Aucun Dogme n’est plus ancien dans l’Église catholique, ni plus solidement établi que celui de son indépendance des Puissances de la Terre dans le gouvernement spirituel de ses enfants.
Les dernières Hérésies, en attaquant ce dogme, ne l’ont point détruit, et n’ont fait que compromettre le repos du Monde, en ébranlant les bases sacrées de sa croyance en ce point. — Comme les Pontifes de l’ancienne Loi tenaient de Dieu même la puissance sacerdotale, ainsi l’Église a-t-elle reçu immédiatement de Jésus-Christ l’autorité qu’elle est en possession d’exercer depuis les siècles apostoliques.
C’est entre tous ses apôtres que Jésus-Christ partagea le ministère de l’Enseignement doctrinal, de la dispensation des choses saintes et du gouvernement des Ames ; mais c’est sur la personne unique de Pierre, le chef de ses Apôtres, qu’il a réuni la plénitude de sa puissance dans son Royaume spirituel, avec primauté de juridiction sur l’universalité tant des Pasteurs que des Troupeaux particuliers : disposition de divine sagesse, nécessaire au maintien de l’unité de la foi dans une Société qui devait embrasser l’univers entier.
Un Roi chrétien, Souverain sans dépendance dans le domaine de son Empire temporel, n’aspire qu’au rang de premier sujet dans le Royaume spirituel de Jésus-Christ. Le pouvoir du Roi de France, dans l’Église, est celui du Fils aîné dans la maison de sa mère ; c’est un pouvoir de bienveillance et de protection, et nullement de domination.
Sujets du Prince, les Pontifes lui doivent respect, obéissance et fidélité ; Enfant et premier sujet de l’Église, le Prince lui doit un dévouement filial à ses Saintes Ordonnances et le respect aux lois constitutives de son gouvernement.
La dénomination d’Évêques du dehors, donnée autrefois à certains Princes, atteste non leur autorité dans l’Église, mais leur affection pour elle, leur zèle à l’appuyer de leur autorité, à procurer la promulgation ou le maintien de ses Décrets solennels.
Jamais ces Évêques du dehors, qu’on a quelquefois vu assister en personnes à des Conciles, n’ont eu la prétention ni d’y faire la loi, ni même de concourir à sa confection par voix délibérative. Ils dénonçaient des abus, ils proposaient des réformes ; mais l’Église décidait.
Les novateurs et les Philosophes de ses derniers temps ont contradictoirement imputé à Charlemagne, tantôt d’avoir gouverné l’Épiscopat et tantôt d’en avoir été gouverné. La vérité est que ce Prince, grand dans la paix, grand dans la guerre, avait le bon esprit d’investir d’une grande considération les Saints Évêques de son temps, et de s’associer leurs lumières et leur zèle pour le gouvernement des mœurs dans l’étendue de son vaste empire.
Ces Novateurs, toujours brouillons, objectent, comme des droits de l’Autorité temporelle , ceux qu’elle exerce quelquefois par concession de l’Autorité spirituelle. Nos Rois de France, par exemple, sont en possession de présenter les sujets pour l’Épiscopat. Ils présentent ; mais c’est le souverain Pontife qui nomme et qui institue.
L’Église, qui a eu tant à se louer du zèle et de la constante affection de nos Rois, doit d’autant moins présumer qu’ils abusent de cette faculté de présentation, que l’abus, s’ils se le permettaient, n’irait pas moins à leur propre détriment qu’à celui de l’Église. C’est, en effet, en s’appliquant à composer le Corps épiscopal d’hommes éminents en lumières et en vertus, que le Prince aura sous sa main l’instrument le plus doux et le plus puissant pour la réforme et le maintien
des mœurs publiques.
Ces leçons, et d’autres encore sur des sujets également sérieux, pourraient paraître précoces, adressées à un Enfant de douze ans. Mais, outre qu’il est des vérités dont on ne peut trop tôt jeter les semences dans un cœur encore neuf et libre des passions, et que les plus importantes de ces vérités sont celles que l’on redit le moins aux Princes après leur éducation, il est d’expérience encore que l’habitude où ils sont de ne converser qu’avec des hommes instruits, hâte chez eux le développement des facultés intellectuelles.
Aucun Ouvrage, soit imprimé, soit manuscrit, pas même ceux qui partaient de sources connues, n’était admis pour l’instruction des Princes qu’après avoir passé sous les yeux de la Dauphine, qui, lorsqu’elle avait toute confiance dans la sagesse des leçons données à ses Enfants, était bien aise encore d’en juger l’à-propos.
C’est ce qu’attestent plusieurs lettres du Gouverneur du Dauphin (Louis XVI) que nous avons sous les yeux :
« J’ai reçu le beau Traité sur l’humanité des Princes, que vous m’avez envoyé. J’en ai fait part à Madame la Dauphine, qui le lira avec toute l’attention qu’il mérite. J’ai reçu la fin du travail que vous avez eu la bonté de faire, pour servir à l’éducation de Messeigneurs les Enfants de France. Je n’ai rien vu en ce genre d’aussi bon, d’aussi beau, d’aussi bien dit. — Avant d’en faire usage pour nos Princes, je l’ai communiqué à Madame la Dauphine. On ne peut rien ajouter aux sentiments qu’elle a témoignés pour vous ni au plaisir avec lequel elle l’a reçu. »
À lire aussi | Historien : L’Église n’a pas donné “carte blanche” en Amérique
Rien ne prouve mieux que le jeune Dauphin recevait dès lors avec fruit les instructions les plus sérieuses, que son empressement à les solliciter lui-même, et les témoignages de reconnaissance et d’amitié qu’il faisait parvenir à ce sujet au savant Auteur qui les composaient (Lettre du Duc de la Vauguion, 20 janvier 1767,).
Source : Louis XVI et ses vertus aux prises avec la perversité de son siècle, par feu l’abbé Proyart