La presse est une admirable invention qui multiplie et rend mille fois plus fécondes la pensée et la parole. C’est la parole écrite. Comme la parole, la presse doit être entièrement dévouée au service de la vérité.
Avec la parole, nous pouvons mentir, tromper, blasphémer ; mais nous n’en avons pas le droit. Il en est de même de la presse : sa liberté consiste à pouvoir, sans entraves, servir la grande cause de la vérité ; de la vérité religieuse avant tout, parce que c’est la première et la plus importante ; puis, de la vérité sociale, politique, scientifique, historique, etc.
Demander autre chose pour la presse, c’est demander la licence de la presse, et non plus sa liberté. Par cela seul qu’elle est constituée de Dieu, gardienne de l’enseignement et dispensatrice de la vérité souveraine, l’Église a le droit et le devoir de surveiller la presse dans toutes ses productions. En effet, en traitant des questions de science, d’histoire, d’art, d’industrie, la presse peut aisément ( on ne le voit que trop aujourd’hui) contredire et attaquer les vérités révélées. De là les sages lois du Saint-Siège, malheureusement foulées aux pieds comme toutes les autres, sur la nécessité de l’Imprimatur épiscopal, pour toutes sortes de publications, et la défense de lire et de conserver les livres prohibés par l’autorité ecclésiastique.
Le Pape Pie VI attribuait, non pas exclusivement, mais principalement, au mépris des lois de l’Église sur la presse, la chute de notre vieille monarchie française, les triomphes désastreux de l’incrédulité et de la franc-maçonnerie. Depuis lors, nous avons fait bien du chemin. Débordée de tous côtés par le déluge d’encre qui couvre le monde entier de tant de millions de productions malsaines, hérétiques, impies, l’Église ne peut plus que rappeler les principes, que protester et gémir.
Faisons comme elle. Luttons le moins imparfaitement possible contre la mauvaise presse par de bons livres, de bons journaux catholiques. Sans nous décourager de l’insuffisance évidente des efforts individuels contre le vice de nos institutions sociales, opposons de bons journaux aux mauvais, de bonnes et chrétiennes brochures populaires aux détestables pamphlets que publient journellement les ennemis de l’Église ; défendons par la presse ce qu’on attaque par la presse ; surtout, maintenons haut et ferme, au milieu de la mêlée, le drapeau des principes véritables ; rangeons-nous tous autour de ce noble étendard que le Souverain-Pontife élève de sa main sacrée et qu’il montre à tous comme l’étendard du salut.
La liberté de la presse, telle que l’entend le monde moderne, est une folie, deliramentum, comme disait le Pape Grégoire XVI. C’est une machine de guerre qui bat en brèche, à coups redoublés, toutes les institutions religieuses, politiques et sociales, à l’ombre desquelles doit vivre l’humanité. Elle n’est pas moins détestable que la fausse liberté d’enseignement et que toutes les autres licences que nous avons signalées. Sans le retour à l’État chrétien, je ne crois pas qu’il y ait un remède radical, ni même un remède sérieux à opposer à la liberté de la presse, non plus qu’à toutes les autres libertés chancreuses qui défigurent chaque jour davantage le monde civilisé.
Encore une excellente force, détournée de son but par l’ignorance et l’impiété du monde moderne. L’association, devenue aussi dangereuse qu’elle était bienfaisante lorsqu’elle demeurait dans la vérité ! L’union fait la force. L’Église, qu’est-ce, après tout, sinon la grande et universelle association de tous les enfants de Dieu, pour le triomphe du Christ et de l’Évangile ?
Dans cette grande association, il s’en est formé beaucoup d’autres, tendant à réaliser en particulier quelqu’un des grands biens que l’Église réalise en général. Toute association, soit religieuse, soit politique, soit autre, est licite et bonne, du moment que, d’une part, elle se propose un but louable, conforme aux lois de Dieu et aux règles de l’Église, et que, d’autre part, sa constitution ne renferme rien de contraire à la foi, à la morale et au bien public.
C’est l’objet et la constitution d’une association qui en détermine la valeur morale, le caractère licite ou illicite. Par là, on peut juger combien sacrée est la liberté de toutes les réunions ou associations suscitées par l’Église : Conciles ecuméniques, Conciles nationaux et provinciaux, synodes diocésains, assemblées et réunions catholiques ; Ordres religieux d’hommes et de femmes, contemplatifs, actifs, quels qu’ils soient pourvu qu’ils soient approuvés du Saint-Siège ou de l’Évêque diocésain ; sociétés d’œuvres, de zèle et de propagande ; associations de charité, pieuses congrégations, confréries de prières et de pénitence, soit générales, soit particulières.
C’est par l’association sous toutes les formes que l’Église arrive à faire le plus de bien, et à lutter le plus efficacement contre toutes les ressources réunies de l’impiété et de l’hérésie. Il en est de même dans l’ordre purement naturel. Toute association, toute réunion qui a pour objet un intérêt politique ou social légitime, qui en elle-même n’a rien d’opposé au but suprême de la société religieuse, civile et domestique, est par cela seul licite et louable.
Telles sont les associations de secours mutuels ; tels étaient les anciens compagnonnages, les corporations ouvrières, où les intérêts mutuels des maîtres, des ouvriers, des apprentis étaient protégés contre le caprice ou la violence. Telles sont encore les réunions politiques où les gens de bien s’organisent et s’entendent pour atteindre plus sûrement tel ou tel résultat légitime, pour s’opposer à tel ou tel abus. Les réunions de simple agrément sont également licites et au même titre. Celles-là seules sont et doivent être défendues, dont le but ou dont les moyens sont contraires à la loi de Dieu, à l’ordre et au bien.
Aucune puissance humaine n’a le droit d’empêcher une association ou une réunion honnête, à moins qu’un intérêt public plus considérable ne vienne à la traverse. Mais il faut prendre garde d’abuser de ce principe vrai. Dans le doute, c’est à l’Église à résoudre le cas de conscience. Dans la société moderne, le principe sacré de la liberté d’association a été faussé, comme celui de la liberté d’enseignement, de la conscience, de la presse, etc. Privée du flambeau de la foi et de la direction tutélaire de l’Église, la société moderne ou la Révolution (c’est la même chose) a confondu la vraie et la fausse liberté ; elle a mêlé le poison avec le bon vin, la licence avec la liberté ; et c’est ce mélange vénéneux qu’elle verse dans la coupe de nos pauvres générations, sous le nom de liberté d’association, de liberté des cultes, de liberté de la presse, de liberté moderne.
D’après ce principe faux, les associations et réunions que l’État profane trouve dangereuses, lors même qu’au fond, elles ne le seraient pas, se trouvent interdites et supprimées. Ainsi a été supprimée ou du moins disloquée chez nous, dans ces dernières années, l’admirable et excellente Société de Saint-Vincent de Paul ; ainsi ont été longtemps interdits les Conciles provinciaux ; ainsi ont été supprimés, en 1828, les Petits – Séminaires et la Compagnie de JÉSUS avec ses saintes œuvres d’éducation et d’apostolat ; ainsi encore les Ordres religieux sont privés, depuis bientôt cent ans, de l’existence légale et publique à laquelle ils ont droit ; et mille autres entraves, illégitimes quoique légales, apportées par les gouvernements modernes à l’exercice normal du droit de réunion et d’association.
En pendant de ces entraves antichrétiennes, le principe révolutionnaire tolère, autorise, encourage même, quantité d’associations et de réunions pernicieuses, proscrites par l’Église : la franc-maçonnerie, par exemple, avec ses redoutables et immenses ramifications ; les associations et assemblées hérétiques ; les réunions démagogiques, où des hommes absurdes et pervertis traitent à leur façon les plus graves questions religieuses, sociales, politiques ; les ligues des solidaires et des libres-penseurs ; les comités démocratiques ; les ligues internationales des travailleurs, les sociétés ouvrières de coopération et de secours mutuels, instituées pour paralyser, pour remplacer les associations chrétiennes ; les congrès d’étudiants ; les bals publics, les mauvais théâtres, etc.
Pour le mal comme pour le bien, l’association est la grande force ; c’est là que s’établissent, entre les ennemis de l’Église et de la société, le concours, l’entente et la solidarité.
« Nous ne sommes pas ici pour discuter, mais pour nous concerter, » disait l’autre jour avec une tranquille impudence le président d’une de ces réunions ouvrières.
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Sur le terrain de l’association, luttons sans nous décourager. Unissons-nous pour le bien, comme les méchants s’unissent pour le mal. Réclamons, selon les besoins des temps et des pays, la liberté de nous réunir et d’agir collectivement ; efforçons-nous, par la parole, par la presse, par l’influence personnelle, de ramener une législation plus conforme à la vérité et au bien public. En cela comme en tout le reste, prenons le plus de liberté possible, nous rappelant une spirituelle et très-profonde saillie du P. Lacordaire.
Un jour, commençant un discours par ces paroles.
« Je prends la liberté… », le grand orateur s’interrompit et ajouta :
« Quelle formule vraiment française ! en effet, nous ne possédons de libertés que celles que nous avons prises. »
Prenons-en donc le plus possible, le mieux possible, le plus tôt possible, pour la gloire de Notre-Seigneur, pour l’honneur de son Église, pour la résurrection de la patrie, pour le bonheur et le salut de tous, sans en excepter ceux qui détiennent nos libertés captives. Prenons-en, en attendant le retour de la société, à la santé, au bon sens, à la foi, le retour de l’État chrétien, seul remède radical au mal qui nous dévore, nous ne saurions trop le répéter.
Source : La Liberté – Mgr de Ségur – 1869