Durant les années 1929-1930, qui marquent un tournant dans l’histoire du pontificat de Pie XI, sont promulguées deux encycliques qui touchent directement à la pastorale familiale : Divini illius Magistri du (31 décembre 1929), sur l’éducation de la jeunesse chrétienne, et Casti connubii, du 31 décembre 1930, sur le mariage chrétien.
La première est une véritable encyclique générale sur l’enseignement et l’éducation, voulant remédier à la carence de directives claires dans ces domaines. Parue d’abord en italien sous le titre Rappresentanti in terra, elle s’inscrit dans le contexte italien du régime fasciste, mais dépasse largement ce cadre national.
Faisant un rappel de la tradition chrétienne et humaniste et les enseignements des prédécesseurs du pape, notamment de Léon XIII, elle déplore d’abord « la lamentable décadence de l’éducation familiale ». La famille a un droit antérieur à celui de l’État à présider à cette éducation.
Si cet État a le droit de se préoccuper de l’instruction des enfants, il n’a nullement le pouvoir d’établir un type uniforme d’éducation. À ce sujet sont dénoncés « le naturalisme pédagogique », préconisant la liberté absolue de l’enfant, « les théories d’un socialisme extrémiste » qui dans tel pays arrache celui-ci à la famille pour le livrer « à l’irréligion et à la haine », et l’école dite « neutre et laïque ».
Cette dernière doit être interdite aux enfants catholiques, ou tout au plus tolérée moyennant de sérieuses garanties. Au nom de la justice distributrice, c’est le devoir des États de permettre aux catholiques de disposer de leurs propres écoles. Quant aux enseignants, choisis avec soin pour leurs qualités intellectuelles et pédagogiques, ils auront à prémunir la jeunesse contre les séductions et les erreurs du monde.
Si l’encyclique est fortement ancrée dans l’idée de la nouvelle chrétienté chère au pape, elle semble cependant adopter vis-à-vis de la modernité une attitude ambiguë : d’une part la forme solennelle et systématique du texte montre bien que celle-ci est prise au sérieux, d’autre part elle paraît moins perçue comme un système de références antichrétiennes que comme un faisceau de devoirs et de tendances, dans lequel il convient de trier ce qui est condamnable ou acceptable.
Dans la même perspective de cette pastorale familiale, l’encyclique Casti connubii est un véritable traité du mariage chrétien. Celle-ci a connu une longue gestation, alors que le discours traditionnel de l’Église restait, dans ce domaine, centré sur le devoir de fécondité et se présentait presque exclusivement sous l’angle moral. Parmi les inspirateurs du texte, on peut souligner le rôle de deux pères jésuites, le père Franz Hûhrt et le père Arthur Vermeersch, ce dernier enseignant la théologie morale à la Grégorienne.
Le constat de la situation de l’institution était une fois encore pessimiste, alors qu’« au grand jour, laissant de côté toute pudeur on foule aux pieds ou l’on tourne en dérision la sainteté du mariage ».
Après le rappel de son indissolubilité étaient dénoncées : « les formes d’union illégitime de mariage temporaire, de mariage à l’essai, de mariage social. » Alors qu’en août 1930 la conférence des évêques anglicans réunis à Lambeth avait pris position sur le contrôle des naissances, tolérable dans certaines circonstances « à la lumière des principes chrétiens », et que certains théologiens catholiques s’attachaient à ce sujet en considérant moins la matérialisation des actes que les intentions des acteurs, l’encyclique prenait une position nettement rigoriste.
Elle rappelait « qu’aucune raison assurément, si grave soit-elle, ne peut faire que ce qui est intrinsèquement contre nature devienne conforme à la nature et honnête ». L’acte contraceptif était donc fermement condamné. Le pape, en parlant ouvertement, allait d’ailleurs provoquer un débat chez les moralistes appelé à perdurer. Mais en valorisant le mariage et sa sainteté, il ébauchait en même temps une spiritualité du lien conjugal fondé sur l’amour des conjoints. Ceci n’empêchait d’ailleurs pas une vision toujours très conservatrice du couple, au sein duquel la femme devait être dans une « honnête subordination » à son mari. En conclusion, il entendait que l’Action catholique s’engageât à la large diffusion de ce message.
En 1931, le 15 mai, quarante ans après l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII (1891), Pie XI promulguait l’encyclique Quadragesimo anno sur l’ordre social-chrétien. Le projet avait été soumis au général des jésuites, le père Ledochowski qui allait charger deux pères allemands, le père Oswald Von Nell-Breuning et le père Gustave Gundlach de préparer un texte à ce sujet.
Le premier était un représentant du mouvement catholique social dans son pays et un animateur du cercle Königs-Winter. Le second enseignait l’éthique sociale et la sociologie à Francfort. La première mouture, marquée par des thèses solidaristes en préconisant une société de « corps », et en utilisant la notion de « classe » dans un sens non marxiste fut jugée trop théorique. On fit donc appel à deux autres jésuites, le père Muller d’Anvers et le père Desbuquois, directeur en France de l’Action populaire qui se fit aider par son confrère, le père Danset.
Après plusieurs rédactions successives, il appartint au pape lui-même de valider le texte définitif en se chargeant du chapitre sur le corporatisme. Pie XI s’inscrivait dans la ligne de Léon XIII en rappelant d’abord que l’Église « ne demande rien au libéralisme, rien non plus au socialisme, le premier s’étant révélé totalement impuissant à bien résoudre la question sociale, le second proposant un remède pire que le mal ».
En reprochant au libéralisme ses abus et au socialisme son principe même, une troisième voie était possible. Il était bien évidemment tenu compte du contexte nouveau créé par l’existence du régime soviétique et par la crise de 1929, avec sa cohorte d’insécurité, de chômage et d’injustices dues à l’impérialisme économique et financier lié « à la dictature de l’argent ».
La compréhension du capitalisme, du prolétariat ou des idéologies socialistes s’affinait par rapport à un certain paternalisme de Rerum novarum. Le capitalisme était dénoncé dans la mesure où, trop souvent, il ne tenait pas compte de la dignité humaine des ouvriers et de la justice sociale. Le droit à un juste salaire était rappelé avec la possibilité d’améliorer le contrat de travail par « des éléments empruntés au contrat de société ».
C’est le thème de la participation qui devait rapprocher capital et travail, avec une participation à la propriété, à la gestion et aux profits. Mais il fallait aller plus loin et viser un ordre corporatif, une réorganisation des professions qui recréerait l’union du « corps social ». Le sain corporatisme se trouvait-il dans le cadre du fascisme italien ? Le jugement, à ce propos, malgré des critiques assez feutrées, semblait beaucoup plus favorable que dans le cas des doctrines libérales ou socialistes. En tous les cas, le principe très appuyé de la subsidiarité devait prévenir toute tentation d’étatisme et de totalitarisme en maintenant la liberté d’association.
En conclusion, en vue de cette « régénération sociale », le développement de l’Action catholique permettrait, encore une fois, la réforme des mœurs par « un nouveau rayonnement de l’esprit évangélique. » Dans les perspectives définies par l’encyclique, l’attention du pape vis-à-vis du monde ouvrier ne se démentira pas.
Dès 1929, à l’occasion du conflit qui opposait à Lille le consortium patronal à un syndicalisme chrétien indépendant, dans sa lettre du 5 juin à Mgr Liénart, la Congrégation du Concile avait encouragé « les sociétés » composées des seuls ouvriers, soit mixtes réunissant à la fois ouvriers et patrons. C’était là une véritable charte du syndicalisme chrétien. De même, les pèlerinages ouvriers à Rome, dans le cadre d’une internationalisation de plus en plus marquée, seront une illustration de la volonté de reconquête du monde du travail.
Le 2 octobre 1931, dans son encyclique Nova impendet, le pape reviendra sur la crise économique qui touche gravement les pays occidentaux, en faisant appel à la solidarité face aux dépenses inconsidérées d’armement. Dans un tout autre domaine, l’encyclique Vigilanti cura (29 juin 1936) allait prendre en compte, quarante ans après son invention, un nouveau phénomène culturel : le cinéma.
Les encycliques Divini illius Magistri et Casti connubii avaient déjà évoqué les risques de « naufrage moral contenu dans les spectacles modernes ». En avril 1934, après que Pie XI ait reçu le bureau de l’Office catholique international du cinéma (O.C.I.C.), le cardinal Pacelli avait reconnu officiellement son action « contre les dangers moraux et religieux causés par les représentations cinématographiques d’une vie artificielle et immorale ».
L’encyclique, avec encore une tonalité pessimiste, était avant tout destinée aux évêques américains, compte tenu de l’importance de leur pays dans ce domaine, mais elle concernait aussi l’ensemble du monde catholique. Un effort particulier pour la contrôler avait déjà été entrepris aux États-Unis, notamment avec la création de la « Légion of Decency ».
En Italie, le régime fasciste avait mis en place une censure cinématographique approuvée par l’Église. Le pape, de son côté, constatait l’ambigüité de la nature du cinéma entre art et divertissement, capable aussi bien « de promouvoir le bien » que « d’insinuer le mal ».
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Ce divertissement populaire, utile à bien des égards, devait néanmoins être contrôlé avec la création d’offices catholiques pour la cotation des films et la création de salles paroissiales diffusant des productions conformes à la morale. Un appel était fait aux professionnels catholiques, en particulier à « ceux qui militent dans les rangs de l’Action catholique ».
L’encyclique, malgré toutes ses restrictions, s’inscrivait bien dans le dispositif d’ouverture au monde moderne, à sa culture, à ses nouveaux moyens de communication…
Source : Pie XI : Le pape de l’Action catholique – Marcel Launay – © Les Éditions du Cerf, 2018