Pendant quarante ans et plus, on a donc assisté au spectacle imprévu d’un diable apôtre et prédicateur, d’un diable donneur de conseils spirituels.
Reconnaissons que si c’est, « à son corps défendant » qu’Isacaron remplit ce rôle, il le fit souvent avec un zèle que n’aurait pas désavoué un saint missionnaire, avec un talent qu’auraient pu lui envier nombre de prédicateurs. Écoutons-le célébrer la majesté divine :
« Celui qui sait s’humilier aux pieds de la Majesté divine, Dieu le remplira de son esprit, l’éclairera de ses divines lumières, lui fera observer fidèlement ses devoirs, se servira de lui pour éclairer les autres et ‘le conduira dans une éternité de bonheur qu’aucun esprit humain ne peut comprendre. Il louera incessamment Dieu et il dira :
O Dieu infiniment grand, infiniment saint, infiniment juste, infiniment bon, vous ne dédaignez pas la plus misérable de toutes vos créatures ! Qu’ai-je fait pour mériter les grâces que vous m’accordez, indigne que je suis ! Que n’ai-je des larmes de sang pour pleurer toutes mes ingratitudes et toutes les offenses que j’ai eu le malheur de commettre contre vous !
Je dis, ô Dieu de toute Majesté, que tu es grand, que tu es puissant, que tu es bon, mais que tu es terrible aux démons. Je suis forcé par toi, ô Souverain Maître, d’instruire malgré moi les hommes, moi qui suis un de leurs infâmes séducteurs. Que tu es bon envers les mortels qui ne reconnaissent ni ta bonté, ni ta justice ! Que peux-tu faire de plus ?
Tu fais incessamment de nouveaux prodiges que la plupart méconnaissent. Ils se raidissent contre tes ordres et au lieu de s’humilier devant toi et de faire pénitence, non contents de se perdre, ils en entraînent d’autres dans le chemin de la perdition. »
Et ceci :
« Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces ; celui qui s’aime est un fou. La gloire, l’honneur ne sont dus qu’au Créateur et non à la Créature. »
Ceci encore :
« Souverain Maître, seul Dieu en trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit, créateur de toutes choses à l’exception du péché dont Satan est l’inventeur, Dieu de bonté, de sagesse, de puissance, de miséricorde infinie, tu es Celui qui as été avant le temps, qui es et qui seras éternellement, dont nous, démons, nous sommes tous les maudits esclaves et auquel moi, Isacaron, j’obéis par force, contre tout l’Enfer, pour crier contre les désordres dont la terre est remplie. »
Mais où Isacaron devient réellement sublime, c’est lorsqu’il entreprend de chanter la gloire de la Vierge Marie. Qu’on en juge !
« Il n’y a aucune langue pour louer la Mère de Dieu comme elle le mérite ; il n’y a aucune créature pour comprendre sa grandeur, sa bonté, sa puissance. Marie a plus de force à elle seule que les anges, que toutes les créatures, que tous les saints ensemble. Il n’y a rien à comparer à Marie. Tous ceux qui ne croiront pas à sa virginité, à sa maternité, à son Immaculée Conception périront éternellement.
Marie est la terreur de l’Enfer. Elle aime souverainement les mortels ; son amour pour les mortels est inconcevable. Elle nous arrache plus d’âmes que tous les anges, que tous les saints ensemble. Tout est soumis à Marie, au moindre signe tout lui obéit. Je compare Marie à une armée formidable. Celui qui aime Marie est l’ami de Dieu. Dieu se complaît en Marie. Il vous le prouve en ne refusant jamais une grâce de toutes celles qu’elle Lui demande…
Quand on prie Marie, on ne la prie pas avec assez de respect ; on ne réfléchit pas qu’en honorant Marie, on honore Dieu qui l’a faite ce qu’elle est.
« O Marie, il n’y a point de cœur pour t’aimer comme tu mérites d’être aimée. Tu es la porte du Ciel ; c’est par tes mains divines que découlent toutes les grâces que Dieu répand sur la terre ; tu es le canal de grâces et de bénédictions ; tu es le modèle de toutes les vertus. Tu es la consolation des affligés, l’asile des misérables, le refuge des pécheurs, la joie des justes ; tu nous arraches quantité d’âmes que nous nous sommes efforcés de séduire, et lorsque nous croyons triompher, tu nous les enlèves et tu les convertis. Tu retires de la mort ceux qui espèrent fermement en toi. Tu apaises ton Fils quand il est irrité ; tu obtiens la grâce des pécheurs ; le bruit de tes merveilles se fait entendre dans tout l’Univers. »
Un jour, des lèvres du possédé qui, quelques heures auparavant, s’était livré à ses violences habituelles et avait proféré d’odieux blasphèmes, s’échappa l’admirable prière qu’on va lire et que nous ne serions nullement étonnés de trouver dans un recueil de prières de Saint-Bernard :
« O divine Marie,
C’est à vous que je m’adresse
Avec une entière confiance
Vous qui ne délaissez personne,
Vous qui avez tant à cœur
Le salut des hommes
Et à qui Dieu ne peut rien refuser
De ce que vous demandez
Prenez-moi sous votre puissante protection
Si vous daignez exaucer
Mes humbles prières,
Tout l’enfer ne pourra me nuire.
Vous êtes en quelque sorte
La maîtresse de mon sort.
Mon sort est entre vos mains.
Si vous m’abandonnez
Je serai perdu sans ressources.
Mais non, vous êtes trop bonne
Pour délaisser ceux qui espèrent en vous.
Priez pour moi la Trinité Sainte
Et je suis sûr de mon salut.
Ah ! que je voudrais pouvoir
Vous faire connaître
A tous les habitants de la terre !
Que je voudrais pouvoir
Annoncer partout votre grandeur,
Votre bonté, votre puissance !
Ce que je ne puis pas faire, je désire
Que les intelligences célestes le fassent
Et que les démons eux·mêmes soient forcés
De publier que vous êtes
Le chef-d’œuvre des mains divines,
Que vous avez la puissance de Dieu en main,
Que vous êtes terrible aux démons
Et que tout vous est soumis.
Vous êtes la créature incomparable !
Vous seule êtes vierge et mère,
Vous avez donné au monde le Rédempteur.
Vous faites un rang à part avec saint Joseph
Vous êtes auprès des trois personnes Adorables de la Sainte-Trinité
Vous êtes donc plus élevée
Que tous les anges et tous les saints.
Vous êtes vraiment divine.
J’espère en vous et crois fermement
Que toutes les puissances infernales
Ne pourront triompher de moi.
Ainsi soit-il !
Tous les anges et tous les saints
Vous bénissent à jamais, Ainsi soit-il ! »
C’est ce jour-là, qu’après avoir prononcé la magnifique prière qu’on vient de lire, Isacaron redevenu gouailleur s’écria :
« Ils iront dans des maisons de santé chercher des fous qui dicteront une prière semblable ».
Tout n’a pas été noté des propos édifiants que le démon tenait à longueur de journée sur les sujets les plus divers. Ce qui en a été retenu indique bien que le « Prince de ce Monde » n’ignore rien des récits évangéliques et ce qu’il en a dit n’est pas contredit par l’exégèse la plus rigoureuse. On l’interrogeait sur Pilate :
« Pilate qui était juge savait qu’il condamnait un innocent, et pourtant le diable le poussa à condamner le Juge Souverain, le Juge des juges. Pilate en se lavant les mains se les souillait. »
À propos des Apôtres :
« Les Apôtres n’ont point eu la prudence humaine ; ils ont eu la prudence divine, ils ont obéi à Dieu plutôt qu’aux hommes… Imitant parfaitement le Souverain Maître, ils ne demeuraient jamais oisifs, brûlaient de charité, ne se donnaient aucune relâche, nous ravissant continuellement des âmes. »
Sur Marie-Madeleine :
« Marie-Madeleine est une très grande sainte à laquelle il faut recourir avec une entière confiance. Aussitôt qu’elle a eu le bonheur de connaître Dieu, sa contrition a été si grande, ses larmes si abondantes, qu’aucun démon n’a pu la faire pécher à nouveau. C’est le modèle des vrais pénitents qui doivent la prendre pour avocate particulière auprès de Dieu, car Dieu accorde les plus grandes faveurs à ceux qui l’invoquent. »
Nous venons de transcrire des morceaux de choix. S’il avait fallu noter tous les propos pieux tenus au cours de la longue possession d’Antoine Gay par l’infâme Isacaron, un gros volume n’y suffirait pas. Glanons cependant au hasard dans une gerbe étincelante ; nous n’aurons que l’embarras du choix :
« Si vous méditez bien sur la vie du Sauveur et de sa Sainte Mère, je vous mets au défi de faire contre Dieu la plus légère faute.
La faim, la soif, la mort ne sont rien ; le péché seul est redoutable.
Que l’Église se fortifie par la paix, qu’elle se défende par l’unité, qu’elle se lie pat la charité !
Ayez grande confiance envers saint Joseph, dont le culte deviendra universel. Saint Joseph demande tout à Dieu par les mains de la Mère de Dieu, canal de grâces et de bénédictions. Invoquez-le souvent, il a un grand pouvoir. Tenez-vous bien sous la protection de Marie, de Saint Joseph et des saints anges : vous obtiendrez le Ciel.
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Dieu récompense jusqu’à un verre d’eau donné en son nom. Il tient compte d’une pensée, d’un désir de faire le bien, quand même on ne pourrait pas l’exécuter.
Les fidèles assistent souvent à la messe comme s’ils n’avaient rien à demander. Ils se tiennent le front haut, avec un maintien pharisaïque, au lieu de s’humilier et de se prosterner devant Dieu.
La vie de l’homme est courte. Devrait~il craindre de passer quelques jours d’existence dans la pénitence, puisqu’un bonheur sans fin lui est réservé ! »
Terminons par ce conseil de direction spirituelle, et n’oublions pas que c’est le diable qui parle :
Mme T… demandait à Isacaron le chemin de la perfection chrétienne :
« Avoir horreur du péché mortel ; ne pas commettre volontairement des péchés véniels ; ne pas perdre de vue la présence de Dieu ; savoir s’humilier tous les jours de sa vie, car l’orgueil est le pire de tous les vices ; donner de bons exemples et de bons conseils ; faire pénitence, comme le demandait le Précurseur. Et que celui qui est saint se sanctifie encore ! »
Source : Le Possédé qui glorifia l’immaculée – J. H. Gruninger – Imprimatur Lyon 1952