Au sortir de Vérone, le Cardinal Borromée poursuivit son voyage jusqu’à Trente, où ayant rendu les honneurs aux deux Princesses, selon les intentions de Sa Sainteté, il les accompagna de-là, l’une à Ferrare, & l’autre jusqu’à Fiorenzole en Toscane.
Ce fut-là qu’un Courrier vint lui apporter la nouvelle que le Pape était dangereusement malade. Le Cardinal prit aussitôt la Poste, & se rendit en grande diligence à Rome. La première chose qu’il fit, dès son arrivée, fut de savoir des Médecins l’état de la maladie de Sa Sainteté et la vérité de ce qu’ils en pensaient.
Ayant appris d’eux que toutes choses étaient désespérées, il s’approcha tout de suite du lit du malade ; et commandant à sa douleur, il fit comprendre au Saint Père qu’il fallait profiter de tous les moments, puisque l’heure de passer à une autre vie était venue pour lui. Il eut la fermeté, en lui présentant l’image du Crucifix, de lui parler en ces termes :
« Très-Saint Père, tous vos désirs & toutes vos pensées ne doivent plus se tourner que du côté du Ciel. Voilà ce Jésus crucifié, l’unique fondement de toutes nos espérances, il est notre résurrection et notre vie, il est notre Médiateur & notre Avocat.
Il est la victime & le sacrifice offert pour nos péchés, il ne rejette ni aucun de ceux qui, touchés d’un repentir sincère de l’avoir offensé, mettent en lui toute leur confiance, le reconnaissant pour vrai Dieu et pour vrai homme.
Il est la Bonté & la Miséricorde même. Cette Miséricorde se laisse toujours fléchir aux larmes des Pécheurs, & fait grâce à qui la demande dans un véritable esprit de pénitence, avec un cœur parfaitement contrit & humilié. »
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Après cette courte exhortation, le Cardinal ajouta qu’il avait une grâce à demander à Sa Sainteté, & qu’il la demandait comme une des plus grandes qu’il en eût jamais reçues. Le Pape témoignant consentir à tout ce qu’il exigerait de lui, le Cardinal reprit que puisqu’il n’y avait plus pour lui aucune espérance de vie, il le suppliait très instamment de ne s’appliquer, durant le peu de temps qui lui restait, qu’à la seule pensée de son salut.
De recueillir tout ce qu’il avait de connaissance & de forces pour se préparer avec le secours de Dieu à paraître devant lui. Le Pape écouta fort attentivement toutes ces paroles & parut les recevoir avec beaucoup de consolation. Saint Charles ayant ensuite ordonné à tout son monde d’unir leurs prières à celles qui se faisaient déjà publiquement dans toutes les Églises de Rome, défendit qu’on parlât plus d’aucune autre chose au Pape, il demeura toujours lui-même en prières auprès de lui jusqu’à ce qu’il eût rendu le dernier soupir.
Il avait eu la force de lui administrer de ses mains le Saint-Viatique & l’Extrême Onction et n’avait cessé de le disposer à bien mourir par toutes les pieuses pratiques que la Religion prescrit, ou que sa charité lui inspirait.
Pie IV, âgé de soixante-six ans & huit mois, après six ans de Pontificat, mourut en prononçant avec de grands sentiments de piété ces paroles du saint Vieillard Siméon :
« C’est maintenant, Seigneur, que vous laisserez mourir en paix votre Serviteur, selon votre parole. »
Cette mort arriva le dixième jour de décembre 1565.
Quelque dur & terrible que fût ce coup, Saint Charles le soutint avec beaucoup de force d’esprit & une parfaite tranquillité, parce que l’une de ses grandes vertus était une entière soumission aux ordres de Dieu, dont la volonté était la règle ordinaire de tous les mouvements de son cœur, & de toutes les actions de sa vie.
Il est vrai que si la perte que le Saint Cardinal venait de faire était grande, elle n’était pas en un sens entièrement irréparable : il pouvait bien se flatter de jouir toujours de la même autorité & du même crédit auprès du Successeur de Pie IV.
Source : La vie et l’esprit de Saint Charles Borromée Cardinal & Archevêque de Milan – 1761