D’un bout à l’autre, le bien armé, le droit que l’on rétablit, la morale fortifiée, la Société garantie à l’homme malgré le mal, malgré l’égoïsme, malgré ses vices, hélas! et la méchanceté de son cœur.
La Société n’est rien de moins. Elle est mère et non fille de l’homme. Jamais elle ne fut faite pour obéir à ses caprices, céder à son orgueil, ou descendre dans ses passions. Le bien armé! la Politique, hélas! introduit parmi nous la force, parce que la liberté y introduit le mal. Ou plutôt, le mal exige l’emploi de la force, et de là, l’ordre politique.
Le bien armé, c’est là notre humiliation. Et cependant, quelque libre que devienne notre âme, quelque noble qu’en soit la nature, ne faisons point mépris de la force, nous lui devons la Société. Chez les êtres libres, la force introduit l’ordre, elle fait rentrer la justice et la paix, afin qu’il y ait des êtres libres! Ils ne le sont point partout où elle ne les a pas recueillis et placés au sein de la justice et de la paix. Il faut bien que la force protège le droit; qu’elle protège la justice, la vérité, l’innocence, tout ce qu’il y a de pur, de sacré sur la terre.
Vous-mêmes, qui voudriez qu’elle en fût bannie, vous n’existeriez point sans la force. Elle est réellement une force morale, celle qui oblige les hommes à devenir des êtres moraux; celle qui rend leurs consciences libres, leurs volontés et leurs actes libres, dans le bien, dans le vrai, dans tout ce qui se rapporte au développement de leur noble nature; elle est réellement une force morale, celle qui ôte l’obstacle devant la conscience et rend à l’homme la liberté.
Certes! la force n’a pas la vertu de changer les cœurs, mais elle a celle de les soustraire à la discorde; aussi ne doit-elle plus intervenir chez ceux que la vertu rend libres. Mais la perte des idées chrétiennes nous dérobe les choses les plus simples; ou la force, chez nous, vient dépasser le but, ou nous désirons la bannir.
Le bien armé là est notre humiliation; là est aussi tout l’ordre politique, le rempart de l’Ordre moral. Toutefois, le bien armé n’est pas le bien; et le soutien de l’ordre moral n’en est pas plus le souverain que le gendarme n’est le maître de celui qu’il délivra des assassins. Soyons humiliés si la justice prend un glaive pour pénétrer parmi les hommes, humiliés de rencontrer la force au milieu des êtres moraux: fait inouï, fait odieux s’il n’était justifié par ce fait malheureux que l’on nomme le mal; cependant, félicitons-nous si cette force reste au pouvoir de la justice, si l’arme détestée ne passe pas des mains du droit dans celles de la tyrannie, destructrice des droits; si la force, en un mot, est la force du droit et non le droit de la force…
Car la force n’est point le droit. Ici, nous voulions uniquement remarquer cette incomparable misère, que notre droit ne puisse régner sans la force. Le droit certes! est le but; mais n’ayons pas l’illusion de croire qu’il doive s’affranchir du moyen et puisse un jour se passer de la force. Les vœux, les rêves et les révolutions ne la détruiront pas; la vertu seule, en multipliant la justice et la paix, a le pouvoir de restreindre l’office des gouvernements et le triste emploi de la force. Mettons aujourd’hui notre espoir à ce qu’elle soit avec et non contre le droit.
Voilà pourquoi l’instrument redoutable ne doit être que dans les mains de celui qui est légitime, c’est-à-dire, conforme à la loi, à Dieu qui nous le donne pour qu’il soit selon lui, et pour que ni le Roi ni le peuple ne puisse confondre la force avec le droit.
La force politique établit donc au sein de la justice, des hommes qui d’eux-mêmes ne l’accompliraient pas. Pendant ce temps, la Société se forme parmi eux. Ici, le méchant ne pourra s’emparer de la femme de son prochain, ni de son champ, ni de son bœuf, QU’IL DÉSIRE… L’homme de bien partout circule, dans cette voie merveilleuse, où le méchant se voit cloué à tous les pas par les précautions de la force…
Cette force, si souvent maudite, arrête l’anthropophagie, suspend le meurtre et l’infanticide, met un frein aux plus cruelles injustices, calme insensiblement les haines, rend libres les consciences, les volontés, la vérité, le bien et l’innocence; prépare la place au droit, au mérite, à la vertu, à la bonté, puis à la charité, à laquelle les hommes peuvent dès-lors paisiblement obéir; cette force, en un mot, leur assure tous les biens de la terre lorsque Dieu l’a placée entre les mains d’un Roi, « Donne-leur un Roi, dit le prophète, afin qu’ils sachent qu’ils sont des hommes. »
Car son Autorité n’est que le droit qui prend force; ou, si l’on veut, qui prend la force pour qu’elle soit, non du côté du mal, mais du côté du bien. Et la force déposée dans les mains du Droit s’appelle l’Autorité. Voilà pourquoi l’Autorité est souveraine: le Ciel veut qu’elle soit au-dessus de tout homme, alors qu’elle lui rend un service au-dessus de tout.
Quelle est cette parole que j’entendis en mon enfance? Les Rois s’en vont! et qu’un chansonnier redisait aux foules dans son refrain: Faites l’aumône au dernier de nos Rois? S’il existe une aumône, c’est celle de la justice, celle de la sûreté et de la paix, faite par la main des Rois à cette humanité que, hors de la Grâce ou de l’Autorité, vous voyez depuis six mille ans assise à l’ombre de la mort. Et si les Rois s’en vont, alors les peuples les suivent…
L’ordre politique ne dérive donc point de l’ordre primitif de la Création, mais des impérieuses nécessités de notre nature déchue. Il n’y a d’absolu au fond du pouvoir qu’il exerce que sa nécessité pour nous, et l’obligation où il est de conserver l’autorité suffisante à ses nobles fins. Mais d’une semblable situation va naître cette multitude de droits et de faits légitimes, bien qu’inexplicables aux yeux de la philosophie pure, de la théorie puérile qui sert de point de départ et de principe à la Révolution.
Le pouvoir des Rois est issu de la Chute ; l’Écriture les nomme, dans sa précision magnifique, les ministres de Dieu POUR LE BIEN. Les races qui ont maintenu le ministère de ce bien ont été, avant toutes, aimées et protégées de Dieu; il les a portées dans ses bras par-dessus les périls et les siècles. Sondant les cœurs et les reins, il leur verse avec abondance les trésors de la vie et de l’intelligence; et le temps nous fait compter les anneaux d’une légitimité ainsi fondée au Ciel et consacrée par Dieu.
Lorsque le comte de Maistre releva cette expression de l’Écriture : C’est moi qui fais les Rois, il ne manqua pas d’ajouter :
« Ceci n’est point une métaphore, mais une loi du monde politique. Dieu fait les Rois, au pied de la lettre. Il prépare les races royales; il les mûrit au milieu d’un nuage qui cache leur origine. Elles paraissent ainsi couronnées de gloire et d’honneur. »
Si nous avions vu les nations d’abord exister par elles-mêmes, ensuite prendre des Princes par une sorte de luxe, et comme les villes se choisissent un maire, nous croirions à la réalité du point de vue offert par le siècle dernier. Mais l’histoire nous montre au contraire des Familles princières formant la clef de voûte et même quelquefois le germe des nations; puis ces nations se déployant corrélativement à ces Familles centrales, toujours en proportion de leur grandeur, de leur génie, de leur sentiment de la justice et des destinées définitives de l’homme.
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La Russie, par exemple, ne vint sur la scène du monde qu’avec les Romanow. Certainement, entre ces Familles principales et leurs peuples, il a dû s’établir des échanges de diverses natures; ceux-ci présentaient leurs coutumes, leurs droits acquis, celles-là inspiraient leurs sentiments à la noblesse, d’où ils se versaient dans le cœur de ces peuples, car Dieu sut tout proportionner.
Néanmoins, on a dû remarquer qu’en fait de hautes qualités morales, politiques et religieuses, les peuples reçurent infiniment plus de ces grandes Familles, que celles-ci n’acceptèrent d’eux: à tel point qu’on voit encore chez ces Familles, quelle qu’en soit la situation aujourd’hui, des vertus et des aspirations qui sont loin d’être absorbées par leurs peuples. Dans les derniers temps, les filles de nos Rois étaient des Saintes, et leurs petits-fils des héros.
Source : Infaillibilité – Antoine Blanc de Saint-Bonnet – 1861
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