La théologie mystique est la science expérimentale, affective, infuse de Dieu et des choses divines. En elle-même et dans ses moyens, elle est surnaturelle ; car ce n’est pas l’homme qui,de sa force propre peut faire invasion dans le sanctuaire inaccessible de la Divinité.
C’est Dieu, source de sagesse et de vie, qui laisse tomber sur l’homme les rayons de la vérité sacrée, le touche, l’enlève jusqu’au sein de ces splendeurs infinies que l’esprit ne comprend pas, mais que le cœur goûte, aime et révère. La prière seule, quand elle part de lèvres pures, peut incliner Dieu vers nous et nous mériter la participation aux dons célestes.
I. Après une invocation à la Trinité, on fait voir qu’il est nécessaire de s’abdiquer soi-même pour arriver à la contemplation mystique ;
Trinité suprà-essentielle, très divine, souverainement bonne, guide des chrétiens dans la sagesse sacrée, conduisez-nous à cette sublime hauteur des Écritures, qui échappe à toute démonstration et surpasse toute lumière. Là, sans voiles, en eux-mêmes et dans leur immutabilité, les mystères de la théologie apparaissent parmi l’obscurité très lumineuse d’un silence plein d’enseignements profonds : obscurité merveilleuse qui rayonne en splendides éclairs, et qui, ne pouvant être ni vue ni saisie, inonde de la beauté de ses feux les esprits saintement aveuglés.
Telle est la prière que je fais. Pour vous, ô bien-aimé Timothée, exercez-vous sans relâche aux contemplations mystiques ; laissez de côté les sens et les opérations de l’entendement, tout ce qui est matériel et intellectuel, toutes les choses qui sont et celles qui ne sont pas, et d’un essor surnaturel, allez vous unir, aussi intimement qu’il est possible, à celui qui est élevé par delà toute essence et toute notion. Car c’est par ce sincère, spontané et total abandon de vous-même et de toutes choses, que libre et dégagé d’entraves, vous vous précipiterez dans l’éclat mystérieux de la divine obscurité.
II. Qu’on peut tout nier et tout affirmer de Dieu.
Veillez à ce que ces choses ne soient pas entendues par les indignes : je veux parler de ceux qui se fixent dans la créature, qui n’imaginent au-dessus du monde de la nature aucune réalité supérieure, et qui estiment pouvoir connaître par la force de leur propre esprit celui qui a pris les ténèbres pour retraite.
Mais si la doctrine des divins mystères dépasse la portée de ces hommes, que dira-t-on des profanes qui désignent la cause sublime de tout précisément par les plus viles substances de l’univers, et soutiennent qu’elle n’a rien de plus excellent que ces simulacres impies et de formes multiples que leurs mains ont façonnés ? tandis qu’on doit lui attribuer et affirmer d’elle ce qu’il y a de positif dans les êtres, puisqu’elle en est la cause; ou mieux encore, le nier radicalement, puisqu’elle leur est infiniment supérieure ; tandis encore qu’ici la négation ne contredit pas l’affirmation, et que cette nature suprême s’élève au-dessus de tout, au-dessus de toute négation comme de toute affirmation.
III. Ce que c’est que la divine obscurité, et comment on y pénètre.
C’est en ce sens que le divin apôtre Barthélemi disait que la théologie est tout ensemble développée et briève, l’Évangile ample, abondant et néanmoins concis. Par là, il me semble avoir excellemment compris que la bienfaisante cause de tout s’exprime en de nombreuses et en de courtes paroles, s’exprime même sans discours, n’y ayant pour elle ni discours ni pensée, parce qu’elle est essentiellement supérieure au reste des êtres, et qu’elle se manifeste dans sa vérité et sans voile à ceux-là seuls qui traversent le monde matériel et intellectuel, franchissent les hauteurs de la plus sublime sainteté, et, laissant de côté désormais toute lumière, tout accent mystérieux, toute parole qui vient du ciel, se plongent dans les ténèbres où habitent, comme dit l’Écriture, celui qui règne sur l’univers.
Et ici l’on peut observer qu’il fut enjoint au divin Moïse de se purifier d’abord et de se séparer ainsi des profanes ; que, la purification achevée, il entendit les sons variés des trompettes, et vit divers feux qui s’épanouissaient en purs et innombrables rayons ; et qu’enfin, laissant la multitude, il monta en la société de quelques prêtres choisis jusqu’au sommet de la montagne sainte.
Toutefois, il ne jouit pas encore de la familiarité de Dieu ; seulement, il contemple non pas la divinité qui est invisible, mais le lieu où elle apparaît. Ceci veut faire entendre, à mon avis, que les choses les plus divines et les plus élevées qu’il nous soit donné de voir et de connaître sont, en quelque sorte, l’expression symbolique de tout ce que renferme la souveraine nature de Dieu : expression qui nous révèle la présence de celui qui échappe à toute pensée et qui siège par delà les hauteurs du céleste séjour.
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Alors, délivrée du monde sensible et du monde intellectuel, l’âme entre dans la mystérieuse obscurité d’une sainte ignorance, et, renonçant à toute donnée scientifique, elle se perd en celui qui ne peut être ni vu ni saisi ; tout entière à ce souverain objet, sans appartenir à elle-même ni à d’autres ; unie à l’inconnu par la plus noble portion d’elle-même, et en raison de son renoncement à la science ; enfin puisant dans cette ignorance absolue une connaissance que l’entendement ne saurait conquérir.
Source : Denis Aeropagite – Traité de la théologie mystique