La force de la prière, c’est que seulement par elle nous pouvons aller à Dieu, non pas qu’on veuille dire qu’il soit éloigné de nous, mais bien plutôt que nous nous rapprochons de lui; car dans la prière, Dieu descend moins vers nous qu’il ne nous élève vers lui. II. Il y a quelque utilité a traiter les questions qu’on va lire, même après ce qu’en ont dit d’autres écrivains.
Modestes sentiments de l’auteur par rapport à son œuvre.
Commençons, si vous le jugez convenable, par étudier le nom de bonté, qui exprime plus parfaitement la totalité des œuvres divines. Et d’abord invoquons la Trinité, bonté suprême, cause de tout bien, qui nous dévoilera elle-même les secrets de sa douce providence. Car il faut, avant tout, que la prière nous conduise vers le bienfaisant Créateur, et que, approchant de lui sans cesse, nous soyons initiés de la sorte à la connaissance des trésors de grâces dont il est comme environné. A la vérité, il est présenta toutes choses; mais toutes choses ne se tiennent pas présentes à lui.
Quand nous l’appelons à notre aide par une prière chaste, l’esprit dégagé d’illusions et le cœur préparé à l’union divine, alors nous lui devenons présents; car on ne saurait dire qu’il soit jamais absent, puisqu’il n’habite pas un lieu et qu’il ne passe point d’une place à l’autre. Et même affirmer qu’il est dans tous les êtres, c’est exprimer bien mal son infinité qui comprend et surpasse toutes choses.
L’homme s’élève donc par la prière à la contemplation sublime des splendeurs de la divine bonté : tels, si une chaîne lumineuse attachée à la voûte des cieux descendait jusque sur la terre, et si, la saisissant, nous portions sans cesse et l’une après l’autre les mains en avant, nous croirions la tirer à nous, tandis qu’en réalité elle reste immobile à ses deux extrémités, et que c’est nous qui avançons vers le splendide éclat de son radieux sommet.
Tels encore, si, montés dans un navire, nous tenions pour nous aider un câble fixé à quelque rocher, nous ne ferions pas mouvoir le rocher, mais bien plutôt nous irions à lui, et le navire avec nous. Tel enfin, si, du bord d’un bateau, quelqu’un venait à pousser les montagnes du rivage, il n’ébranlerait certes pas ces masses immenses, immobiles, mais lui-même s’éloignerait d’elles; et plus son effort serait violent, et plus il se rejetterait loin.
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C’est pourquoi dans tous nos actes, et surtout quand il s’agit de traiter des choses divines, il faut débuter par la prière, non pas afin d’attirer cette force qui n’est nulle part et qui est partout, mais afin de nous remettre entre ses mains et de nous unir à elle par un souvenir et des invocations pieuses. Mais il convient de repousser un reproche qu’on pourrait me faire.
Puisque mon illustre maître Hiérothée a fait son admirable recueil des Éléments de théologie, devrais-je, comme si ce traité fut incomplet, écrire le présent ouvrage et d’autres encore? Certainement, s’il eût voulu continuer l’exposition par ordre de toutes les matières théologiques, et développer en des traités particuliers la somme entière de la théologie, nous ne fussions jamais tombé en cet excès de folie et de témérité, d’imaginer que nous parlerions des mêmes choses avec plus de profondeur que lui et d’une façon plus divine; nous n’eussions pas entrepris un travail superflu pour répéter ses propres discours; surtout nous n’eussions jamais commis cette lâcheté envers notre maître et ami, auquel, après saint Paul, nous devons notre initiation à la science divine, de lui dérober la gloire de ses pensées et de ses sublimes enseignements.
Mais comme il exposait sa doctrine d’une façon vraiment relevée et émettait des sentences générales et qui, sous un seul mot, cachaient beaucoup de choses, nous tous qui sommes les maîtres des âmes encore novices dans la perfection, nous reçûmes l’ordre d’éclaircir et de développer, dans un langage mieux proportionné à nos forces, les idées si profondes et si concises de cette puissante intelligence. Vous-même m’avez adressé souvent une semblable exhortation et renvoyé son livre comme dépassant la portée ordinaire. Et effectivement je le regarde comme le guide des esprits avancés dans la perfection, comme une sorte de seconde Écriture qui vient à la suite des oracles inspirés des apôtres, et crois qu’il le faut réserver aux hommes supérieurs. Pour moi, je transmettrai, selon mon pouvoir, les secrets divins à qui me ressemble. Car, si la nourriture solide n’est que pour les parfaits, quelle doit être la perfection de celui qui la communique aux autres.
J’ai donc eu raison de dire que cette vue intuitive et cet enseignement relevé du sens spirituel des saintes Lettres requièrent toute la force d’une mûre intelligence; mais que la connaissance et le développement des considérations élémentaires conviennent à des maîtres et à des élèves moins capables. Je me suis encore scrupuleusement abstenu de toucher aucunement à ce que notre glorieux maître a expliqué avec une évidence sensible, pour ne pas répéter en cette rencontre les éclaircissements qu’il a fournis le premier.
Toute parole vient mal après la sienne ; car il brillait même entre nos pontifes inspirés, comme vous avez vu quand vous et moi et beaucoup d’entre les frères nous vînmes contempler le corps sacré qui avait produit la vie et porté Dieu. Là se trouvaient Jacques, frère du Seigneur, et Pierre, coryphée et chef suprême des théologiens. Alors il sembla bon que tous les pontifes, chacun à sa manière, célébrassent la toute-puissante bonté de Dieu, qui s’était revêtu de notre infirmité. Or, après les apôtres, Hiérothée surpassa les autres pieux docteurs, tout ravi et transporté hors de lui-même, profondément ému des merveilles qu’il publiait, et estimé par tous ceux qui l’entendaient et le voyaient, qu’ils le connussent ou non, comme un homme inspiré du ciel et comme le digne panégyriste de la divinité. Mais à quoi bon vous redire ce qui fut prononcé en cette glorieuse assemblée? Car, si ma mémoire ne m’abuse pas, il me semble avoir souvent entendu de votre bouche des fragments de ces divines louanges : tant vous déployez toujours une pieuse ardeur en ce qui concerne les choses saintes.
Mais laissons ces mystiques entretiens, qu’on ne doit pas divulguer aux profanes, et que d’ailleurs vous connaissez parfaitement. Rappelons seulement ceci : lorsqu’il fallait conférer avec le peuple et amener les masses à la sainteté de nos croyances, comme Hiérothée l’emportait sur la plupart de nos maîtres par sa ténacité en ce pieux travail, par la rectitude de son esprit, par la puissance de ses démonstrations et la vertu de ses discours, tellement que nous étions vaincus par l’éclat de ce radieux soleil, car nous avons la conscience de nous-même, et certainement nous sommes incapable de bien comprendre ce qu’on peut savoir de Dieu, incapable d’expliquer parfaitement ce qu’on en peut dire, c’est pourquoi tant inférieur à ces hommes parfaits qui possèdent pleinement la vérité théologique, une sorte de religieuse frayeur nous eût empoché de rien entendre et de rien dire touchant la divine philosophie, si nous n’étions convaincu qu’on ne doit pas négliger la science sacrée, à quelque degré qu’on la reçoive.
Et ce qui détermine en nous cette persuasion, c’est, d’un côté, le désir inné des esprits qui aspirent avec un insatiable amour à la contemplation des choses surnaturelles; c’est, d’autre part, la sage disposition des lois divines par où il est à la fois défendu de sonder curieusement les secrets qui nous dépassent, et que nous sommes indignes et incapables de connaître, et ordonné d’apprendre avec zèle et de transmettre avec bonté tout ce qu’il nous est utile et permis de savoir.
Pour ces motifs, ni le travail, ni la lâcheté ne nous détourneront de rechercher les choses divines en la mesure de nos forces ; nous ne voudrions pas abandonner sans secours ceux qui ne peuvent encore s’élever à une plus grande hauteur que nous. Ainsi avons-nous été entraîné à écrire; et nous ne venons pas proposer témérairement des solutions nouvelles, mais seulement diviser et développer par des commentaires moins concis ce que le divin Hiérothée a dit d’une manière plus angélique.
Source : Œuvres de Saint Denys l’aréopagite – Traduites du grec par Mgr Darboy 1845