
Durant cette vision, Brigitte apercevait une échelle qui, de la terre, montait jusqu’aux pieds du Juge suprême. Près de son Fils se tenait la Vierge-Mère, entourée d’anges et d’une foule de saints. Sur les degrés l’extatique discernait un religieux suédois, qu’elle croyait intelligent des choses de Dieu et savant théologien ; mais dans sa vision, il ressemblait plutôt à un démon qu’à un moine. Plein d’orgueil et de ruse, le docteur interrogea seize fois son Juge, et seize fois le Juge daigna répondre.
Pourquoi, disait le moine, m’avez-vous donné des sens, si ce n’est pas pour faire leur volonté ?
– Mon ami, répondait le Maître, les sens ne sont pas les instruments du bon plaisir de l’homme, ils doivent servir au bien de son âme.
Pourquoi, continuait le théologien, n’est-il pas permis de s’enorgueillir, puisque votre passion a expié nos fautes ? Pourquoi n’est-il pas permis de se venger, de jouir ou de se reposer ?
– L’orgueil éloigne du ciel, l’humilité y conduit, répliquait le Juge. Le rôle du corps de l’homme et des biens temporels est de faire acquérir à l’âme les biens éternels. La source de la justice n’est pas la vengeance, mais la charité. On ne doit prendre le repos nécessaire à l’infirmité humaine que si la pénitence a châtié l’insolence de la chair.
Pourquoi notre chair a-t-elle des appétits qu’il nous est interdit de satisfaire ? Pourquoi la nourriture nous est-elle offerte, si nous ne pouvons nous rassasier ? A quoi nous sert le libre arbitre, si nous n’en faisons pas usage ? L’instinct de la reproduction, s’il doit être combattu ? Le cœur, si nous réprimons son amour pour ce qui nous cause des jouissances ?
– Le Juge reprenait : L’homme est doué d’intelligence afin de conduire ses sens dans la voie de la vie et de les arrêter sur la voie de la mort. La nourriture soutient les forces ; mais, prise avec excès, elle les épuise. Le seul usage raisonnable du libre arbitre est de renoncer à sa volonté propre pour la soumettre à la volonté de Dieu. L’union de l’homme et de la femme n’a d’autre but que la transmission légitime de la vie. Le cœur humain est destiné à renfermer ma divinité ; il doit avoir en moi ses délices.
Pourquoi, demanda encore le moine, chercher la sagesse divine, quand je suis doué de sagesse humaine ? Pourquoi pleurer lorsque je nage dans la prospérité, et me réjouir en l’affliction de la chair ? Pourquoi craindre si je suis fort ? Pourquoi soumettre ma volonté, dont je suis le maître ?
– Le Juge parla ainsi : Le sage selon le monde est aveugle selon Dieu. Il faut donc rechercher doublement la sagesse divine. Les honneurs du siècle conduisent l’homme à sa perte s’il ne les porte pas dans la prière et les larmes. Au contraire, l’affliction et l’infirmité de la chair mènent au bonheur. La force humaine n’est rien devant la force divine. Le libre arbitre privé de guide ne peut être qu’une source de péchés.
Le moine continua : Pourquoi avez-vous créé les vers de terre et les fauves dangereux ? Comment permettez-vous les infirmités, les juges iniques et les affres de la mort ?
– Le Juge répliqua : Depuis la désobéissance par laquelle l’homme s’est élevé contre son Dieu, je me sers des animaux pour châtier les méchants, éprouver les bons, et inspirer de l’humilité aux uns et aux autres. L’infirmité frappe le corps, afin de le conserver chaste et de le réduire à la patience. L’iniquité des juges est tolérée pour l’avancement des justes. A l’heure de la mort, il est équitable que l’homme se purifie par des souffrances expiatoires.
Le moine reprit : Pourquoi, parmi les enfants, les uns meurent-ils avant de naître, quoique doués d’une âme, et les autres reçoivent-ils le baptême ? Pourquoi permettre la ruine du juste et la fortune de l’impie ? Pourquoi la peste, la famine, la mort imprévue et le meurtre ?
– L’enfant meurt avant de naître, répondit le Juge, soit à cause des péchés des parents, soit par l’intervention de ma justice. Quoiqu’il ne puisse pas jouir de la vision béatifique, je le traite avec miséricorde. Les justes doivent désirer l’affliction, à l’égal d’un bien. S’ils la tolèrent sans en comprendre l’effet, il viendra un jour où, comme l’enfant devenu homme, ils verront la nécessité de la discipline qui les a formés. La tribulation épargne les impies, parce qu’elle les rendrait plus méchants encore. Les hommes sont frappés par la peste et la famine, afin que ceux qui ne confessent pas le Seigneur dans la joie le confessent dans l’adversité. Si les mortels savaient l’instant de leur mort, ils serviraient Dieu par crainte, au lieu de le servir par charité. D’ailleurs, n’est-il pas équitable que la créature soit frappée d’incertitude, puisqu’elle s’est éloignée de la certitude ? Quant aux meurtres, ils sont permis pour l’épreuve des justes ou pour la damnation méritée des serviteurs de Satan.
Pourquoi, ajouta le religieux, y a-t-il au monde des choses belles et d’autres viles ? Pourquoi moi qui suis beau, riche et de sang noble, ne pourrai-je pas suivre le sentiment du monde, et m’élever au-dessus du vulgaire ? Pourquoi ne pas me préférer à autrui, puisque j’ai droit à plus d’honneurs ? Pourquoi ne pas rechercher la gloire que je mérite ? Pourquoi ne pas demander un salaire, si je rends service ?
– Les biens de ce monde ne sont utiles qu’à ceux qui les méprisent, répondit le Juge. Tout homme est conçu dans l’iniquité. Sa volonté ne peut rien au sang dont il naît. Si le noble est supérieur au roturier, il doit craindre que le jugement suprême ne soit d’autant plus rigoureux à son égard qu’il a reçu davantage ; en dehors du nécessaire, l’homme ne possède que pour donner. S’enorgueillir de richesses, prêtées par la Providence serait une usurpation, et rechercher sa propre louange une tromperie ; Dieu seul, source de toute bonté, est bon par essence. Si l’on réclame une récompense temporelle pour des services de charité, on se prive du salaire éternel.
Pourquoi, argumenta le docteur, permettez-vous le culte des idoles ? Pourquoi ne pas révéler votre gloire à l’homme afin qu’il vous désire ? Pourquoi ne pas lui montrer les anges, les saints, les démons et les peines éternelles ? Cela le porterait au bien.
– En foudroyant les idoles, répliqua le Juge, j’attenterais à la liberté de l’homme et lui ferais une injure indigne de ma justice. Si je lui apparaissais dans ma gloire entouré de ma cour, il mourrait de joie. Mes saints se révèlent à lui sous un voile conforme à son infirmité, afin que leur beauté ne le distraie pas du culte de Dieu. La vue de l’enfer le laisserait en proie à une terreur qui détruirait sa charité. D’ailleurs, s’il contemplait le monde futur, où serait le mérite de sa foi, le travail de son amour ?
Pourquoi, poursuivit le moine, l’inégalité des dons divins ? Pourquoi Marie est-elle préférée aux autres créatures ? Pourquoi l’ange, pur esprit, vit-il dans la joie, tandis que l’homme passe son existence à souffrir, sous une enveloppe de terre ? Pourquoi la raison accordée à la race d’Adam est-elle refusée aux animaux ? Pourquoi la vie donnée aux bêtes manque-t-elle aux créatures insensibles ? Pourquoi la lumière du jour fait-elle place à la nuit ?
– La prescience divine, dit le Juge, n’est pas cause de la perte des hommes. Nul n’égale Marie en gloire, parce que nul ne l’a égalée en amour. La révolte de quelques-uns des esprits créés avant le temps (1) a introduit le mal dans la création. Parmi les anges, les superbes que rien n’excitait an mal, sinon le dérèglement de leur volonté, sont punis sans rémission ; les humbles jouissent de Dieu dans la stabilité, qu’un acte irrévocable de leur volonté leur assure à jamais. Les souffrances imposées à l’homme par son enveloppe corporelle lui inspirent l’humilité et l’aident à mériter la gloire éternelle. Les animaux n’ont point de raison, afin que l’homme puisse les dominer. Tout ce qui vit et doit mourir se meut, s’il n’en est empêché par quelque obstacle. La matière inanimée n’a point de mouvement volontaire, parce qu’elle se révolterait contre les fils d’Adam. La nuit invite au repos, sans lequel l’âme infatigable briserait le corps. La lumière figure le jour éternel des élus et aide l’homme à supporter ses peines. Par son péché il avait perdu les clartés du paradis; les ténèbres de la terre le lui rappellent.
Pourquoi, continua le théologien, avez-vous revêtu votre divinité de la nature humaine ? Comment peut-elle contenir et ne point être contenue ? Pourquoi n’êtes-vous pas né dès la conception, et dans la maturité de l’âge ? Ayant été conçu sans péché, pourquoi fûtes-vous circoncis et baptisé ?
– Le mode de rédemption devait être semblable à la faute, répartit le Juge. La forme perdue par la nature humaine lui fut restituée grâce à la charité divine qui, faisant Dieu visible à l’homme, scella leur réconciliation dans l’amour. C’est parce que ma divinité contient tout, qu’elle ne peut être contenue. Je me suis revêtu d’humanité, selon les lois naturelles, afin qu’on ne prît pas mon corps pour un fantôme. J’ai grandi à la manière des autres enfants, pour ne pas séduire les esprits par un prodige qui eut inspiré la crainte, non la charité. Je me suis fait circoncire, bien que seulement par ma mère je fusse de la race d’Adam sans quoi mes ennemis auraient dit : Il ordonne ce qu’il ne veut pas pratiquer. Mon baptême est un exemple, et montre à l’homme le ciel ouvert sur lui comme il le fut sur moi.
Ô Juge, continua le questionneur, pourquoi n’avez-vous pas manifesté votre divinité avec votre humanité ? Pourquoi n’avez-vous pas révélé en une fois votre parole, fait votre œuvre en une heure, et montré votre puissance à l’instant de votre mort ?
– A la vue de ma divinité, dit pour la seconde fois le Juge, les hommes eussent été consumés, annihilés par la joie. Ma parole: Non me videbit homo et vivet, doit rester vraie. Les prophètes eux-mêmes n’ont point contemplé la nature divine. Quand j’ai voulu me montrer à l’homme, j’ai pris sa propre forme. La nourriture de mes paroles ne saurait être distribuée en une fois ; elle convient aux besoins successifs de l’âme, comme le pain quotidien convient aux besoins du corps. Quoique le temps n’existe pas pour moi j’ai voulu une succession de périodes déterminées dans ma vie terrestre, ainsi que dans la création du monde. Environné, d’une part de croyants, de l’autre d’incrédules, je devais soutenir la foi des fidèles par des enseignements ou des exemples venant à leur heure, et tolérer mes ennemis autant qu’il convenait à ma justice. Si je m’étais révélé aux hommes en un instant, ils m’eussent suivi par crainte, non par amour, et le mystère de la rédemption ne se fût point accompli. Selon les prophéties, mon corps innocent était semblable à celui qui pécha en Adam, afin que je fusse pareil à ceux que je venais racheter, que je pusse travailler du matin au soir, d’année en année jusqu’à ma mort. A ma dernière heure, je n’ai pas manifesté mon pouvoir, pour accomplir les prophéties, et laisser un exemple de patience. En quittant la croix, je n’aurais pas converti les impies. Ils s’indignaient lorsque je guérissais les malades et ressuscitais les morts. Ils eussent attribué mon miracle à la magie.
Pourquoi, dit le moine, êtes-vous né d’une vierge ? Pourquoi n’avez-vous révélé par aucun signe sensible la virginité de votre mère ? Pourquoi n’avez-vous fait connaître votre naissance qu’à un très petit nombre d’hommes ? Pourquoi avez-vous fui en Egypte et permis le massacre des innocents ? Pourquoi souffrez-vous le blasphème et laissez-vous le mensonge l’emporter sur la vérité ?
– Je suis né d’une vierge, répliqua le Juge, parce que la virginité est ce qu’il y a de plus pur sur terre. Un miracle prouvant la virginité de ma mère n’eût point convaincu les blasphémateurs, qui résistent aux prédictions des prophètes et au témoignage de Joseph. J’ai laissé à Marie le mérite d’être ignorée et à ma naissance le caractère d’humilité qui confond la superbe humaine. J’ai caché le moment de ma venue en le monde pour que le démon, mon adversaire, ne le connût point avant le temps fixé, ni les hommes avant l’heure voulue de la grâce. La fuite en Égypte est une manifestation de mon infirmité. Elle doit aussi enseigner à se soustraire à la persécution, pour la plus grande gloire de Dieu. Le massacre des innocents, figure de ma passion, révèle le mystère de l’appel divin. Je souffre les blasphémateurs, dans l’attente de leur conversion. C’est l’homme qui veut le règne du mensonge en préférant le faux au vrai.
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Ô Juge, reprit le questionneur, pourquoi laissez-vous votre grâce à certains pécheurs et l’enlevez-vous à d’autres ? Pourquoi prévenez-vous parfois l’enfance d’un homme de grâces que vous refusez à sa vieillesse ? Pourquoi l’inégalité des épreuves, l’inégalité de l’intelligence, l’inégalité de l’entendement ? Pourquoi appelez-vous les uns dès le commencement de leur carrière, les autres à la fin ?
– Le Juge reprit : L’homme, enivré de sa volonté propre, doit apprendre que tout lui vient de Dieu ; aussi la grâce lui est tantôt accordée, tantôt refusée. Le Seigneur, prévoyant la fidélité de certains enfants, la résistance de certains vieillards, fervents à leur début dans la vie, donne sans compter les lumières utiles, ou les retire si elles doivent augmenter la sévérité de son arrêt. L’impie ne porterait souvent pas la souffrance sans murmurer ; s’il y échappe en ce monde, il est à craindre qu’il ne soit damné dans l’autre. L’intelligence et l’entendement ne sont rien, comparés à l’esprit de conduite. Chacun possède les connaissances qu’il lui faut pour se sauver. Parfois peu de lumière éclaire; davantage éblouirait l’esprit et le porterait à douter. Ceux qui abusent de leur raison seront châtiés. Bien écrire, bien dire est vanité, si l’on ne vit bien. La mesure des grâces répond à l’usage que l’homme fait de son libre arbitre. La prospérité des méchants témoigne de la patience du Seigneur, qui les entretient dans l’espoir. L’adversité des justes, du souci que Dieu garde de leur prouver l’instabilité des joies terrestres. L’heure de la vocation de l’homme est celle où il est le mieux disposé à entendre l’appel divin.
Le moine ajouta : Pourquoi les animaux souffrent-ils, puisqu’ils ne jouiront pas ? Pourquoi, venant à la vie sans péché, sont-ils enfantés dans la douleur ? Pourquoi le nouveau-né, ignorant du mal, porte-t-il la responsabilité des fautes de son père ? Pourquoi l’imprévu déjoue-t-il la prévision ? Pourquoi, la mort de l’impie parait-elle parfois glorieuse, et celle du juste infâme ?
– Les animaux, dit le Juge, naissent dans la douleur et vivent dans la peine, comme la race d’Adam, parce qu’en toute la création l’ordre a été troublé par le péché originel. L’homme, auteur de leurs maux, doit y compatir. L’enfant porte le péché du père, parce que rien de pur ne sort du monde ; mais le baptême affranchit le chrétien. On reste libre de ne pas suivre les funestes exemples qui perpétuent les châtiments dans les races ; grâce à la Rédemption chacun ne répond que de ses actes. Dieu cache ses desseins aux hommes afin de tempérer de crainte leur amour, et d’amour leur crainte. Il en est de l’issue de la vie comme des prospérités et des adversités qui marquent son cours. Souvent la récompense terrestre précède le châtiment céleste, et le châtiment terrestre la récompense céleste. Le démon peut entourer de vaine gloire la fin de ses serviteurs, et les justes entrer au ciel par une porte honteuse à voir. Qu’on ne discute pas mes arrêts. Ceux qui ont voulu les comprendre par leur propre sagesse ont souvent perdu l’espérance.
Pourquoi avez-vous créé les choses inutiles ? Pourquoi ne voit-on pas les âmes ? Pourquoi n’exaucez-vous pas les prières de vos amis ? Pourquoi n’a t-on pas la liberté de faire tout le mal qu’on veut ? Pourquoi les maux immérités ? Pourquoi ceux qu’anime l’Esprit-Saint conservent-ils la puissance de pécher ? Pourquoi le démon tente-t-il toujours les uns et jamais les autres ?
– Je n’ai rien créé d’inutile, déclara le Juge, mais par le péché originel l’homme s’est privé de voir les choses dans leur vérité. De même qu’un enfant élevé dans un cachot ne comprendrait pas la lumière du jour, il ne comprend plus les clartés célestes. L’âme est trop supérieure au corps pour être aperçue par des yeux corporels. Dieu n’exauce pas toujours les prières de ses amis, parce qu’il voit mieux le bien réel. La justice divine soustrait, pour un temps, les impies au démon et s’efforce de les détourner du mal, elle leur offre l’exemple des justes que l’épreuve excite à de grandes entreprises. En passant par la tentation, les fidèles comprennent l’efficacité de la grâce qui, sans un effort personnel, ne pourrait cependant pas les sauver. L’âme qu’inspire l’Esprit-Saint garde, avec le libre arbitre, la faculté de pécher. Si elle s’éloigne de Dieu, Dieu s’éloigne d’elle. Le démon est le bourreau des justes, dont il augmente la gloire éternelle. Il est aussi le bourreau des méchants, qu’il châtie parfois dès cette vie. Son action est dans les secrets de la Providence.
Comment aurez-vous les brebis à votre droite et les boucs à votre gauche ? Pourquoi, si vous êtes égal à Dieu, est-il écrit que ni vous ni les anges ne savez l’heure du jugement ? Pourquoi y a-t-il désaccord dans les récits des évangélistes, tous quatre inspirés de l’Esprit-Saint ? Pourquoi avez-vous si longtemps différé votre incarnation ? Pourquoi après avoir déclaré qu’une seule âme vaut plus que le monde, n’envoyez-vous pas partout vos prédicateurs ?
– La droite et la gauche de Dieu, répartit le Juge, ne peuvent s’entendre qu’au sens spirituel de lumières et de ténèbres, de gloire sublime et de privation de tout bien. Les brebis et les boucs ne sont que les symboles de l’innocence et du péché. J’ignorais l’heure du jugement, cachée à toutes les créatures, en tant qu’homme et non en tant que Dieu. L’Esprit-Saint diffère en ses œuvres et en ses inspirations. La vérité complète est dans la réunion de tous les Evangiles, certains d’entre eux entendent la lettre, d’autres l’esprit de mes leçons. Mon incarnation arriva en son temps, après que la loi naturelle eut témoigné du penchant de l’humanité au bien, et que la loi écrite eut montré à l’homme la misère humaine. Fait à l’image de ma divinité, l’homme est, sur terre, ce qu’il y a de plus noble. Mais s’il abuse de sa raison et de mes dons, le temps de ma justice remplace celui de ma miséricorde, il n’est plus digne d’écouter les messagers de salut, et je ne charge point mes serviteurs de travaux inutiles.
A son tour, le Juge interrogea celui qui, détestant la vérité, parlait en pharisien, non pour s’éclairer, mais pour exercer sa malice.
Tu as l’intelligence du bien et du mal, lui dit le Rédempteur, pourquoi donc préfères-tu les richesses périssables aux biens éternels ?
– Parce que, répliqua le moine, l’entraînement de mes sens l’emporte sur la voix de ma raison.
Plein de miséricorde, le Christ se tourna vers l’âme en péril : A la fin de ta vie, déclara le Sauveur au pécheur, tu verras ce que valent ta vaine éloquence et la faveur du siècle. Que tu serais heureux, si tu étais fidèle aux devoirs de ta profession ! Le juge et le religieux disparurent, ces paroles furent les dernières que Brigitte entendit. Durant sa vision, l’Eternel, le Verbe, la Vierge Marie, s’étaient plusieurs fois adressés à elle afin de l’éclairer sur ce qu’elle écoutait. Le Christ lui faisait remarquer qu’il répondait en paraboles aux questions insolubles pour l’homme avant sa mort. Cependant il engageait sa servante à songer au monde incompréhensible, afin de le désirer.
Ton cœur, disait-il, était jadis comme un acier froid, dont sortait parfois quelque étincelle d’amour. La douleur de perdre ton mari, que tu aimais plus que tout sur terre, y alluma le feu de ma charité. Remettant ta volonté entre mes mains, tu n’as pas plus désiré que moi. Tu m’as cherché dans la pénitence et la conversation de mes docteurs, guidée par ton maître dont la science humble et sûre offre un contraste absolu avec la vaine curiosité du moine que tu viens d’entendre.
Source : Comtesse de Flavigny : Sainte Brigitte de Suède : sa vie, ses révélations et son œuvre
(1) Brigitte n’entend pas par-là que les anges soient co-éternels à la Sainte Trinité. Elle dit seulement avec beaucoup de théologiens qu’ils furent créés avant notre monde. Saint Thomas, sans se prononcer d’une façon absolue, n’est pas de ce sentiment. Voici la conclusion (P. I, q. LXI, art. 3) sur cette matière: Cum angeli ad universi perfectionem creati fuerint, probabilis est illos fuisse a Deo creatos cum ipso universo, quam ante.