Les jeunes et Dieu : un abandon massif avant et après 1960
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Les jeunes et Dieu : un abandon massif avant et après 1960


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Les jeunes et Dieu : un abandon massif avant et après 1960

Pour parler des jeunes et Dieu, il faut se tourner vers la jeunesse pour évaluer les tendances futures à moyen terme. Depuis les années 1960, enquêtes et sondages se multiplient dans le milieu des 15-25 ans sur tous les sujets, et en particulier à propos des croyances religieuses.

La synthèse de ces enquêtes pour le dernier demi-siècle donne des résultats globalement cohérents, qui vont dans le sens d’un abandon progressif des religions au profit de croyances hétéroclites qui reflètent en définitive un désarroi croissant.

Remontons au milieu du siècle. Aux États-Unis, des études de 1948 montrent déjà un taux de fréquentation des offices religieux tombé à 17 % chez les garçons et 38 % chez les filles dans les universités, tandis qu’en France la pratique religieuse, qui commence à décliner vers treize ans, se stabilise vers vingt ans à 9 % chez les garçons et 15 % chez les filles. Des résultats du même ordre étaient obtenus en Italie, Allemagne, Suisse.

Parmi les non-pratiquants, le nombre d’athées reste en général inférieur à 10 % : 7,3 % aux États-Unis, mais on retrouve ici les problèmes de délimitation, car si les trois quarts des jeunes Américains déclarent croire en Dieu, cette croyance est chez beaucoup purement abstraite et n’a aucune influence sur la conduite, et 12 % « ne savent pas exactement ce qu’ils croient ».

Dans la décennie 1960-1970, la proportion d’athéisme déclaré augmente nettement chez les étudiants. En 1962-1963, à l’université de Londres, 17 % s’affirment athées, et la proportion atteint 40 % à la London School of Economie and Political Science ; à Cambridge, 21 % se disent agnostiques ; à Oxford, 23 % sont agnostiques et 11 % athées.

En Suisse, 26,5 % répondent négativement à la question : « Dieu existe-t-il? ». En Italie, 12 % des étudiants de Pavie se déclarent sceptiques et agnostiques, 7 % « refusent Dieu », 5 % se disent athées.

Nous sommes alors à l’époque de la grande vogue des idéologies marxistes, trotskistes, maoïstes dans la jeunesse intellectuelle européenne. La poussée d’athéisme de ces années 1960-1970 est explicable par deux facteurs socio-culturels contradictoires : d’un côté, ces jeunes sont immergés dans une société de consommation matérialiste sécularisée où s’estompent les valeurs religieuses; de l’autre, ils rejettent ce type de société en adhérant à des idéologies athées.

D’un côté comme de l’autre, Dieu est absent. D’innombrables études sociologiques menées à cette époque ont fait ressortir le rôle fondamental des moyens de communication de masse, comme destructeurs de valeurs et de références ; véhiculant des modèles totalement laïcisés, ils ont fortement contribué à la désagrégation des valeurs religieuses.

Giancarlo Milanesi, dans une étude sur « L’athéisme des jeunes », écrit pertinemment en 1967 :

« À cet état de choses contribuent certainement les moyens de communication de masse ; les « messages » qui sont introduits dans la culture par le moyen de la presse, de la radio, de la télévision et du cinéma peuvent, en raison de leur quantité, de leur instabilité et de leur caractère contradictoire, accroître l’état de confusion culturelle dans lequel les jeunes se débattent ; à la longue, cela met en crise toutes les valeurs.

On constate en effet que la teneur de ces « messages » tend à solliciter surtout le changement culturel des valeurs (familiales et sexuelles) les plus étroitement dépendantes du fait religieux.

D’où une influence directe sur la religiosité, aussi bien vers un nivellement des valeurs religieuses par rapport aux valeurs profanes que dans le sens d’une critique généralisée à leur égard. L’action corrosive des médias modernes sur la foi est d’autant plus forte qu’ils utilisent des techniques de persuasion qui donnent un aspect attractif à leur message, face à « la faible structuration psychologique et sociologique du message religieux « .

Pour le même auteur, l’athéisme juvénile est aussi une réaction de défense face aux multiples frustrations subies, frustrations d’ordre social dans un monde en continuelle mutation, dont ils n’arrivent plus à saisir et à intégrer les changements. Il faut y ajouter des facteurs tels que la désintégration progressive de la cellule familiale, cause de conflits, d’instabilité et de rejet de la tutelle parentale.

Les problèmes d’ordre sexuel sont également à l’origine d’un abandon précoce : les sollicitations de plus en plus ouvertes rencontrées dans un environnement permissif accentuent le décalage avec l’interdit religieux, qui semble de plus en plus insupportable :

« La religion est mise à part, car elle condamne les attitudes qui ont une fonction immédiate d’équilibre affectif et s’oppose directement à celles-ci. »

La jeunesse est l’époque de l’insertion de la personnalité dans la société; or cette dernière, parce qu’elle est sécularisée, ne laisse guère d’opportunité d’expression à un sens du sacré, qui va se reporter sur les multiples « idoles » fabriquées par la société de consommation : vedettes du spectacle et du sport en particulier.

Le nivellement des valeurs et des non-valeurs engendre d’ailleurs un contexte culturel défavorable au sacré, avec une dispersion des énergies, des intérêts, des activités, génératrice d’un non-sens de l’existence :

 » Du nivellement des attitudes religieuses à l’abandon de la pratique religieuse, à la rupture de l’unité des croyances religieuses, puis à l’incrédulité et à la rupture de toute appartenance, telle semble être la marche d’une « mobilité négative » progressive de l’attitude religieuse; cette marche est, à un certain point de vue psycho-sociologique, l’équivalent du processus de développement de l’athéisme juvénile « 

Giancarlo Milanesi conclut son étude par le constat d’une certaine persistance du sacré chez les jeunes, qui pourrait selon lui préluder à une recomposition du religieux :

«  Nombreux sont ceux qui pensent que le malaise actuel, dû surtout au « désordre transitionnel des valeurs et des rôles », sert de « purification » de la religiosité des jeunes et prélude à la possibilité d’une reprise aussi bien de la pratique religieuse que de l’intégration religieuse socio-culturelle. « 

Trente ans après, les enquêtes récentes démentent ces pronostics. Considérons, parmi d’autres, les résultats d’un sondage CSA de mars 1997, intitulé « Dieu intéresse-t-il les jeunes ? ».

À la question fondamentale : « Croyez-vous en Dieu? », 51 % répondent « non ». La progression de cette négation est constante depuis trente ans : 17 % de non en 1967, 30 % en 1977.

Ainsi, deux mille ans après Jésus-Christ, dans un pays de forte tradition catholique, plus de la moitié des jeunes nient l’existence de Dieu. Par ailleurs, les réponses font ressortir le manque d’intérêt de ces jeunes pour la religion :

  • 17 % n’en parlent jamais,
  • 53 % rarement ;
  • 12 % prient,
  • 7% respectent les périodes de jeûne,
  • 2 % se confessent ;
  • 47 % pensent que le catholicisme n’est plus adapté à la spiritualité d’aujourd’hui,
  • 67 % qu’il n’est plus adapté au monde moderne,
  • 76 % qu’il ne répond pas aux questions que se posent les jeunes,
  • 50 % qu’il n’apporte pas d’espoir,
  • 60 % qu’il ne favorise pas l’épanouissement personnel.

Bref, le bilan est largement négatif. L’islam n’a d’ailleurs pas meilleure presse, alors que l’image du bouddhisme est beaucoup plus positive. Certains feront valoir que Jean-Paul II déplace encore des centaines de milliers de jeunes. Mais quel est le sens réel de ces rassemblements à grand spectacle, dont le succès, amplifié par les médias et par une solide logistique de base, reste ambigu ? Que quelques centaines de milliers de jeunes – sur des dizaines de millions –, entraînés par l’effet de groupe, se réunissent une journée pour voir un pape dont ils n’acceptent même plus les enseignements dogmatiques et moraux, ne doit pas faire illusion.

Le vrai phénomène de masse, il se trouve derrière cette façade médiatisée, dans le constat quotidien, sur le terrain : 1 % de jeunes à la messe dominicale, encore moins dans les aumôneries de lycées, et une vaste indifférence de l’immense majorité devant les problèmes de foi.

La jeunesse européenne n’est plus religieuse. Elle n’est pas non plus massivement athée; elle navigue entre deux eaux, reflet de la situation globale de la culture ambiante. Les commentateurs en perdent leur latin : entre les jeunes chrétiens qui ne croient ni en Dieu ni à la résurrection, et les jeunes incroyants qui ont le sentiment du sacré, la contradiction semble régner, et l’on en revient aux notions de « bricolage » et de « butinage ».

Le millénaire se termine sur un vide effrayant de la pensée, comme si tous les systèmes possibles avaient été expérimentés et s’étaient usés.

« On a cru d’abord que l’époque était athée, écrit Jean-Claude Eslin; le refus du christianisme était l’athéisme. On était parti pour le grand débat de l’athéisme et du christianisme. Puis on a parlé d’indifférence religieuse. Aujourd’hui, on parlerait plutôt de mutation religieuse. »

En fait, on assiste à une « croyance qui glisse vers le probabilisme et vers les parasciences plus que vers l’incroyance ». Le monde n’a plus de sens et l’on ne croit plus aux maîtres spirituels : 70 % des jeunes interrogés en 1997 en rejettent le besoin. À cet égard, la montée des sectes, là encore amplifiée par les médias, doit être relativisée. Si l’on en compte 172 en France d’après le rapport Guyard de 1996, tous leurs adhérents réunis ne dépassent pas 250 000 personnes, soit 0,4 % de la population, dont 100 000 témoins de Jéhovah, qui plafonnent à ce niveau après plus d’un siècle de porte-à-porte : la « menace» ne semble pas bien grave.

Source : Histoire de l’athéisme : Les incroyants dans le monde occidental des origines à nos jours - Georges Minois - Historien

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