triage culturel assez généreux des Jésuites, on pourrait facilement imaginer que Brébeuf juge cette pratique comme de l’ivraie plutôt que du blé. Ce n’est pas le cas :
« J’ai assisté à ce spectacle et j’ai volontiers invité tous nos domestiques, car je ne crois pas que l’on puisse voir au monde une image plus vivante ou une représentation plus parfaite de ce qu’est l’homme. Il est vrai qu’en France nos cimetières prêchent un message puissant et que tous ces ossements entassés les uns sur les autres sans discrimination, ceux des pauvres avec ceux des riches, ceux des moyens avec ceux des grands, sont autant de voix qui nous annoncent sans cesse la pensée de la mort, la vanité des choses de ce monde, le mépris de la vie terrestre.
Pourtant, il me semble que ce que font nos Indiens en cette occasion nous touche encore plus et nous fait voir de plus près et appréhender plus vivement notre état misérable. Car, ayant ouvert les tombes, ils exposent devant vous tous ces cadavres, et ils les laissent ainsi exposés en place publique assez longtemps pour que les spectateurs apprennent, une fois pour toutes, ce qu’ils seront un jour. »
Brébeuf fait ensuite l’éloge des Hurons pour la charité exceptionnelle dont ils font preuve envers les corps de leurs ancêtres, bravant les vers, la corruption suintante et « une puanteur presque intolérable » pour parer les morts de leur manteau frais. Là encore, il établit une comparaison et lance un défi aux chrétiens français : si ces païens peuvent agir ainsi, « qui craindrait la puanteur d’un hôpital, et qui ne prendrait pas un plaisir particulier à se trouver aux pieds d’un malade tout couvert d’ulcères, en la personne duquel il voit le Fils de Dieu ?« .
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Il semble y avoir là une grande leçon pour les catholiques contemporains confrontés au défi évangélique d’une culture séculière post-chrétienne. Il est tentant, comme Brébeuf l’a vu en son temps, de préférer la sécurité et le confort de Saint Thomas et d’Aristote au travail difficile de trouver des points de convergence évangélique avec la culture contemporaine.
Pourtant, comme le Pape émérite Benoît XVI l’a dit un jour aux catholiques de notre temps : « Vous n’êtes pas faits pour le confort. Vous avez été faits pour la grandeur« . En Jean de Brébeuf et ses compagnons, nous avons un modèle durable de la grandeur à laquelle tous les chrétiens sont appelés.
Cet article a été publié originellement et en anglais par le Catholic World Report ( Lien de l’article ). Il est republié et traduit avec la permission de l’auteur.
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