L'Assujettissement des Grandes Nations aux Superstitions dans l'Antiquité
Les grandes et puissantes nations qui asservissaient l'univers se laissaient elles-mêmes asservir par les ministres des superstitions les plus ridicules. Isaïe compte par milliers les enchanteurs et les magiciens de Babylone.
Daniel cite, en passant, quatre sortes de devins en grand crédit à la cour de Nabuchodonosor au temps de la captivité :
- Les Chartumim, enchanteurs ;
- Les Asaphim, interprètes des songes ;
- Les Meciaspim, magiciens ;
- Les Chasdim, Chaldéens ou astrologues.
Et l'astrologie ne régnait pas seulement à la cour de Perse ou d'Assyrie, mais d'un bout de l'univers à l'autre.
Toutefois, chez les Romains, l'art augural prédominait sur toutes les superstitions : l'augure était le grand régulateur des affaires, tant particulières que publiques, depuis le mariage du moindre citoyen jusqu'aux comices du peuple, au choix des magistrats, aux mouvements des armées, aux traités de paix et aux déclarations de guerre.
La loi des Douze Tables prononçait la peine de mort contre ceux qui n'obéissaient pas à la décision de l'augure. Les plus grandes familles de Rome se sentaient grandement honorées lorsqu'un de leurs membres était élevé à la dignité d'augure ou à la garde des vers de la sibylle.
Les pontifes eux-mêmes, du rang le plus éminent, flamines et archiflamines, n'étaient que de pauvres devins, chargés de reconnaître la volonté des dieux dans les moindres détails d'un sacrifice : comment la victime avait souffert la mort, comment étaient ses entrailles encore palpitantes, comment le feu du bûcher avait flambé, comment la fumée s'était dirigée, comment les tisons s'étaient éteints, comment les cendres s'étaient disposées.
Et toutes ces observations formaient diverses branches de la science sacrée des pontifes, telles que la thymatique, l'extipicine, la pyroscopie, la capnomancie, la spodomancie.
Les esprits cultivés s'affranchissaient, il est vrai, de quelques-unes de ces superstitions, mais non de toutes. Ils se permettaient même de les railler et y demeuraient cependant asservis d'un côté ou d'un autre. Cicéron, tout en respectant fort peu les dieux et en disant qu'il ne comprenait pas comment deux augures pouvaient se regarder sans rire, eut un songe dans sa maison d'Atina qu'il considéra comme divin, et auquel il accorda une grande importance.
Caton le Censeur répondait à un sénateur de ses amis, venu le consulter sur un prodige menaçant survenu dans sa maison :
« Il n'y a rien de prodigieux à ce que les rats aient rongé vos chaussures ; ce serait différent si vos chaussures avaient mangé les rats. »
Pourtant, il n'aurait pas été trop rassuré si pareille chose lui était arrivée, lui qui n'osait passer si une souris venait à croiser son chemin. Il croyait que l'on pouvait remettre les os disloqués grâce à des paroles magiques ; voici sa recette : chanter avec force "G.F. Motas danata dardaries astolaries".
César, qui avait osé franchir le Rubicon, n'osait monter dans son char sans prononcer une certaine formule magique. Le sénateur Servilius Nonnius portait des amulettes pour se guérir du mal des yeux ; Périclès et Bion, si réputés pour leur sagesse parmi les Grecs, en portaient pour se préserver de la peste.
Si de ces hommes qui tinrent un rang éminent parmi leurs contemporains nous descendons dans les classes inférieures de la société, nous y trouverons tous les genres de divination pratiqués et en crédit : la rabdomancie, art de deviner par le moyen de baguettes de coudrier lancées à l'aventure sur une aire préparée à cet usage, origine de l'écriture runique ; la bélomancie, art de deviner avec des fers de flèches, origine de l'écriture cunéiforme ; l'aléuromancie, art de deviner avec de la pâte, pour lequel Apollon reçut le surnom d'Aleuromancien; l'astragalomancie, art de deviner avec des dés ; la catoptromancie, avec un miroir ; l'hydromancie, avec de l'eau ; l'actinomancie, avec une hache ; la cosquinomancie, avec un crible ; l'alectromancie, par le moyen d'un coq endormi la tête sous l'aile ; l'agatomancie, par le moyen d'agate pulvérisée ; l'alphitomancie, par le moyen de petits pains contenant des feuilles de laurier.
Mais qui pourrait tout compter?
Et les sorts ! Ceux de Dodone, que renversa un jour avec tant d'irrévérence le singe du roi des Molosses ; ceux de Préneste, trouvés dans un rocher par un certain Numérius Suffucius; ceux d'Euripide, de Musée, d'Homère, de Virgile, que les agyrtes, prêtres de Cybèle, avaient seuls le droit d'interpréter !
Le sortilège était partout, la magie partout, et le peuple tremblait devant les magiciens, car il leur attribuait une puissance sans bornes. Il s'imaginait qu'ils pouvaient, par la vertu des enchantements, faire descendre les astres du firmament, forcer l'eau des fleuves à remonter vers sa source, briser en éclats les plus durs rochers, rendre la vie aux morts, amonceler les orages, intervertir l'ordre des saisons, voyager au sein des nuages, exciter les tempêtes, arrêter subitement les chevaux lancés à la course, se changer en loups.
Il les accusait de causer la stérilité des champs, de distribuer à leur volonté la maladie et la mort, de semer la discorde et la haine au sein des familles, de divulguer les secrets les mieux gardés, d'ouvrir sans clé les portes les plus soigneusement fermées, de jeter sur leurs ennemis, comme un funeste sort, les frénésies et les amours insensées. Tibulle, Ovide, Virgile, éloquents échos de ces tristes croyances, ont contribué à les propager ; mais, du reste, elles n'étaient pas absolument vaines.
C'est à l'opinion où étaient les anciens, que les sorciers allaient peser d'un grand poids sur les tombeaux pour en exprimer l'âme des morts, qu'il faut attribuer cette formule d'adieu qu'ils adressaient à leurs amis et à leurs proches, et qui a passé jusque dans notre langage :
"Que la terre vous soit légère!"
Selon le récit de Pausanias, le prêtre de Jupiter Lycien pouvait, en temps de sécheresse, faire tomber la pluie sur les campagnes voisines du mont Lycée. Il lui suffisait pour cela de frapper avec un bâton de chêne la surface d'une fontaine qui coulait du sommet de la montagne. Beaucoup d'autres ministres des dieux étaient réputés dépositaires d'aussi grands pouvoirs, et de là provenaient, de la part du peuple, tant de respect et de servilité à leur égard.
Ces sortes de gens n'étaient pas excusables lorsqu'ils trompaient le peuple, mais ils l'étaient encore moins lorsqu'ils préparaient à l'usage des voleurs la main des suppliciés, cette fameuse "main de gloire" que nous verrons reparaître au Moyen Âge ; ou lorsque, devenus les complices d'une haine homicide, ils façonnaient ces statues de cire dans la poitrine desquelles les faibles et les lâches, animés du désir impuissant de nuire, devaient enfoncer des aiguilles dans l'espoir de blesser leur victime du même coup.
Il était digne de Néron d'essayer ces ténébreux moyens de faire le mal ; il en reconnut promptement l'inefficacité ; mais l'expérience qu'il en fit ne devait pas rendre plus sages ses pareils dans les siècles suivants.
À lire aussi | Un catholique a-t-il droit de consulter un médium, magnétiseur ?
Ce dernier usage n'était pas étranger à la Grèce, car Platon en fait mention dans plusieurs passages de son traité des lois ; il veut que les magistrats répriment sévèrement de telles tentatives, quoiqu'elles soient sans danger :
"Ce sont, dit-il, des choses difficiles à comprendre et difficiles à croire; aussi peu de personnes daignent-elles y ajouter foi."
Au moment où le christianisme apparut, ces moyens de séduction étaient déjà passablement discrédités en Grèce. Peuple frivole et léger, mais doté d’un bon sens exquis, les Grecs usaient de tout, même des oracles, sans y attacher une grande importance. Déjà, dans un passage d’Hésiode rapporté par Clément d’Alexandrie, on lit :
"Nul devin ne saurait pénétrer les secrets du maître de l’univers."
Plus tard, Pindare dira dans sa douzième Olympique :
"Nul homme n’a jamais obtenu des dieux un signe indubitable qui lui révèle l’avenir."
Sophocle, dans le chœur d’Œdipe Roi, proclame que les devins sont des trompeurs, et Euripide fait dire par le chœur de son Iphigénie à Aulis que les tablettes des Muses ont été inventées pour accréditer des mensonges. Il ajoute :
"Si quelquefois le hasard vient à propos servir un devin, il y a toujours cependant plus d’impostures que de vérités dans ses oracles."
Les conseils des dieux cheminent vers l’inconnu, dit-il ailleurs.
Aussi, la Grèce n’avait plus conservé à la fin que le côté littéraire et poétique de ses anciennes traditions ; la foi s’était envolée loin des sanctuaires, et les temples, déchus des respects que leur avaient valus jadis les croyances des aïeux, s’étaient abaissés, dans la pensée populaire, au niveau de musées artistiques.
Mais rien ne venait prendre la place de la foi.
Source : Histoire de Satan - Abbé Lecanu - 1861