Une préoccupation persistante me ramenait à Ratisbonne, comme si une main invisible me poussait vers lui. Malgré mon désir de rester avec cette famille et de ne pas me séparer de mon ami défunt, je ne pouvais éloigner ma pensée de cette âme que je voulais convertir.
J’ai partagé ma lutte intérieure avec M. l’abbé G., que la Providence a établi depuis longtemps l’ange gardien et consolateur de la famille Laferronnays. Il m’encouragea à poursuivre mon travail, affirmant que cela était conforme aux prières ardentes de M. de Laferronnays pour la conversion de Ratisbonne.
Je me suis donc retrouvé à courir à nouveau après Ratisbonne, cherchant à le captiver avec les antiquités religieuses pour ancrer ses pensées dans les vérités catholiques. Cependant, mes efforts semblaient vains. Même en visitant des lieux saints comme l’église d’Aracœli, Ratisbonne restait distant et répondait à mes réflexions par des plaisanteries. Il repoussait la réflexion sur sa conversion en disant qu’il y penserait à Malte, où il devait passer deux mois.
Notre promenade nous mena au Capitole et au Forum, et je tentai de le sensibiliser en visitant des églises et en partageant des aspects de la foi catholique. Cependant, ses réponses étaient souvent froides et teintées de scepticisme. Même devant les représentations des martyrs à l’église de Saint-Etienne-le-Rond, il réagissait avec horreur, soulignant les cruautés perpétrées parfois par les chrétiens envers les Juifs.
Malgré mes tentatives persistantes, Ratisbonne restait insensible à la foi catholique. Cependant, je continuais de croire aux promesses de Dieu et espérais sa conversion, même si cela semblait improbable. Je priais près du cercueil de mon ami décédé, le conjurant de m’aider à convertir Ratisbonne.
Le 20 janvier 1842, Ratisbonne n’avait montré aucun signe de changement. Sa volonté demeurait inchangée, son esprit railleur, et ses pensées étaient ancrées dans les réalités terrestres. Alors qu’il lisait les journaux au café de la place d’Espagne, son attitude légère et décontractée excluait toute préoccupation sérieuse. Plus tard dans la journée, nous nous retrouvâmes à l’église de Saint-André delle Frate, où, malgré les préparatifs pour un service funèbre, Ratisbonne demeura froid et indifférent, exprimant même son désintérêt pour l’église. Je le laisse du côté de l’épître, à droite d’une petite enceinte, disposée pour recevoir le cercueil, et j’entre dans l’intérieur du couvent.
Je n’ai que quelques mots à dire à l’un des moines : je voudrais faire préparer une tribune pour la famille du défunt, mon absence dure à peine dix ou douze minutes. En rentrant dans l’église, je découvre Ratisbonne agenouillé devant la chapelle de l’ange saint Michel.
Je m’approche de lui et le pousse trois ou quatre fois avant qu’il ne remarque ma présence. Enfin, il tourne vers moi un visage baigné de larmes, joint les mains et me dit avec une expression impossible à rendre :
« Oh ! comme ce Monsieur a prié pour moi ! »
J’étais moi-même stupéfait, ressentant ce que l’on éprouve en présence d’un miracle. Je relève Ratisbonne, le guide, le soutiens presque hors de l’église, lui demandant où il veut aller.
« Conduisez-moi où vous voudrez, s’écrie-t-il, après ce que j’ai vu, j’obéis. »
Malgré mes demandes, il ne peut que s’exprimer par des exclamations entrecoupées de sanglots :
« Ah ! que je suis heureux ! Que Dieu est bon ! Quelle plénitude de grâces et de bonheur ! Que ceux qui ne savent pas sont à plaindre ! »
Il fond en larmes en pensant aux hérétiques et aux mécréants. Plus tard, il se demande s’il n’est pas fou, mais s’exclame rapidement, « Mais non, je suis dans mon bon sens ; mon Dieu, mon Dieu ! je ne suis pas fou ! Tout le monde sait bien que je ne suis pas fou. »
Lorsque son émotion délirante commence à se calmer, Ratisbonne, avec un visage radieux, presque transfiguré, me serre dans ses bras, m’embrasse, demande à être conduit chez un confesseur et veut savoir quand il pourra recevoir le baptême, indispensable à sa vie désormais. Il soupire après le bonheur des martyrs, dont il a vu les tourments sur les murs de Saint-Étienne-le-Rond. Il déclare qu’il ne s’expliquera qu’après avoir obtenu la permission d’un prêtre, ajoutant :
« Car ce que j’ai à dire, je ne puis le dire qu’à genoux. »
Je le conduis aussitôt au Jésus, près du père de Villefort, qui l’encourage à s’exprimer. Ratisbonne tire sa médaille, l’embrasse, la montre, et s’écrie :
« JE L’AI VUE, JE L’AI VUE ! »
Son émotion le domine encore, mais bientôt, plus calme, il peut s’exprimer. Ses propres paroles racontent son expérience :
« J’étais depuis un instant dans l’église lorsque tout d’un coup, je me suis senti saisi d’un trouble inexprimable. J’ai levé les yeux ; tout l’édifice avait disparu à mes regards ; une seule chapelle avait, pour ainsi dire, concentré toute la lumière, et au milieu de ce rayonnement, est apparue debout, sur l’autel, grande, brillante, pleine de majesté et de douceur, la Vierge Marie, telle qu’elle est sur ma médaille ; une force irrésistible m’a poussé vers elle. La Vierge m’a fait signe de la main de m’agenouiller, elle a semblé me dire : C’est bien ! Elle ne m’a point parlé, mais j’ai tout compris. »
Ratisbonne, transporté, partage ses sentiments sur la présence réelle, la percevant non seulement comme une croyance, mais comme une réalité qu’il ressent. En quittant le père de Villefort, nous rendons grâce à Dieu d’abord à Sainte-Marie-Majeure, puis à Saint-Pierre. Ratisbonne exprime sa compréhension de l’amour des catholiques pour leurs églises et la piété qui les pousse à les orner.
« Comme on est bien ici ! On voudrait n’en jamais sortir. Ce n’est plus la terre, c’est presque le ciel. »
Auprès de l’autel du très-saint Sacrement, la présence réelle de la Divinité l’écrase à tel point qu’il faillit perdre connaissance, ne supportant pas l’idée d’être en présence du Dieu vivant avec la tache originelle. Il se réfugie dans la chapelle de la sainte Vierge, où il se sent protégé par une miséricorde immense.
L’histoire de la conversion de saint Paul, racontée par moi, le fait verser d’abondantes larmes. Il s’étonne du lien puissant et posthume, pour conserver son expression, qui l’unissait à M. de Laferronnays. Il exprime le désir de passer la nuit auprès de son cercueil, considérant cela comme un devoir de reconnaissance. Cependant, le père de Villefort, prudent, le dissuade et lui conseille de ne pas veiller plus tard que dix heures. Ratisbonne confie qu’il n’a pas dormi la nuit précédente, ayant constamment devant lui une grande croix, d’une forme particulière et sans Christ.
« J’ai fait d’incroyables efforts pour chasser cette image, sans jamais pouvoir y parvenir. »
Quelques heures plus tard, par hasard, Ratisbonne voit le revers de la médaille miraculeuse et reconnaît sa croix ! Cependant, mon impatience de revoir la famille Laferronnays était vive. J’avais des consolations douces à leur offrir au moment où les restes vénérés de celui qu’ils pleuraient allaient être enlevés. En entrant dans la chambre mortuaire, dans un état d’agitation, presque de joie, je fixe soudain l’attention de tous, laissant comprendre que j’ai quelque chose d’important à dire.
Tous me suivent dans la chambre voisine, et je raconte rapidement ce qui vient de se passer. J’apportais des nouvelles célestes. Les larmes de la douleur se changent un moment en larmes de reconnaissance. Ces cœurs affligés peuvent maintenant supporter, avec toute la résignation des vrais chrétiens, le plus cruel des sacrifices, le dernier que la mort impose, le dernier adieu à la dépouille de celui qu’ils ont aimé.
Cependant, je suis pressé de retrouver le fils que le ciel venait de me donner. Il m’avait prié de ne pas le laisser seul, ayant besoin d’un ami pour partager les profondes émotions de cette journée. Je lui demande de nouveaux détails sur la vision miraculeuse. Il ne peut expliquer complètement. Il était passé du côté droit de l’église à la chapelle à gauche, séparé par les préparatifs du service funèbre. Il s’était soudain trouvé à genoux et prosterné auprès de cette chapelle.
Au premier moment, il avait pu apercevoir la Reine du ciel dans toute la splendeur de sa beauté immaculée. Cependant, ses regards n’avaient pu soutenir l’éclat de cette lumière divine. Trois fois, il avait essayé de contempler encore la Mère des miséricordes, mais ses efforts étaient vains. Il ne pouvait lever les yeux que jusqu’à ses mains bénies, d’où s’échappaient des gerbes lumineuses, un torrent de grâces.
« Mon Dieu », s’écriait-il, « moi qui, une demi-heure auparavant, blasphémais encore ! Moi qui éprouvais une haine si violente contre la religion catholique ! Mais tous ceux qui me connaissent savent bien qu’humainement, j’avais les plus fortes raisons pour rester juif. Ma famille est juive, ma fiancée est juive, mon oncle est juif… En devenant catholique, je romps avec tous les intérêts et toutes les espérances de la terre, et pourtant je ne suis pas fou. On sait bien que je ne suis pas fou, que je ne l’ai jamais été. »
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La nouvelle de ce prodige éclatant commençait à circuler à Rome. On courait de l’un à l’autre, s’interrogeant, racontant, consignant les détails obtenus. Bien que l’on se tienne en garde pour ne rien accepter légèrement, le doute devient impossible face à des faits si évidents, si incontestables. On rend grâces à Dieu d’être à Rome dans un moment où Sa bonté inépuisable ranime la confiance envers la Vierge immaculée, manifestant de manière admirable la puissance de son intercession.
Chacun veut voir et parler à ce jeune homme trois fois heureux, pour qui la Mère de la grâce divine est descendue du ciel. J’étais avec Ratisbonne chez le père de Villefort lorsque le général Chlapouski pénétra jusqu’à nous.
« Monsieur, vous avez donc vu l’image de la sainte Vierge? et dites-moi comment… — L’image ! Monsieur », interrompt Ratisbonne, « l’image ! mais je l’ai vue elle-même, en réalité, en personne, comme je vous vois là… »
Je ne peux m’empêcher d’observer ici : si quelque illusion était possible, compte tenu des circonstances de caractère, d’éducation, de préjugés, d’intérêts de cœur et de position que j’ai racontées, elle n’aurait pas pu être produite par aucune représentation extérieure. Car il n’y a dans la chapelle où s’est opéré le miracle ni statue, ni tableau, ni image quelconque représentant la Vierge.
Source : Conversion de M. Marie-Alphonse Ratisbonne – M. Le Baron The. De Bussières – 1859