On l’appelle la superbe, elle l’est vraiment. Elle est bien belle, vue des terrasses du sanctuaire de Carignano. Elle est superbe, vue de la mer. Les eaux de son golfe sont d’azur. Elle s’étage haute et fière sur ses collines encadrée par des torrents.
Ses jardins s’étendent sur les côtes et les vallons qu’on appelle la riviera du levant et du ponant. Les fleurs variées et parfumées s’y abritent sous les cédrats et les palmiers. Les bosquets y sont faits de myrtes et de mimosas, de lauriers, de fusins, de néfliers du Japon. Les yukas lancent leurs hautes fleurs et les bambous leurs tiges grêles. Les aloès et les géraniums forment les haies des jardins.
Plus haut s’étagent les oliviers et les vignes, plus haut encore les sombres conifères avec toutes leurs variétés. Derrière tout cela, comme un écran, s’élèvent, avec leur maigre végétation boréale, les Alpes liguriennes à 1.200 mètres d’hauteur. Superbe, Gênes l’est encore par la splendeur de ses palais avec leur cortile et leurs escaliers de marbre, et leurs galeries d’œuvres d’art égales aux musées des grandes villes. Elle l’est aussi par la richesse de ses églises, par le luxe de ses villas et jusque dans la magnificence de sa cité des morts.
Quels furent les premiers habitants de cette côte enchanteresse ? Les Ligures, peuple mystérieux qui n’a pas encore révélé aux érudits son origine. Venaient-ils de l’Afrique ou du Caucase ? Étaient-ils fils de Cham ou fils de Japhet ? Frères des Ibères qui se survivent en Biscaye ou étrangers à ce peuple ? Fils de Noé ou peut-être descendants des premiers émigrants qui selon une opinion nouvelle auraient échappé au déluge ? Laissons les archéologues étudier ce problème.
Rome a passé là et n’a pas laissé comme ailleurs des vestiges de son art opulent. C’est Charlemagne qui a vraiment fait Gênes et lui a donné la noble mission qu’elle a remplie pendant de longs siècles sur la Méditerranée. Il l’enleva aux Lombards et la confia au comte Adhémar en le chargeant de purger les mers des pirates qui les infestaient. Et longtemps Gênes poursuivit les Sarrasins en Corse, en Sardaigne, en Espagne, sur les côtes d’Afrique, en Orient et jusque sur la mer Noir.
Elle prit une grande part aux croisades. Au XIIIe siècle, les Génois ayant contribué à rétablir les Grecs à Constantinople, reçurent des Paléologues des avantages considérables. Ils occupèrent les faubourgs de Galata et de Péra à Constantinople, Kaffa en Crimée, Smyrne en Asie et les îles de Scio, Mételin, Ténédos, etc. Ils avaient des comptoirs à Tunis et à Bône. Gênes était une nouvelle Carthage, une Carthage chrétienne. Elle a rencontré des rivales, Pise d’abord. Elle a ruiné la puissance de Pise en s’emparant de sa flotte à la Meloria en 1284. Elle a eu ensuite avec Venise ces longues luttes d’influences qu’on ne peut que regretter. Les deux grandes républiques auraient mieux fait d’unir leurs forces contre les Sarrasins.
Pour son administration intérieure, elle se rendit indépendante des successeurs de Charlemagne et se choisit des consuls. Au XIIe siècle, elle avait une constitution démocratique. Elle était gouvernée par un Capitaine ou Protecteur, auquel on adjoignait un Abbé du peuple, sorte de tribun élu par les corporations. Plus tard, elle eut des doges ou ducs. Les Doria, les Spinola, les Fieschi, les Grimaldi, les Adorno, et dans les derniers siècles les Durazzo, les Brignole, les Serra, les Pallavicini, les Galliera furent ses plus illustres familles.
Gênes n’a pas eu comme Sienne, comme Florence toute une série de saints. Elle revendique l’honneur d’avoir donné naissance à Christophe Colomb, c’était un saint autant qu’un héros. Elle est justement fière aussi de son grand capitaine André Doria. Sans être un saint, il a été un grand chrétien, il a vaillamment combattu les Turcs et les Maures. Mais sainte Catherine, la grande mystique et l’humble servante des pauvres, suffirait à elle seule à illustrer une ville.
Elle a vécu de 1448 à 1510. Nous en reparlerons plus loin.
Le bienheureux Alexandre Sauli, le grand évêque, qui a converti et civilisé les peuplades à demi sauvages de la Corse au XVIe siècle, était génois, de la grande famille des Sauli, qui a fait construire si généreusement la basilique de Carignano. Il a son autel dans ce sanctuaire. Ajouton que Jacques de Voragine, le pieux auteur de la Légende dorée, était archevêque de Gênes et qu’il y travailla sans relâche à la paix sociale et à la réforme des mœurs.
Pas de basiliques anciennes, presque rien du XIIIe siècle, c’est la décadence et le rococo qui dominent dans les églises de Gênes. Il y a cependant de précieux souvenirs et, dans le style, de la grandeur et de la richesse qui ne laissent pas que d’impressionner.
Commençons par San Siro, c’est l’ancienne cathédrale, l’ancienne métropole des saints apôtres. Elle est devenue au XVe siècle l’église des Théatins. Ces bons religieux l’on revêtue de marbres et de peintures avec une profusion qui fait honneur à la générosité des bienfaiteurs. Le maître-autel, où le bronze se marie au marbre, est de notre sculpteur marseillais Pierre Puget. Les peintures de l’église sont de Carlone. Je donnerais toute cette décoration exubérante pour un petit Fra Angelico grand comme la main.
La cathédrale San Lorenzo, est à tout point de vue d’un intérêt saisissant. C’est une fondation des premiers siècles, mais elle a été refaite au Moyen-âge, et il lui reste heureusement quelques parties encore intactes de cette période de l’art chrétien. Sa façade occidentale est en gothique mauresque du XIIe siècle, avec assises alternées noires et blanches. On sent là l’influence de Pise. Les portes latérales au contraire sont du roman lombard. Au XVIe siècle, Alessi, élève de Michel-Ange, a transformé presque tout l’intérieur et élevé sur le transept une coupole. Il a heureusement respecté la splendide chapelle de Saint-Jean-Baptiste, élevée au XVe siècle dans l’art ogival décadent mais encore élégant de ce siècle. Là se retrouvent des statues et des reliefs de Matteo Civitali, d’André Sansovino, de Jacques et de Guillaume de la Porte [Della Porta]. Civitali, c’est encore l’art chrétien, modeste, pur et pieux. Gênes l’empruntait à Lucques [Lucca]. Sansovino et les deux Della Porta sont des Florentins. Ils appartiennent déjà à la Renaissance et l’on sent qu’ils inclinent aux formes sensuelles.
La nef et les autres chapelles, celles surtout de Saint-Gottardo et de l’archevêque Jacques de Voragine, sont ornées de peintures de Ferrari, de Piola, de Cambiaso. Ferrari est élève de Léonard de Vinci. Piola et Cambiaso sont de l’école éclectique de Gênes, qui n’a pas un caractère bien déterminé et qui s’inspirait des écoles de Milan, de Naples et d’Anvers. La cathédrale possède le corps de saint Jean-Baptiste et celui d’un martyr, saint Romulus, apporté, je crois, de Mauritanie.
Le trésor de la cathédrale vaudrait à lui seul une visite à Gênes. Il possède le Sacro Catino et le Sacro Pisco [Disco]. Le premier est un vase qui aurait été donné par la reine de Saba à Salomon et qui, conservé dans une famille sacerdotale de Jérusalem, aurait servi à Notre Seigneur pour la Cène et à Joseph d’Arimathie pour recueillir le sang du Calvaire. On le croyait en émeraude, il à été brisé à la Révolution française et l’on a reconnu qu’il est en pâte de verre comme on en fait en Orient. Ce vase rappelle le souvenir du saint Graal qui a tant passionné nos trouvères. Il a été rapporté de Césarée en 1101. Le Sacro Pisco est le plat où Hérodiade déposa la tête de saint Jean-Baptiste. Ces vases vénérables sont enchâssés dans des reliefs d’argent. Je trouve plus profit à les visiter en pieux pèlerin qu’à discuter leur authenticité avec les critiques.
Dans ce trésor encore, une croix du IXe siècle, contenant des reliques de la vraie croix et donnée par l’ancienne famille des Zaccaria ; un splendide calice de Benvenuto Cellini, donné autrefois par le sénat de la ville ; une châsse d’argent du Corpus Domini, de 1553, commandée par les Consuls ; une châsse d’argent de 1438 pour les reliques de saint Jean-Baptiste, toute rehaussée de statuettes et de reliefs, et enfin des devants d’autel d’argent du XVIe et du XVIIe siècles. Il faut encore signaler dans cette cathédrale la statue de Notre-Dame du Secours au maître-autel, statue commandée par l’État au XVe siècle pour mettre la ville sous la protection de la Vierge Marie.
Marie était la reine de Gênes ; saint Jean-Baptiste, son chevalier, et le Sacro Catino son palladium.
Une autre merveille religieuse dont Gênes est fière, c’est le portrait de Notre Seigneur, peint par Ananie (ou par un ange) et envoyé par Notre Seigneur lui-même au roi d’Édesse. Transporté d’Édesse à Constantinople en 944, cette précieuse image, entourée d’or et de pierreries par la dévotion des empereurs d’Orient, a été donnée au doge Montaldo, au XIVe siècle, par l’empereur Jean Paléologue. Elle est conservée à l’église Saint-Barthélemy des Arméniens, église fondée au XIVe siècle par des moines basiliens chassés d’Arménie.
D’autres églises témoignent de la générosité des grandes familles. L’église de l’Annunziata, élevée par les Franciscains dans le style gothique, a reçu au XVIe siècle un riche revêtement Renaissance grâce à la magnificence des Lomellini. Ils ont dépensé de sommes folles pour l’orner de marbres, de pierres précieuses, de dorures, de peintures et d’incrustations. Les stalles du chœur sont en noyer richement sculpté. Les peintures sont d’Ansaldo, de Carlone et de Ferrari. Elles sont très décoratives mais peu religieuses.
L’église de Notre-Dame Delle Vigne fut fondée par les Spinola au Xe siècle. Elle a aussi été modernisée au XVIe siècle.
L’église de Sant’Ambrogio a été fondée par les Pallavicini au XVIe siècle. Elle est dans le style de la décadence appelé le style jésuite. La façade est du Père d’Aquila. Son intérieur est somptueux. Ce ne sont que marbres rares, dorures et pierres précieuses. Les peintures sont de Ferrari, Carlone, Galeotti et de notre Simon Vouet. Le tableau de la circoncision au maître-autel est de Rubens.
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La basilique de l’Assomption à Carignano est de l’architecte Alessi. Elle a été commencée en 1552. Elle a été bâtie avec les fonds légués par le riche Sauli sur les capitaux qu’il avait à la banque Saint-Georges. Cette banque était la Hanse de Gênes, c’est une de ces sociétés qui ont préludé dès le XIVe siècle à nos sociétés capitalistes modernes. Cette basilique est, dans son style, un petit Saint-Pierre de Rome. Elle est magnifiquement campée sur le haut de la colline de Carignano et en gravissant ses tours et sa coupole on jouit d’une vue splendide sur Gênes et son port, sur la vallée du Bisagno et le nouveau cimetière. L’intérieur a des tableaux de Piola et de Vanni et des statues de Puget.
L’église de l’Immacolata (Via Assarotti) est un spécimen de l’art contemporain. Elle est dans le style de Bramante, mais son intérieur donnera aux siècles futurs l’idée de nos dévotions et de notre art d’aujourd’hui. Ses principaux autels sont dédiés au Sacré Cœur, à Notre-Dame de Lourdes et à saint Joseph. À l’autel du Sacré Cœur, un tableau assez réussi, par Raffo de Turin, représente le Sacré Cœur entouré des saintes qui l’ont particulièrement honoré, Marguerite-Marie, sainte Gertrude et deux autres.
Source : Le Règne du Cœur de Jésus – Léon Dehon – 1899