Les méchants ne doivent pas prétendre avoir droit de se réjouir, parce qu’ils ont plus de liberté que les bons.
Qu’ils se persuadent, au contraire, qu’ils doivent pleurer leur misère, parce qu’il est certain, que ce qui leur cause présentement de la joie, les affligera bientôt. Car comme dit le sage, Dieu se sert pour punir l’homme des mêmes moyens dont l’homme se sert pour l’offenser.
Ainsi ce qui donne du plaisir au pécheur, lui fait aussi de la peine. Supposés même que Dieu ne le punisse pas dans le même instant qu’il l’offense, ce qui est fort ordinaire à la Sagesse Divine, son péché le punit, le vers de l’intérieur le ronge, et la raison lui remettant toujours son crime devant les yeux, le tourmente sans cesse.
J’ai vu, dit l’illustre Patient, que ces hommes qui ne se rendent remarquables que par leurs crimes, qui font le mal avec plaisir, ne peuvent éviter les effets de la Justice Divine, et que, comme ces grands arbres qui sont plantés sur les hautes montagnes, ils sont le jouet des vents et des tempêtes.
Les hommes sont exposés à de grandes misères, la vaine gloire les émus, l’ennuie les dévore, l’avarice les tourmentes, et ne leur donne aucun repos, la colère les enflamme, la gourmandise les rend semblables à des bêtes, et le feu de la luxure les consume.
Leurs paroles pleines de mensonges les rendent ridicules et ils souillent souvent leurs mains dans le sang de leurs frères. Mais selon la Doctrine de Saint Augustin, comme toutes ces sortes de péchés, et plusieurs autres fournissent à l’homme les moyens propres pour prendre ses plaisirs, ils servent d’instrument à Dieu, pour punir les hommes de leurs crimes.
Que ce profane à bien rencontré lors qu’il a dit que la volupté est méprisable, quand elle s’achète au prix de la douleur. L’ennuyeux, par exemple, se plait à voir en désordre les affaires d’autrui, mais dans ce plaisir, il y trouve sa peine, il devient maigre et se déchire d’ennuis, lors qu’il voit qu’elles vont mieux qu’il ne le souhaite.
Les Tyrans de Sicile ont excellé en cruauté, mais ils n’ont jamais intenté de supplice plus grand, ni de plus insupportable que celui de l’ennui. Le péché est le plus grand ennemi de la nature, il la corrompt de telle sorte, qu’il semble qu’elle ne soit plus ce qu’elle était avant qu’elle fût infectée de son venin. Pendant que les hommes se sont maintenus dans la justice, Dieu aussi les a assisté, et favorisé de ses grâces, mais au moment, comme dit l’Apôtre qu’ils ont quitté le véritable chemin, que leur esprit s’est emparé en ses pensées la présomption de sa lumière a été cause, que leur cœur insensé s’est trouvé rempli d’épaisses ténèbres.
Toutes leurs pensées et tous leurs raisonnements ont été pleins de confusion et de faiblesse. Ils ont méconnu Dieu, ils l’ont méprisé. Mais leur impiété n’est pas demeurée impunie, Dieu, justement irrité contre eux, les a traité comme ils l’ont voulu le traiter. Il les a abandonné, aux désirs déréglés de leurs cœurs, qui les ont portés à toutes sortes d’impureté, et qui ont déshonoré leurs corps d’une façon très infâme.
Comme ils ont négligé d’honorer Dieu et qu’ils n’ont pas recherché sa protection, ils sont tombés dans les derniers excès et dans la dernière misère, Dieu les ayant laissé tomber dans un esprit de réprobation, il est arrivé qu’ils ont violé toutes les Lois de la Justice, de l’honnêteté et de la bien séance.
Nous venons de montrer, comme les méchants sont affligés, faisons maintenant voir, que les justes le sont aussi, et que Dieu, quoiqu’il les délivre des péchés, il ne les excepte pas des peines. C’est le grand Apôtre qui parle. Les tribulations et les peines sont l’ordinaire partage de la véritable piété, et tout ceux qui veulent vivre saintement au service de Dieu, se doivent préparer à les souffrir, toute leur vie. Il y a des Saints qui ont été exposés aux moqueries, que l’on a chargés de chaîne, ou enfermés dans des prisons étroites et fâcheuses, et il y en a d’autres, qui ont été lapidés, sciés en deux, persécutés en toutes façons.
Enfin, il y en a qui ont souffert jusqu’à la mort. Les autres, comme de simples peaux de brebis et de chèvres, ont erré, c’est-à-dire, pour éviter la poursuite des méchants, qui avaient conspiré leur mort. Les autres ont manqué de toutes les choses nécessaires à la vie, les autres ont été pressés de toutes sortes, d’afflictions, sans avoir d’autre demeure que les déserts affreux, les montagnes stériles et les cavernes de la terre.
Plusieurs autres enfin, qui ont paru misérables aux yeux des hommes, regardés comme les ordures du monde, mais qui en effet ont été les mignons de Dieu, parce qu’ils ont supporté avec force leurs misères, et qu’ils en ont fait leurs plus grandes et leurs plus saintes délices. Ainsi, vous voyez que les Saints n’ont pas été exempt des souffrances du monde. Ils ont été exposés à toutes sortes de périls, ils ont pensé périr sur la mer, ils sont tombés entre les mains des voleurs, on leur a dressé des embuches dans leurs propres pays, et on leur a tendu des pièges dans les nations étrangères.
Ils ont été en danger dans les villes, et la solitude ne leur a pas été n’y plus favorable, ils ont eux de faux frères, qui les ont trahis en cachant leur impiété sous une trompeuse patience de Religion, ils ont été accablés de travail, ils ont passé les nuits dans les veilles, et les jours dans les abstinences, ils ont senti toutes les rigueurs de l’air, comme le reste des hommes et ils n’ont pas eu de quoi couvrir leur nudité, ainsi, ils ont été sujets à toutes les infirmités humaines.
Voilà une parfaite image des véritables Chrétiens, voilà comment ils font, en se méprisant tout à fait, excitent une cruelle guerre entre leur chair et leurs passions, par le grand désir qu’ils ont que le monde soit mort en eux, comme ils sont morts au monde. Puisque nos ancêtres n’ont été que des Pèlerins sur la terre, nous ne prétendons pas d’y demeurer toujours, comme ils ont passé, nous passerons aussi.
Enfin, concluons ce discours avec le Docteur des Nations, et disons que non seulement il faut souffrir pour les affaires particulières, mais encore pour celle des frères. Qui est faible, dit-il, sans que je le sois, aussi, qui tombe par quelque scandale mal pris, sans que s’en ressente une extrême douleur d’esprit, et qu’en zèle ardent de le guérir, ou d’ôter l’occasion de son scandale, ne me saisisse à l’heure même ?
Il est très vrai que les justes se plaisent toujours à trouver des occasions de bien faire, à leurs frères, et nous avons un rare exemple de cette vérité dans l’Écriture, ou il est dit que Caleb, qui est la figure des hommes affectionnés, n’eut point de plus grande satisfaction, que lors qu’il accorda à sa fille, ce qu’elle lui demandait. Que les impies se moquent tant qu’ils voudront, et qu’ils se réjouissent tant qu’il leur plaira, Dieu dissimule leurs impiétés, et sa patience ne fait qu’irriter sa colère.
Mais lors qu’il les voudra châtier, il les punira par les mêmes choses, par lesquelles ils l’ont offensé. Ils sont audacieux, parce qu’ils sont dans l’éclat et dans la grandeur, mais dans un moment, ils seront entièrement abaissés. Ces êtres orgueilleux seront renversés. Dieu fait fondre sur eux les foudres de la justice irritée et les réduira en poudre, en telle sorte, que l’on ne verra pas seulement les moindres traces de leur ancienne gloire.
Saint Augustin dit, qu’il y a deux sortes d’hommes sur la terre, qui vivent, les un parmi les autres, à savoir les justes et les pécheurs. Les justes aiment l’humilité et les méchants chérissent l’orgueil, les uns s’abaissent pour s’élever et les autres s’élèvent pour tomber. D’où il arrive que les uns souffrent et que les autres font souffrir. Que les autres veulent gagner les méchants pour le salut, et que les impies veulent rendre le mal pour le bien et priver même de la vie temporelle, ceux qui travaillent à leur acquérir la vie de l’éternité.
Le juste voudrait que le méchant devienne juste, et il fait tout ce qu’il peut pour cet effet. L’impie, au contraire, voudrait que le juste soit méchant comme lui, ou qu’il soit plutôt mort, que de le voir toujours vivre en homme de bien. Voilà les tourments des impies et voici les délices des justes.
Le méchant met son contentement et sa joie, dans l’abondance de l’or et de l’argent, dans la multitude des serviteurs et des sujets qu’il a, dans ses différentes possessions, dans sa table si splendide et si délicate, mais le juste, au contraire, recherche ses délices dans la pauvreté, dans l’indigence presque de toutes les choses nécessaires à la vie, dans les douleurs et dans les afflictions.
Le juste considère que quand la félicité du méchant serait perpétuelle, ce qui ne se peut pas faire, elle ne doit pas être l’objet de son ennuie, et qu’il ne doit point avoir d’autre passion, que celle qui le porte à Dieu, qui est, comme dit Saint Augustin, son abondance, ses délices et sa paix.
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Voilà, les Saints souffrent sur la terre, aussi bien que les méchants, et Dieu le permet pour leur apprendre que le monde n’est que le lieu de leur exil et qu’ils n’y doivent pas fonder leurs espérances, mais dans le Ciel, qui est un lieu de repos, où l’on possède toutes choses par excellence et où l’on n’est sujet à aucune misère.
Source : L’art de se bien connaître, ou le mépris des conditions de la vie. – Innocent III – Traduit du latin par A. F. Du Petit-Puy de Roseville, Conseiller, Aumônier et Prédicateur du Roi en 1666. Traduit du vieux français au français moderne par Lecatho.
Edifiant.