Le culte du Sacré Cœur vise à renouveler les effets de la Rédemption. La révélation du Sacré Cœur n’a pas eu seulement pour but de donner naissance à une dévotion spéciale, si touchante et si féconde qu’elle soit. Elle vise à raviver le christianisme tout entier et à renouveler les effets de la Rédemption.
Aussi n’est-il pas de dévotion qui s’identifie plus complètement avec le christianisme lui-même et qui ait un fondement plus solide, puisqu’elle repose sur les paroles de Jésus-Christ, certifiées par l’Église.
Il importe donc souverainement, pour correspondre aux vues de Notre-Seigneur, que nous entrions entièrement dans l’esprit des révélations de son Cœur. Or, si ces révélations ont pour caractère dominant l’amour, un amour ardent, embrasé, sans mesure, à ce premier caractère en est joint inséparablement un autre : l’immolation, le sacrifice, la pénitence.
Ce divin Cœur se manifeste à nous comme consumé par les flammes qui l’environnent de toutes parts ; mais il se montre aussi avec la Croix, la couronne d’épines et sa profonde blessure. C’est par la grande voie, la « voie royale de la sainte Croix », que fut conduite Marguerite-Marie : elle est le type le plus achevé de Victime ; c’est par cette voie que l’humble Visitandine mena ses novices et les correspondantes qui eurent recours à ses conseils.
C’est le plan net, simple, de l’édification du temple de Dieu dans les âmes. On le pourra toujours orner, enrichir, embellir ; mais il ne faut pas sortir de cette architecture divine, en dehors de laquelle on pourra rencontrer des beautés factices, de la fantaisie spirituelle, sans aucune garantie de force, de sécurité, de solidité et de durée.
Tant d’âmes, même avec des intentions droites, des élans généreux, des efforts intermittents, restent dans le marasme, la tristesse et l’ennui, souffrant du vide d’elles-mêmes ! Qu’elles se mettent à cette divine école et bientôt, elles se rempliront de Dieu. La croix toute seule est dure, mais Marguerite-Marie la montrait plantée dans le Sacré Cœur de Jésus, qui, dans les desseins de Dieu, doit être l’attrait fort, irrésistible, pour les âmes détachées des choses terrestres et d’elles-mêmes.
Essayez, disait-elle, bientôt, vous reconnaîtrez qu’on trouve tout dans le Sacré Cœur de Jésus : la force, le courage, la persévérance, la consolation et même la joie profonde, cent fois meilleure que les satisfactions superficielles de la nature et du monde.
La vie chrétienne est une vie sérieuse, grave, bien remplie. Le chemin de la vertu n’est pas de ces grandes routes dans lesquelles on peut s’étendre avec liberté ; au contraire, ce n’est qu’un petit sentier, une voie étroite et serrée, mais en même temps extrêmement droite. Si peu, non seulement que l’on se détourne, mais même que l’on chancelle dans cette voie, on risque de tomber dans les écueils dont elle est environnée de part et d’autre.
Il faut bien avouer que pour plusieurs, ce qui constitue la vie chrétienne, c’est l’accumulation des dévotions, des petits livres, des menus objets de piété. Pour ces personnes, les pratiques religieuses sont affaire d’habitude, de mode, de tempérament, d’imagination. On prend de la religion, ce qui va, on laisse ce qui ne va pas.
On aime cette douce morale qui exalte la beauté de la religion et ses rapports avec les tendances du cœur humain, et qu’on a tirée, dit-on, de l’Évangile. Oui, certes, tout cela est dans l’Évangile, mais il y a autre chose que cela. Si la religion produit de douces émotions, elle impose aussi de graves devoirs ; si la pratique de la religion rend aimable, elle rend aussi généreux et fort.
La religion, c’est le renoncement, l’humilité, le sacrifice, le dévouement : d’où le mot dévotion. La religiosité, c’est la fantaisie ; elle discrédite la vraie piété, parce qu’elle fait rejeter sur les personnes vraiment religieuses les inconséquences de la fausse dévotion. Il faut donner généreusement à Dieu, sans aucune retenue, chacune de nos journées, chacune de nos heures, chacune des respirations de notre cœur, ne discutant pas, ne murmurant pas, n’hésitant pas, accomplissant jusqu’au bout le devoir imposé.
Le Cœur de Jésus est une divine école, la meilleure où l’on apprend la sainteté ; il est la source où s’abreuvent les êtres altérés de grâce et de miséricorde ; il est le brûlant symbole que chantaient nos pères, quand, au milieu des dangers et des tribulations, ils s’écriaient :
« Vive le Christ qui aime les Francs ! Il est le signe nouveau, signe d’espoir, signe tout divin, dans lequel il faut mettre toutes nos espérances ».
La pensée du Sacré-Cœur a été intimement mêlée en France, durant tout le XIXe siècle, aux idées de restauration chrétienne et de relèvement national. Cette idée a vécu dans les âmes pieuses, à travers les vicissitudes de la patrie et de son gouvernement ; elle est de celles qui ont contribué à donner au siècle, dans sa vie chrétienne, le caractère que signalait Mgr d’Hulst, en 1896, en rappelant le siècle du Sacré Cœur.
Elle s’associe naturellement aux idées de réparation sociale, de repentir et d’amende honorable, pour les infidélités publiques et les apostasies de la société moderne. Sans vouloir énumérer toutes les Œuvres qui en sont sorties, il entre dans le plan de cet ouvrage d’en rappeler trois qui ont beaucoup servi à faire rayonner partout le Cœur du Christ-Roi.
I. Montmartre
Dans les derniers jours de décembre 1870, après quelques mois d’une guerre désastreuse, la France était envahie, ses armées dispersées ou captives, sa capitale assiégée. De plus, après la guerre extérieure, éclata la guerre civile ; on vit, sous les balles sacrilèges, tomber des otages sans défense : un archevêque, des prêtres, de jeunes lévites, des religieux, des juges, des agents de l’ordre.
En ces extrémités, deux grands chrétiens, fils du diocèse de Paris, M. Alexandre Legentil et M. Rohault de Fleury, son beau-frère, réfugiés à Poitiers, eurent la pensée d’implorer, pour la patrie en danger et pour l’Église éprouvée, le secours du Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Ils firent le vœu de travailler à ériger à Paris un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur. Se souvenaient-ils alors de la demande que, deux siècles plus tôt, par l’organe de sainte Marguerite-Marie, Notre-Seigneur avait fait, d’un temple où son Cœur recevrait les hommages du Souverain qui incarnait alors en sa personne la nation française ? Nous l’ignorons ; mais il nous plaît de penser que, poursuivant sans se lasser ses desseins d’amour à l’égard de notre pays, notre divin Sauveur se réservait d’obtenir en nos jours, dans une réalisation plus magnifique, ce qui ne lui avait pas été accordé jusque-là.
À peine connu, le projet recueillit de nombreuses adhésions et de généreuses offrandes. Mgr Guibert, récemment promu au siège de Paris, approuva résolument la sainte initiative et en marqua définitivement le caractère et la portée.
« Le temple à élever au Sacré Cœur, écrivait-il, sera tout ensemble un monument d’expiation pour les fautes commises et l’expression d’une supplication générale pour que les jours de nos épreuves soient abrégés. »
Cédant à son inspiration personnelle, Mgr Guibert arrêta son choix sur le sommet de la colline de Montmartre, où saint Denys et ses compagnons de martyre ont répandu, avec leur sang, les premières semences de la foi chrétienne, qui ont fructifié si rapidement dans la Gaule septentrionale.
Pour entreprendre l’œuvre, l’autorisation des pouvoirs publics était nécessaire. Un projet de loi fut déposé à l’Assemblée Nationale, en qui résidait alors la souveraineté. Le 25 juillet 1873, à l’énorme majorité de 244 voix, l’Assemblée vota la loi qui déclarait « d’utilité publique la construction d’une église sur la colline de Montmartre, conformément à la demande de l’Archevêque de Paris. »
Derrière le gouvernement se groupaient l’Armée, la Magistrature, l’Université, la Presse, les Académies, le Commerce, l’Industrie, l’Agriculture, toutes les Institutions qui maintiennent à sa hauteur le niveau de notre vie sociale. C’est toute la France qui a édifié le monument que le Sauveur attendait depuis 250 ans. Diocèses, paroisses, congrégations, collèges, se disputèrent l’honneur de fournir à la Basilique une chapelle, un pilier, une pierre.
Les héritiers de nos vieilles aristocraties, les industriels de toutes les provinces versèrent au trésor de Montmartre des aumônes dignes des Rois. Puis les enfants, les paysans, les servantes apportèrent leur denier, en rougissant de donner si peu. Dès l’année 1876, quelques mois après la pose de la première pierre, une chapelle provisoire fut construite près de l’emplacement de la future église. Sous la pieuse et intelligente direction des Pères Oblats de Marie Immaculée qui s’y dévouèrent avec un zèle au-dessus de tout éloge, elle devint aussitôt un centre vivant de fervente piété.
Les pèlerins y vinrent par milliers, de Paris, de tous les points de la France, et même des pays étrangers ; chaque année, plus d’un million de fidèles sont venus « avec confiance à ce trône de la grâce, chercher la miséricorde et le secours opportun. »
Depuis le 1er août 1885, l’adoration du saint Sacrement exposé ne s’y est plus interrompue, ni le jour ni la nuit. Deux pieuses associations, l’Archiconfrérie du Sacré Cœur et l’Archiconfrérie de prière et de pénitence, y ont leur siège et groupent actuellement plusieurs millions de membres, répandus dans le monde entier.
La jeune Basilique est maintenant debout, avec son campanile, ses clochetons et sa coupole, avec ses verrières, avec la splendeur toute neuve de ses voûtes et la somptuosité de ses autels ; elle domine la grande Cité. Forte comme le vent qui ébranle la cime des Alpes, moelleuse comme les notes qui berçaient la Galilée, sa voix redit à la France et au monde les mots qu’entendit la montagne des Béatitudes, admirable résumé des enseignements du Cœur de Jésus, de ce Cœur divin devenu plus que jamais l’asile où notre âge inquiet ravive sa foi en Dieu et en son propre destin.
La consécration solennelle de l’église du Vœu national avait été annoncée pour le mois d’octobre de l’année 1914, mais au mois d’août la guerre éclata comme un coup de foudre et rendit impossible la solennité projetée. Dieu nous réservait de la célébrer comme l’ex-voto de la Victoire et de la paix.
Ce fut une journée inoubliable que celle du jeudi 16 octobre 1919, qui vit se dérouler les grandioses cérémonies de la Consécration de l’église votive de Montmartre au Sacré Cœur. Les catholiques de France l’attendaient comme un grand événement religieux et national. Le Vœu national va, en effet, rejoindre dans notre histoire le Vœu de Louis XIII et celui de Reims, et le sentiment populaire attend de sa réalisation une ère de gloire et de prospérité, dont nos récentes victoires sont le gage. Aussi vit-on à cette incomparable fête presque tous les Évêques de France et des Colonies françaises et, à leur tête, les sept Cardinaux français, auxquels étaient venus se joindre le Cardinal Bourne, Primat d’Angleterre, l’Évêque de Liège, représentant l’épiscopat belge, trois évêques canadiens, l’Évêque d’Alessio en Albanie, plusieurs Vicaires apostoliques appartenant à diverses congrégations religieuses.
Le Souverain Pontife Benoît XV lui-même avait voulu être présent en la personne d’un Légat du Saint-Siège, S. E. le Cardinal Vico, Cardinal-Evêque de Porto et Sainte-Rufine, Préfet de la Congrégation des Rites. Napoléon Ier avait formé le rêve d’élever un temple à la Paix par les hauteurs de Montmartre.
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Le véritable temple de la paix, c’est celui qui vient d’être dédié « au Cœur du Dieu vivant, qui s’appelle lui-même le Dieu de la paix… » Puissions-nous, devant l’autel du Dieu de charité, cimenter cette union sacrée qui ferait de tous les Français un peuple de frères !
Source : Vie et révélations de Sainte Marguerite-Marie Alacoque