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L’histoire du socialisme en France – Idéologie néfaste pour l’homme


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L'histoire du socialisme en France

I. Son histoire

Les descriptions de sociétés idéales faites par Platon dans sa République, par Thomas More dans son Utopie, par Campanelta dans sa Cité du soleil, et par d’autres, n’ont été que des préludes éloignés de la doctrine socialiste. socialisme


L’antiquité et même les temps chrétiens avaient entendu certaines utopies, dont la prétention était d’éliminer de cette terre tous les maux et d’y restaurer l’âge d’or. C’étaient des rêveries individuelles qui ne marquaient pas dans la vie des peuples.

Le véritable initiateur de toutes les doctrines socialistes comme de toutes les doctrines révolutionnaires, c’est J.-J.Rousseau. Ses écrits sont remplis des deux idées qui composent tout le socialisme : l’égalité radicale des hommes et le droit qu’ils ont toujours de ramener les sociétés, égarées et corrompues par leurs institutions, aux véritables conditions de la nature humaine, qui d’elle-même ne peut être que bonne et droite.

Mais c’est au XIXe siècle seulement que les apôtres du socialisme ont commencé à faire école. Saint-Simon (Claude-Henri de Rouvroy de Saint-Simon) et Fourier en furent les premiers maîtres en France, et Robert Owen en Angleterre. Leurs premiers écrits parurent en 1817, mais les idées nouvelles ne prirent un grand essor qu’après 1830.

Avec des nuances diverses, tous demandaient l’émancipation de la raison humaine, la suppression des dogmes religieux, la suppression de la propriété privée, l’éducation égale pour tous, l’émancipation de la femme, l’organisation d’ateliers corporatifs, où les adolescents entreraient suivant leurs goûts et leurs aptitudes.

Le journal Le Globe prêta sa publicité aux idées nouvelles. Michel Chevalier, Binder, Enfantin, formèrent une première couronne de disciples à ces nouveaux apôtres. Après eux vinrent Leroux, Raspail, Pecqueur, Louis Blanc et Comte.

Proudhon demande une mention à part. C’est un disciple d’Hegel. Il a formé Blanqui. Il est panthéiste et souvent nébuleux comme Hegel. C’est une pénitence de le lire. Mais ses déductions sont assez claires : pour lui, la propriété, c’est le vol ; Dieu, c’est le mal ; le pouvoir, c’est la tyrannie. C’est le dernier terme de la doctrine socialiste. Proudhon est le père des anarchistes.

La période impériale en France n’offrait pas un terrain favorable au socialisme. Il poussa alors ses racines en Allemagne, en Italie et en Russie, et il nous donna Karl Marx, Lassalle, Bakounine et Mazzini. Celui-ci propagea principalement la révolution politique.

Marx donna dans son livre intitulé Capital une synthèse de toutes les revendications socialistes. Ce n’est plus un illuminé, un doctrinaire, comme Saint-Simon et Fourier ; sa doctrine est simple et brutale. Il dit aux prolétaires :

« Vous êtes le nombre et, par conséquent, la force. Vous êtes exploités et vous ne voulez plus l’être, voilà votre justice et votre droit. Allez donc à l’assaut du pouvoir, soit par le vote, soit par la révolution. »

Toutes ces écoles diverses se continuent et se développent. Nous dirons plus loin leur situation actuelle.

II. Ce que le socialisme n’est pas.

Le socialisme se flatte ou se fait illusion. Il prétend au monopole de la pitié pour les malheureux et du zèle pour les réformes sociales. Tous ses livres, tous ses programmes, tous ses discours commencent par là.

Pardon, Messieurs les socialistes ! Soyez plus justes, s’il vous plaît. Soyez plus modestes, au moins. Nous voulons bien vous croire de bonne foi : vous avez pitié des prolétaires, vous les aimez, vous désirez des réformes sociales qui leur assurent une meilleure part au banquet de la vie. C’est bien, mais ne prétendez pas au monopole de ces bonnes dispositions. Elles sont une monnaie assez courante dans la société actuelle. Presque tout le monde avoue qu’il y a quelque chose à faire et tous les partis sont à la recherche des remèdes les meilleurs.

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Ne pensez-vous pas même que les chrétiens pourraient revendiquer avant vous un brevet d’invention ? L’Évangile n’est-il pas le code même de la pitié et de l’émancipation sociale ? Notre chef suprême, Jésus-Christ, a formulé avant vous sa compassion pour les foules : Misereor super turbam. Il a appelé à lui tous les déshérités et s’en est fait le protecteur. Il les a recommandés au zèle de ses disciples.

L’Église catholique ne vous a pas attendus pour aller au secours des prolétaires. Elle les a tirés de l’esclavage, de la barbarie, du servage. C’est un fait historique. N’est-ce donc rien que cela ? Elle les avait entourés d’institutions protectrices : corporations, caisses de secours, d’assistance et de retraites de tous genres. Elle les avait conduits ainsi à une situation d’honneur, de prospérité, de vie libre, éclairée et artistique qui a eu son apogée au XIIIe siècle, et que nous voyons décroître à chaque victoire de l’idée païenne dans la vie sociale.

Un peu de loyauté, s’il vous plaît. Vous avez pitié des travailleurs malheureux ? Nous aussi nous l’avons eue avant vous, et notre passé montre que nous savons l’avoir efficacement. Ne dites donc pas : Le socialisme, c’est la pitié pour le pauvre. Dites, si vous voulez : Le socialisme, lui aussi, a pitié du pauvre. C’est bien. Nous ne contesterons pas votre bonne foi. Ne dites pas non plus : Le socialisme, c’est la réforme sociale. Quelques-uns d’entre vous sont bien sommaires et peu rassurants dans leurs projets de réformes. Ils disent :

« Détruisons d’abord l’organisation sociale actuelle et nous verrons ensuite. »

C’était l’épigraphe de Proudhon : Destruam et oedificabo. C’est la doctrine de Karl Marx.

D’autres, les Possibilistes surtout, ont de longs programmes où se rencontrent de bonnes choses, par exemple : l’organisation d’une assistance efficace pour les invalides du travail, la réglementation du repos hebdomadaire, du travail des femmes et des enfants, etc., etc. Mais tout cela ce n’est pas le socialisme. Nous trouvons cela aussi sur les programmes catholiques et les corporations anciennes l’avaient réalisé.

III. Ce que le socialisme est

Il est une doctrine philosophique assez mal définie, ayant pour auteurs des illuminés ou des révolutionnaires plutôt que des penseurs. Il est au fond le matérialisme pratique, teinté parfois de panthéisme, comme dans Proudhon.

Il est toujours la négation d’un Dieu personnel et créateur, qui est le premier principe de la philosophie, morale ; la négation de la famille, qui est le premier élément social ;la négation de la propriété, qui est le premier principe économique ; la négation de la chute originelle, qui est une des premières données de la vie morale ; et même, chez les logiciens de l’anarchie, la négation de l’ordre, qui est le premier principe politique.

Les quatre Fédérations socialistes, réunies en congrès à la Maison du Peuple, à Paris, en novembre dernier, l’ont déclaré. Elles mènent ensemble le combat contre les choses du passé, c’est-à-dire contre la religion, la propriété et l’ordre social. Elles se glorifient des grands aïeux de juin 1848 et de mars 1871. Leur but est la substitution de la propriété collective à la propriété privée. Si elles se bornent, pour le moment, à demander la reprise par l’État des mines, des banques, des chemins de fer, etc., ce sont des mesures transitoires, dont elles se contenteront en attendant mieux.

Quand le socialisme fait patte de velours, comme il arrive aujourd’hui en Allemagne, défions-nous des griffes cachées. Frédéric Engels, dans son livre récent sur l’évolution du socialisme à travers les utopies jusqu’à la science, nous montre un socialisme adouci, mitigé, apprivoisé. Ce sont là de belles paroles pour séduire les simples. Il y a là-dessous des meneurs qui cachent leur jeu, comme il y a dans la franc-maçonnerie les Loges où ne manquent pas les naïfs, et les arrière-Loges qui dirigent, comme il y a dans la politique les opportunistes hypocrites ou badauds, et les radicaux qui ne voilent pas leurs doctrines.

Le socialisme est un système d’économie sociale qui veut réduire tous les instruments du travail en propriété commune et organiser la production collective et la répartition des richesses économiques par l’État ou par la commune. Il est cela, ou il n’est rien. S’il ne vise qu’à quelques réformes économiques, il n’est plus le socialisme.

IV. Ses variétés

Elles sont nombreuses et atteindront, si Dieu leur prête vie, le nombre des espèces de roses dans nos jardins ou celui des sectes du protestantisme. On compte cinq groupements principaux :

1° Le Parti ouvrier. — C’est le socialisme d’Etat. Il a eu pour évangélistes Guesde et Marx. Il a envoyé au Parlement MM.Lafargue, Thivrier, Ferroul et Jourde. Il demande le retour à la nation du sol, des instruments et de la matière du travail.

2° Les Possibilistes. — Leur évangéliste a été Benoît Malon. Ce sont les opportunistes du socialisme. Ils dominaient à la Bourse du travail avant sa fermeture. Brousse et Joffrin sont leurs apôtres. Ils ont envoyé M. Lavy à la Chambre. Ils ont pour organe le journal la Fédération. Plus prudents que les premiers, ils veulent nous mener tout doucement au communisme. Ils sont politiques et connaissent le proverbe italien : Chi va piano, va securo.

3° Le Parti socialiste révolutionnaire. — Allemane est le chef de ce groupe et M. Dumay, son député. Les autres aussi seraient révolutionnaires, s’ils y voyaient chance de succès, mais ils se contentent de le penser et ceux-ci le disent tout haut.

4° Les Indépendants. — Ils ont pour organe le Peuple, et pour représentants à la Chambre MM. Basly, Boyer, Couturier, Jaurès, Lachèze, Lamendin et Millerand. Sans doctrines bien définies, ceux-là aspirent surtout à gouverner et trouvent que le socialisme est une étiquette avantageuse.

5° Les classiques. — Ceux-là surtout se rattachent aux ancêtres de juin 1848 et de mars 1871. Ils descendent de Blanqui et de la Commune. Ils prennent le mot d’ordre du Comité révolutionnaire central. Ils sont représentés par M. Baudin à la Chambre, et par MM. Vaillant et Chauvière au Conseil municipal de Paris.

V. Réfutation rationnelle

Le socialisme va à rencontre des droits les plus sacrés. Il anéantit la religion, la famille, la propriété, la liberté individuelle.

Que faites-vous de la religion, messieurs les socialistes ? L’homme, aussi bien que le ciel et la terre, les plantes et les animaux, a été créé de rien par un Dieu personnel. Dieu a créé l’homme intelligent et libre, pour être par lui connu, aimé et glorifié. Il l’a créé aussi pour le rendre heureux, et il a mis la matière à son service, à titre de fief divin, afin qu’elle lui fournisse les moyens de vivre et de parvenir à sa fin.

Nous savons que vous remplacez ce premier principe par la théorie de l’évolution. C’est vraiment trop commode. Mais, dites-moi, si la matière se prête si aimablement à toutes sortes d’évolutions et s’accommode à tous les besoins, à toutes les tendances des êtres vivants, pourquoi nos maisons, nos vêtements, tout ce qui sert à notre usage ne se fabrique-t-il pas tout seul ? Cela viendra sans doute.

L’homme est, par sa nature et la volonté de Dieu, destiné à vivre et à travailler en société. Nous en convenons. La société, basée sur un fondement moral et religieux, est une exigence de la loi naturelle que le christianisme a renouvelée et sanctifiée. Mais cette vie sociale est postérieure à la vie individuelle et à la vie de famille. Elle peut et elle doit les aider, les protéger, elle ne peut pas les détruire. Les familles ont existé longtemps avant les groupements nationaux. L’homme individuel et la famille avaient reçu de la nature le droit de vivre et de protéger leur existence avant que l’État fût formé. Ils avaient donc des droits et des devoirs antérieurs à ceux de l’État.

L’État est fait pour protéger la liberté individuelle et la famille.

Et la propriété privée ? Elle aussi est de droit naturel. C’est le but instinctif du travailleur de s’assurer la possession en propre, la possession stable et permanente des fruits de son travail. Pour s’assurer la conservation de ses épargnes, il les réalise dans un champ. Ce champ n’est que le salaire transformé, la rémunération légitime du travail. L’homme ne vit pas au jour le jour, comme l’animal, il veut pourvoir à son avenir, il est en quelque sorte sa providence à lui-même. C’est pour cela que la nature a mis à sa disposition un élément stable et permanent, la propriété.

Vous m’objecterez en vain que Dieu a donné la terre en jouissance au genre humain tout entier. Il est vrai que Dieu a confié au sol des ressources pour nous nourrir tous. Mais la terre, quoique divisée naturellement en propriétés privées, ne laisse pas que de servir à l’utilité de tous. Tous se nourrissent de ses fruits, grâce aux échanges, à la rémunération du travail, et, au besoin, grâce à la charité publique et privée.

Et l’hérédité ? Elle non plus n’est pas un produit de l’invention humaine. Elle est dans la nature, dans les instincts légitimes de l’homme. Elle est nécessaire aussi pour stimuler au travail les hommes qui désirent se survivre dans une autre génération, qui jouira des fruits de leurs labeurs.

VI. Réfutation par l’absurde.

Ne voyez-vous pas où nous mènerait votre régime socialiste ? Vous chargerez l’État de régler la production et la distribution des richesses. Par quel moyen, d’abord, la société actuelle sera-t-elle liquidée de fond en comble ?

Vous nous ferez ensuite une vaste machine scientifiquement organisée. Le premier effet sera de créer une aristocratie bureaucratique, chargée de distribuer le vivre et le travail. Les juifs seront en tête, à coup sûr, et en fin de compte, ce sera justement l’anéantissement de la démocratie et de la liberté.

Ce sera tout le monde redevenu employé, mieux que cela, pensionnaire, prisonnier et forçat, sous la baguette des commissaires du collectivisme : quelque chose comme l’organisation du travail des Hébreux sous le bâton des Égyptiens.

L’État enseignera ; mais quelle morale, s’il vous plaît ? Celle d’Épicure ou de Diogène ?

L’État sera chargé seul de l’assistance publique. Ce sera superbe. Nous pouvons nous en faire une idée. Il y aura des nuées d’agents et d’infirmières. Les ressources destinées aux malades, aux pauvres et aux vieillards seront drainées par le service et par l’administration. À l’aspect du péril, en temps de choléra, le personnel positiviste refusera le service. On cherchera des dévouements religieux, il sera trop tard : la source en sera tarie.

Et qui fera le triage des vocations et des capacités ? Qui distribuera les produits selon les besoins et les mérites ? Et les jalousies ? Et les discordes ? El les haines qui vont surgir ? Mon Dieu quelles galères !

Le collectivisme ne voit-il pas qu’il va créer une oligarchie plus oppressive, plus orientale et plus despotique qu’aucun régime capitaliste ?

Un penseur éminent, qui, depuis, hélas ! S’est bien fourvoyé, Lamennais, avait bien défini, dès le début du mouvement socialiste, cette doctrine nouvelle et ses conséquences. Il disait :

« Voulez-vous que je vous dise ce que je pense des systèmes socialistes qui ont cours de notre temps ? Dans les doctrines qui se sont produites jusqu’à ce jour, je n’en connais pas une seule qui, plus ou moins directement, n’arrive à cette conclusion, que l’appropriation personnelle est la cause du mal auquel on cherche à remédier ; qu’en conséquence, la propriété doit cesser d’être individuelle, qu’elle doit être concentrée exclusivement dans les mains de l’État, qui, possesseur unique des instruments de travail, organisera le travail même, en attribuant à chacun la fonction spéciale, et rigoureusement obligatoire pour lui, à laquelle on l’aura jugé propre et distribuera, selon certaines règles, sur lesquelles on diffère d’ailleurs, le fruit du labeur commun.

Il m’est évident que la réalisation d’un pareil système conduirait les peuples à une servitude telle que le monde n’en a point encore vu ; réduirait l’homme à n’être qu’une machine, un pur outil ; l’abaisserait au-dessous du nègre, dont le planteur dispose à son gré ; au-dessous de l’animal. Je ne crois pas que jamais idées plus désastreusement fausses, plus extravagantes et plus dégradantes, soient entrées dans l’esprit humain, et ne méritassent-elles pas ces qualifications, qui, à mes yeux du moins, ne sont que justes, il n’y en aurait point encore de plus radicalement impraticables. »

VII. Aveux cyniques

Le socialisme a ses heures de franchise. Il nous laisse voir parfois le but où il nous mène. Ce ne serait pas seulement une tyrannie unique dans l’histoire, s’exerçant sur les âmes comme sur la vie matérielle. Ce ne serait pas seulement le régime du bagne. Ce serait aussi le règne de l’union libre, comme chez les Quakers, ou mieux comme chez les animaux. Ce serait le retour aux pratiques les plus barbares du paganisme, comme l’immolation des vieillards et des êtres faibles et souffrants pour en délivrer la société.

Lisez plutôt M. Lafargue, dans son livre : Le droit à la paresse. Il s’écrie :

« Les Indiens du Brésil tuent leurs infirmes et leurs vieillards. Tous les peuples primitifs ont donné aux leurs ces preuves d’affection. En Suède, on conservait encore dernièrement des massues qui servaient à délivrer les parents des tristesses de la vieillesse. Combien dégénérés sont nos prolétaires modernes ! »

C’est égal, j’aime mieux la douceur et la charité chrétiennes, et l’espérance du ciel après les misères de cette vie.

VIII. Un mot aux modérés

Pour vous, qui n’allez pas aux extrêmes, vous voulez seulement, dites-vous, mettre de nouvelles ressources aux mains de l’Etat, en lui remettant les mines, les banques et les chemins de fer, pour qu’il organise l’assistance sous toutes ses formes.

S’il ne s’agit que de quelques monopoles de plus, vous n’êtes pas de grands inventeurs. L’État en a déjà pas mal : les tabacs, les allumettes, les poudres, les postes et télégraphes, etc.

Les choses en vont-elles mieux ? Les allumettes sont-elles meilleures ? Le budget est-il mieux équilibré ? Donnez à l’État quelques centaines de millions de plus, il créera de nouvelles sinécures, il ouvrira des écoles sans élèves, il vous tiendra un peu plus à la caserne, c’est tout ce que vous aurez gagné. Ce qu’il faut, ce n’est pas augmenter le budget, c’est supprimer les dépenses inutiles.

Et pour les caisses de secours et d’assistance, les corporations libres sont plus sûres que l’État, qui, en un jour de guerre ou de crise sociale, gaspillera tous les capitaux amassés.

IX. Les essais

Ne regardez pas comme un essai pratique de socialisme le Familistère de Guise. C’est là une simple société coopérative de production et de consommation ; ce n’est pas le socialisme communal, encore moins le socialisme d’État. C’est un choix d’ouvriers : il faut trois ans de stage et l’admission par un comité, pour habiter le familistère. Il y a donc là une sélection. Comme l’industrie propre à l’établissement est prospère, on y est assez heureux. Il faudrait voir ce que produirait la moindre crise industrielle. Quant à la moralité, les fondateurs, on le sait, n’en ont pas donné l’exemple.

Ce n’est pas non plus du socialisme que les communautés de Frères Moraves. Nous avons visité celle de Zeist en Hollande. C’est une petite république gouvernée par des Anciens ou Chefs ecclésiastiques qui règlent tous les actes de la vie civile. Ils président à l’éducation physique et morale des enfants. Ils infligent des pénitences, prononcent l’exclusion de la communauté et marquent le rang de chacun dans les diverses classes qui composent la cité. C’est là une sorte de couvent de gens mariés où la discipline est conservée par la ténacité que donnent certains entêtements hérétiques. Mais il faut voir ces communautés pour reconnaître que ce n’est pas l’idéal sur la terre. Ces braves gens portent sur leur visage une tristesse résignée, un air de puritains qui les fait prendre en compassion.

Mais voici l’histoire d’un essai véritable.Victor Considérant, mort en décembre 1893, fut l’un des principaux adeptes du fouriérisme. L’idée était neuve alors, elle eut du succès auprès des badauds de l’époque. Les capitaux affluaient pour fonder la société idéale qui réaliserait l’âge d’or.

Le nouvel apôtre, Victor Considérant, quelque peu compromis dans les émeutes révolutionnaires de 1848, jugea prudent de mettre l’Océan entre lui et la justice et d’aller tenter ses essais en Amérique. Il partit pour le Texas, emportant la caisse et emmenant une colonie, toute résolue à tenter l’application des merveilleuses théories collectivistes. Là-bas, Considérant rencontra l’évêque missionnaire de la région, plus riche de dévouement que d’argent. Considérant, poussé par un sentiment d’humanité, exposa au missionnaire sa précieuse méthode.

L’évêque l’écouta patiemment et lui dit :

« Mon ami, avant quelques mois, tout votre édifice social s’écroulera ; il vous manque le bon ciment, la charité chrétienne Quand vos colons voudront vous écharper, venez vous réfugier chez moi, je vous attends. »

Considérant resta stupéfait d’une telle pauvreté d’esprit. Quelques jours après, Considérant battu, traqué, exténué par ses colons, trouvait un refuge chez l’évêque missionnaire. Il revint en Europe et le reste de la colonie vécut à la diable et périt dans les savanes. Considérant n’a pas recommencé.

X. Autres exemples aussi concluants

Il vient de se faire en Angleterre, à Bradfort, une expérience véritablement bien curieuse :

Une association ouvrière a reçu l’offre d’une manufacture tout outillée et d’un crédit de 125 000 francs. La cession était consentie pour une année, sans redevance ni contrat. La seule condition imposée par le donateur, M. Priestley, était que l’affaire fût conduite selon les principes socialistes. En outre, il s’engageait si, à la fin de l’année, l’entreprise avait réussi, si les ouvriers avaient gagné plus d’argent qu’ils n’en gagnent sous la direction du patron, à abandonner aux membres du syndicat sa manufacture, moyennant une faible redevance et, à continuer à leur ouvrir un crédit de 125 000 francs chez ses banquiers.

L’association ouvrière à laquelle cette offre a été faite a réfléchi pendant quatre mois à l’accueil qu’il convenait de lui réserver. Après ce délai, les socialistes du Yorkshire ont dû avouer qu’ils se sentaient incapables de gérer et d’exploiter la manufacture traîtreusement mise à leur disposition par un capitaliste. En se servant de cette expression, les socialistes anglais ont sans doute voulu dire qu’on agit d’une façon perfide en les mettant en demeure d’établir que leurs théories ont quelque valeur économique.

M. Thiers, dans son ouvrage de la propriété, nous rappelle une expérience du même genre, poussée plus loin que celle de Bradfort.

C’était en 1848. Un industriel de Paris, dont les ouvriers avaient accueilli avec enthousiasme les doctrines collectivistes de Louis Blanc, résolut de mettre son personnel à même de faire un essai pratique du système. Ayant réuni ses ouvriers, il offrit de leur céder ses ateliers, sans indemnité aucune, en promettant en outre d’acheter leurs produits aux prix courants.

Les ouvriers acceptèrent. Ils placèrent à la tête de chaque atelier un président élu et à la tête des ateliers réunis un président général. La classification des salaires fut maintenue ; seulement, on porta de 2 fr. 50 à 3 francs le salaire des plus déshérités, les hommes de peine, et on supprima le travail à la tâche dont profitaient quelques bons ouvriers.

Voici comment M. Thiers décrit les résultats de l’expérience après un essai de trois mois :

Le tumulte a été quotidien dans les ateliers. On se donnait des relâches, quand il convenait de prendre part à telle ou telle manifestation de la rue. On travaillait peu, même quand on était présent et les surveillants d’ateliers, chargés de maintenir l’ordre et de veiller au travail, étaient changés jusqu’à deux ou trois fois par quinzaine. Si on avait travaillé comme autrefois, pendant les trois mois qu’a duré ce régime, on aurait dû toucher 367 000 francs de main-d’œuvre. On n’en a cependant touché que 197 000, quoique les prix d’exécution fussent élevés de 1 %. C’est que le travail a été moins actif et les heures de présence moins nombreuses.

Aussi les bons ouvriers étaient-ils tous résolus à quitter l’établissement, si on n’avait pas mis fin à cet essai après les trois mois. Voilà ce que le collectivisme a fait dans une usine placée dans des conditions inespérées au point de vue d’une exploitation facile et fructueuse : pas de capital de premier établissement, écoulement assuré de toute la production.

Ces deux exemples, il est vrai, ne se rapportent pas au socialisme pur, mais seulement à des essais de coopération avec organisation socialiste. Le second essai seul a été tenté, on voit où il a abouti. Ce n’est pas que nous blâmions les associations coopératives de production. De bons esprits y voient le remède ou l’un des remèdes à notre situation sociale. Mais l’exemple cité prouve manifestement que si ces associations s’organisent dans l’esprit du socialisme, avec des élections répétées, l’indépendance des travailleurs, l’absence de respect et d’autorité, elles aboutiront à la ruine et à la dissolution.

L’association de production exige des hommes vertueux, comme condition de prospérité. Il y faut des principes de justice et de charité, de la modération d’esprit et des habitudes de respect qu’on ne peut puiser que dans la vie chrétienne.

En fait, si quelques Sociétés coopératives de production ont réussi, c’est qu’une autorité patronale de fait y avait été instituée par les associés.

XI. Conclusion:

Pourquoi je ne suis pas socialiste. Cette page est empruntée en partie à la profession de foi d’un candidat aux dernières élections législatives.

Le socialiste veut me loger dans une maison construite avec les fruits de mon travail, maison qu’il administrera et dont il me chassera quand il lui plaira. Moi, je veux demeurer dans une habitation dont personne ne puisse me chasser.

Le socialiste veut m’obliger au bureau de bienfaisance universelle, alimenté avec mon travail, bureau qu’il administrera et auquel il m’admettra si c’est son bon plaisir. Moi, je ne veux pas être réduit à tendre la main au bureau de bienfaisance.

Le socialiste veut m’obliger à mettre mes enfants dans des écoles payées avec mon argent et mon travail, et où il instruira et éduquera mes enfants… à son image. Moi, je veux choisir l’école de mes enfants comme il me plaît, dussé-je la payer moi-même.

Le socialiste veut m’obliger à passer ma vieillesse et à mourir dans un hospice bâti et entretenu avec mon argent, où ses amis se gobergeront à mes dépens, et où ils m’admettront si moi et mes enfants nous votons pour lui. Moi, je veux passer ma vieillesse dans ma famille et mourir en paix chez moi.

Et ce ne sont là que les prétentions du socialisme modéré ! Le vrai socialiste veut me donner la vocation et la carrière qui lui plairont. Il veut me faire travailler et me mesurer mon pain. Il veut m’ôter mon Dieu, ma famille et ma liberté. Il veut me jeter à l’eau ou au four crématoire pour débarrasser la société quand j’aurai vieilli et que je ne serai plus apte au travail.

Merci. J’aime mieux ma liberté, ma maison, ma famille, ma foi et mes espérances.

Voilà pourquoi je ne suis pas et ne veux pas être socialiste.

Source : p 76 – Chanoine Dehon – Manuel social chrétien – par la Commission d’études sociales du Diocèse de Soissons Dépôt légal :1894

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