Voici quel fut le costume militaire chevaleresque au XIe siècle. L’armure de corps était le haubert ou la brogne, passés pardessus les autres vêtements.
La brogne était formée de plaquettes carrées, triangulaires, rondes ou en façon d’écaillés, cousues sur une étoffe ; le haubert était tout de métal, fait de mailles à crochets ou de petits anneaux engagés les uns dans les autres. Haubert ou brogne, la forme était celle d’une cotte courte, à manches courtes aussi, et munie d’une coiffe ou capuchon étroit.
Le baudrier, caché dessous, retenait l’épée par une agrafe à laquelle une fente donnait passage. Comme ces vêtements ne descendaient guère plus bas que la moitié des cuisses, ils étaient débordés par la tunique. Les monuments du XIe siècle nous offrent le dessin de hauberts qui, au lieu d’avoir la forme d’une tunique, prennent le corps et les cuisses, ainsi que ferait une culotte courte ajustée au bas d’un gilet.
Comme ce vêtement, représenté dans la tapisserie de Baveux, est d’une seule pièce, il est impossible de se figurer comment on aurait pu le mettre, à moins de supposer qu’il était fendu dans toute sa hauteur par devant ou par derrière, et qu’on l’agrafait par les bords de la fente.
La tête était protégée par un casque ovoïde ou conique, dénué de couvre-nuque, mais muni sur le devant d’une pièce appelée nasal parce qu’elle couvrait le nez. Le nom de ce casque est germanique. On l’appelait helme ou heaume. Il avait pour décoration un cercle ciselé ou incrusté de pierreries, qui en contournait le bord, et jamais d’autre cimier qu’une boule de métal ou de verre coloré.
Pour le combat, le chevalier relevant sur sa tête la coiffe de son haubert (on disait la ventaille) celle-ci était ménagée de telle sorte que, grâce au nasal, les yeux et la bouche restaient seuls à découvert. Les jambes étaient garnies, par-dessus les chausses, tantôt de trousses prises en bas dans les souliers, tantôt de bandelettes.
Vers 1050, l’armure s’augmenta, pour la protection des jambes, de chausses conçues dans le même système que les hauberts et les brognes. Par là, le chevalier se trouva entièrement habillé de fer et justifia l’épithète poétique de fervestu qui lui est souvent appliquée dans les chansons de geste. C’est encore dans la seconde moitié du XIe siècle que l’écu chevaleresque, de rond qu’il était, devint oblong et découpé de manière à couvrir, depuis l’épaule jusqu’au pied, le cavalier assis en selle.
La surface était cambrée. De la boucle, posée au milieu, partaient des bandes de fer qui rayonnaient vers les bords. Des lions, des aigles, des croix, des fleurons étaient peints sur le fond en couleurs éclatantes, et constituaient une décoration de pure fantaisie.
La longue lance ornée d’un gonfanon n’était pas la seule dont les chevaliers fissent usage. Ils combattaient aussi souvent avec une lance plus courte nommée espée dont le fer était très aigu. Cette arme s’assénait ainsi que la grande lance, ou se lançait comme un javelot. La conquête de l’Italie méridionale et de la Sicile, celle de l’Angleterre, la première croisade, en un mot, toutes les grandes entreprises dans lesquelles la France établit sa réputation militaire, au XIe siècle, furent accomplies par des guerriers qui n’eurent pas d’autre attirail que celui qui vient d’être décrit.
Cet équipement consacré par la gloire demeura longtemps stationnaire. Les combattants qui marchaient à la suite des chevaliers n’ayant le droit de porter ni le haubert, ni la brogne, ni l’écu, avaient pour armes défensives le bouclier rond ou ovale appelé targe, la cotte rembourrée, ou bien, à défaut de cette cotte, des plastrons de cuir qu’ils attachaient sous leur tunique.
C’est ce qu’atteste le poète Wace, en décrivant la gent à pied d’une armée normande, dans le Roman de Rou :
« Aucuns ont de bonnes plaques de cuir qu’ils ont liées à leur ventre ; d’autres ont revêtu des gambais. »
Gambais est l’ancien nom français de la cotte rembourrée, ou plutôt de la bourre dont cette cotte était remplie. La pique, la lance à large fer, la hache, l’arc, la fronde étaient leurs armes offensives habituelles. Tous portaient l’épée plus longue et moins large de lame que l’épée chevaleresque.
Elle était attachée à un ceinturon comparable à celui des anciens Francs par le bagage qu’il supportait. Le soudard du Xe siècle est dépeint, dans une satire du temps, avec un tas d’objets accrochés à des courroies autour de lui et qui lui battaient les jambes. Il portait là son arc, une trousse qui contenait les flèches, un marteau, des tenailles, un briquet, une boîte d’amadou.
L’équipement devint absurde depuis la fm du XIIe siècle. On ne songea qu’à accumuler les défenses sur le corps, sans souci des évolutions du combattant. Ce ne fut pas assez de l’habillement complet de mailles ; on mit des garnitures dessous et dessus. On voit par les récits très circonstanciés que nous avons de la bataille de Bouvines qu’un chevalier, jeté par terre, ne pouvait plus se relever sans l’aide de son entourage.
Abandonné des siens, il ne lui restait que l’alternative de se rendre ou de se faire tuer. Il faut entrer dans le détail de ce harnais, si différent de celui des guerriers de l’époque héroïque, quoiqu’il en eût, à peu de choses près, conservé l’apparence. Sous son haubert (et le haubert fut alors doublé d’étoffe), le chevalier portait un justaucorps à manches entièrement rembourré et piqué d’une infinité de points.
C’était le gambeson, ainsi nommé à cause de la bourre ou gambais dont il était garni. Cela faisait un bon matelas. La plupart des chevaliers néanmoins jugèrent à propos de s’appliquer encore des plastrons de cuir (des cuiries) sur les parties exposées.
Par-dessus le haubert, on eut une autre cotte doublée, mais celle-ci flottante et sans manches. On l’appela cotte à armer, d’où l’expression plus moderne de cotte d’armes. Il était d’usage qu’elle fût décorée des armoiries du chevalier. À la ceinture s’accrochait obliquement, de droite à gauche, un large ceinturon recouvert de plaques d’ornement, le baudrier de chevalerie de ce temps-là.
On y attachait par des courroies, d’un côté l’épée, de l’autre, la dague dite grand couteau ou miséricorde. Au lieu que le capuchon de mailles n’avait fait qu’un autrefois avec le haubert, il devint une pièce à part qui descendait très bas sur la poitrine. Il prit le nom de coiffe et souvent, il fut composé de deux parties : un calot qui couvrait le crâne, et un pan découpé à l’endroit du visage de manière à envelopper le menton et tout le tour de la tête.
Sous le pan de la coiffe, le cou était déjà armé de la gorgerette, sorte de cravate en cuir, en mailles, ou en plaquettes de fer cousues sur un carcan d’étoffe. Philippe-Auguste avait, à la bataille de Bouvines, une gorgerette de trois épaisseurs, à laquelle il dut son salut, car il fut harponné au cou par un Flamand, et, le croc n’ayant pu pénétrer jusqu’à la chair, il parvint à le démancher de sa hampe par un vigoureux effort.
Le heaume, complément de l’armure de tête, fut transformé en un vaste cylindre qui couvrait entièrement le chef, le visage et la nuque. C’était comme si l’on s’était coiffé d’une cloche ou d’une marmite. Au commencement du XIIIe siècle, le cylindre allait en s’élargissant par le haut. Depuis Philippe le Bel, au contraire, il tendit à retourner à la forme conique.
La partie antérieure du heaume affectait un léger mouvement de cambrure. Elle était consolidée par deux lames de métal assemblées en croix. Dans les cantons de cette croix étaient percées des œillères pour la vue et des trous pour la respiration. Le heaume était encore percé d’ouïes sur les côtés. Comme toutes ces ouvertures ne suffisaient pas pour garantir le chevalier contre l’échauffement que produisait à la longue le séjour de la tète dans cette lourde prison, afin qu’il lui fut possible de se rafraichir de temps en temps, on imagina la visière.
On rendit mobile la partie du heaume qui couvrait le visage (le vis, comme on disait alors) en la montant sur charnières. De la sorte, cette partie s’ouvrait et se fermait comme une porte de poêle. Si même le chevalier en avait le loisir, il pouvait déposer sa visière en ôtant la fiche qui la retenait dans ses charnons.
Mais qu’était ce soulagement auprès du supplice infligé par l’usage d’une semblable coiffure ? Elle fut trouvée si insupportable que beaucoup prirent l’habitude de ne la plus porter autrement qu’accrochée à l’arçon de leur selle. Ils la réservaient pour les revues et les tournois. En bataille, ils aimaient mieux combattre à visage découvert. Il advint de là que peu à peu les chevaliers prirent le parti d’avoir deux casques dans leur équipement.
Le heaume les accompagnait comme objet de parade, tandis que leur coiffure habituelle était une cervelière, simple calotte de fer, ou le bassinet, casque léger qui, par ses dimensions, se rapprochait du heaume primitif ; mais il n’avait pas de nasal et prenait mieux la forme de la tète. La plupart des seigneurs du temps se sont fait représenter sur leur sceau en costume de tournoi.
Ils ont la lance ou l’épée à la main, les ailettes aux épaules, l’écu sur la poitrine. Toutes ces choses sont armoriées, et les armoiries figurent encore sur une crête en forme d’éventail qui surmonte le heaume. C’était le cimier à la mode, qui fut remplacé quelquefois par un panonceau tournant autour d’une tige, comme une girouette, ou par une poupée en forme d’homme ou de bête.
Un comte de Boulogne, révolté contre Philippe-Auguste, pour montrer qu’il était seigneur de la mer, avait fait planter des deux côtés de son heaume une aigrette en fanons de baleine. On ne s’étonnera pas que, pour rendre la charge de tous ces objets un peu plus tolérable, on ait fait des heaumes en cuir ; mais ces heaumes n’étaient bons que pour les joutes courtoises, où l’on combattait avec des lances sans fer et des épées en baleine couverte de papier d’argent.
Quant à l’écu, qui avait été si démesurément allongé au XIe siècle, il revint, après l’an 1200, aux dimensions qu’il lui convenait d’avoir pour être dune manœuvre facile. Il fut d’autant plus allégé qu’on le débarrassa de sa boucle, cette bosse massive dont il était resté surchargé jusque-là. C’est la seule amélioration que le XIIIe siècle ait introduite dans l’armement.
Elle paraît n’avoir pas eu d’autre motif que le besoin de donner une forme plus avantageuse au tableau sur lequel devait être figuré le blason. L’écu couvrait le chevalier en selle depuis le cou jusqu’au genou. La garniture des jambes n’est pas moins compliquée que celle du corps et de la tête. On portait de grosses bottes ou des fourreaux de cuir bouilli sous les chausses de mailles.
Aux genoux étaient ajustées, par-dessus les mêmes chausses, des boîtes de métal. Ces boîtes, que nous appelons genouillères, reçurent au XIIIe siècle et gardèrent durant une partie du XIVe le nom de poulains. Pendant un temps, les chausses furent une simple pièce de mailles que l’on agrafait derrière la jambe et après le bord du soulier ou chausson, qui était aussi de mailles.
Mais cette mode ne fut pas générale, et celle des chausses en forme de fourreaux reprit bientôt le dessus. Chez quelques-uns, elles avaient assez de longueur pour s’attacher après la doublure du haubert, vers la ceinture. Le comte de Boulogne, renversé de cheval à la bataille de Bouvines, dut son salut à ce qu’il était ainsi accoutré. Des goujats qui s’étaient abattus sur lui eurent beau fourrer leurs épieux sous la jupe de son haubert, ils ne trouvèrent pas le défaut de l’armure.
En dernier lieu, on attacha, au moyen de courroies, de longues plaques d’acier qui couvraient le devant des jambes et des cuisses au-dessus et au-dessous des genouillères. Ce fut le commencement de l’armure en fer battu. La défense des cuisses s’appelait cuissots, celle des jambes tournelières ou grèves.
L’usage de ces plaques était général à l’avènement de Philippe le Bel. Sous les fils de ce roi, le dehors des bras fut armé de la même façon, au moyen de brassières posées par-dessus les manches du haubert, et l’on eut des coudières, boîtes de fer qui protégeaient les coudes.
Les gants, qui n’étaient que de mailles autrefois, furent en daim recouvert de mailles ou de plaques de fer. À des cavaliers si bien couverts, il fallut des montures qui fussent, de même qu’eux, impénétrables aux coups. On introduisit dans le harnais du cheval des chanfreins d’acier, des bardes de cuir, des housses de feutre, des croupières et des poitraux en tissu de mailles.
Alors, il devint indispensable aux chevaliers de se pourvoir de chevaux robustes pour les batailles et pour les tournois. Ceux-ci étaient les coursiers, ceux-là les destriers. Dans les marches, ils étaient conduits en laisse à côté du gentilhomme monté sur son palefroi. On dressait les coursiers à galoper avec des housses traînantes, car dans les tournois, ils étaient habillés de la tête jusqu’aux pieds, ainsi qu’on voit aujourd’hui les chevaux des pompes funèbres.
Nous n’avons pas énuméré moins de dix-huit pièces composant l’armement et la parure du chevalier. En ajoutant la chemise, les braies et les chausses de drap qu’il portait sur la peau, le nombre monte à vingt et une.
La conclusion suit d’elle-même. Sous un tel amas de plaques, de tampons, de chiffons, l’homme n’est plus qu’un automate monté pour un nombre de mouvements extrêmement restreint. Il porte ses armes attachées après lui, sous peine de ne les pouvoir rattraper si elles lui échappent des mains. Son écu est retenu à son cou par une longue bride ; des chaînes fixent à son dos et à sa poitrine son heaume, sa dague, son épée.
Bien que le chevalier déposât une partie de cet attirail pour la bataille, avec ce qui lui restait encore, il lui était interdit d’être un combattant de ressource. Mais la force du préjugé empêchait de reconnaître cela. On tenait à une complication qui passait pour une marque de noblesse. Pour rien au monde les gentilshommes n’y auraient renoncé, et les soldats de profession.à qui il aurait appartenu de mettre en honneur un accoutrement plus raisonnable, ne cherchaient qu’à copier les gentilshommes.
Les mercenaires, cavaliers et fantassins, s’étaient émancipés. Sous le nom de sergents, c’est-à-dire serviteurs, ils étaient devenus des corps redoutables, qui avaient dans plus d’une occasion éclipsé la chevalerie. Lorsqu’ils eurent acquis cette importance, on ne trouva pas mauvais qu’ils affectassent une tenue plus martiale.
Tels d’entre eux s’attribuèrent l’armure pleine de plaquettes, puis celle de mailles. On vit des soldats de fortune endosser le haubert, et même la cotte d’armes par-dessus le haubert. La vanité des grands seigneurs trouva son compte à cette usurpation. Au lieu d’armoiries à eux, qu’ils n’avaient pas, les sergents portèrent sur leur cotte celles du maître qui les entretenait à sa solde.
Les sergents, habillés de la pleine armure, de plates ou de mailles, formaient une grosse cavalerie. À la différence des chevaliers, ils n’avaient ni éperons dorés, ni flammes à leurs lances, ni heaumes, ni écus. Pour coiffure, ils portaient le bassinet ou un chapeau de fer à forme ronde, avec un rebord rabattu, sans jugulaire.
Leur bouclier (la targe) était de forme ovale, très bombé et muni de la boucle au milieu. Les soldats de la cavalerie légère et les fantassins n’avaient qu’une partie des pièces de l’armure. Ils ne portaient guère aux jambes d’autres défenses apparentes que des chausses gamboisées ou garnies de plates ; leur coiffure ordinaire était soit le chapeau de fer, soit une simple cervelière.
Pour eux, le haubert était remplacé par le haubergeon, cotte de mailles d’un tissu plus léger et à courtes manches, ou même sans manches. Mais le haubergeon n’était pas à la portée des moyens du plus grand nombre.
Beaucoup se contentaient d’une cotte de plates, d’un pourpoint de cuir ou d’un hoqueton. Ils avaient pour bouclier la rouelle, petit disque qui se portait accroché à la ceinture, ou le talvelas, de forme carrée et de dimension à couvrir tout le corps du combattant.
Il faut parler des armes offensives, dans lesquelles s’étaient aussi introduits des changements. La lance chevaleresque, devenue plus longue de fer et de bois, avait pris le nom de glaive. Elle n’était plus, comme autrefois, décorée d’une longue banderole. À celle des barons était attaché, sous le nom de bannière, un petit drapeau carré, armorié de leur blason.
Un pennon ou languette d’étoffe triangulaire distinguait la lance du simple gentilhomme. L’épée était plus longue et moins large que celle du XIIe siècle, toujours arrondie par le bout avec un lourd pommeau surmontant la poignée. Ce pommeau était ordinairement aplati, et sur les plats, les armoiries du chevalier étaient exécutées en émail.
Les sergents employaient de préférence une épée encore plus longue et pointue, avec laquelle on pouvait donner d’estoc et de taille. Quelques piétons, au lieu de l’épée, se servaient du fauchon, large cimeterre qui tranchait seulement d’un côté. Les mercenaires de tous pays qui composaient en grande partie les corps de sergents, avaient importé l’usage de divers instruments de carnage, ignorés en France avant eux.
La guisarme ou hallebarde, dont le bois, d’abord très court, n’atteignit qu’au XIVe siècle la longueur de celui d’une lance. La hache danoise à tranchant convexe, avec ou sans pointe au talon. Le dard, javelot léger dans le genre de la haste romaine. C’était l’arme nationale des Basques, si nombreux dans les compagnies de sergents.
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Chaque combattant en avait quatre dans la main gauche. Le faussard, fauchard ou faucil, grand coutelas en forme de lame de rasoir, emmanché au bout d’une hampe. La masse, à tête de fer, garnie de côtes saillantes. La pique flamande, appelée par les Français godendart, par corruption du terme tudesque, qui était godengag.
C’était un gros bâton ferré, de la tête duquel sortait une pointe aiguë.
« Ces bâtons que les Flamands portent en guerre, dit Guillaume Guiart, ont nom godengag dans le pays. C’est comme qui dirait bonjour en français. Ils sont faits pour en frapper à deux mains, et si, en tombant, le coup ne porte pas, celui qui sait s’en servir se rattrape en enfonçant la pointe dans le ventre de son ennemi. »
Source : Lectures historiques – histoire du Moyen Âge – Charles-Victor Langlois – 1901