Fin novembre 1853, Isacaron engagea diverses personnes de l’entourage du possédé (Mr Gay) à se rendre auprès de l’archevêque de Lyon pour lui fournir des preuves de la possession.
Un des familiers de l’infortuné, M. Goussard, prit donc le chemin de l’archevêché et obtint une audience du Cardinal de Bonald qui lui dit à la fin de l’entretien : « Vous conduirez M. Gay auprès du curé d’Ars et vous resterez plusieurs jours avec lui ».
M. Houzelot, dont le nom a été maintes fois cité au cours de ce récit, accompagnait la caravane. On se mit sans retard en route pour Ars, où l’on arriva le jour même. Le dimanche suivant, le 4 décembre, l’humble paroisse des Dombes célébrait avec solennité la fête de l’Immaculée Conception. Or, ce jour-là, sans y être sollicité, Isacaron se vit à différentes reprises obligé de faire amende honorable devant une statue de la Sainte Vierge. Gay était tombé à genoux aux pieds de la statue, les bras en croix, les yeux inondés de larmes.
Mais avant de reproduire les paroles de l’ange déchu, nous ne pouvons faire moins que de transcrire celles que Notre-Seigneur lui-même, au cours d’une des révélations qu’il fit à Marie Lataste, religieuse du Sacré-Cœur décédée en 1847, prononça à l’égard de sa mère. Le rapprochement des dates et des textes est d’une étonnante précision et d’une émouvante grandeur.
Notre-Seigneur à Marie Lataste :
« Marie est le chef-d’œuvre des mains du Créateur. Il en a fait la plus belle, la plus sainte, la plus parfaite de toutes les créatures. Il l’a aimée, honorée, élevée en dignité et puissance plus qu’aucune autre créature sur la terre et dans le Ciel…«
Et maintenant, revenons à Ars. Isacaron, avons-nous dit, est tombé à genoux aux pieds de la Sainte Vierge.
D’un ton solennel, l’esprit infernal s’exprima en ces termes :
« Ô Marie ! ô Marie ! chef-d’œuvre des mains divines ! Tu es ce que Dieu a fait de plus grand. Créature incomparable, tu fais l’admiration de tous les habitants du Ciel ; tous t’honorent, tous t’obéissent et te reconnaissent pour la mère du Créateur. Tu es élevée au-dessus des Anges et de toute la Cour céleste ; tu es assise auprès de Dieu, tu es le Temple de la Divinité, tu as porté dans ton sein tout ce qu’il y a de plus fort, de plus grand, de plus puissant et de plus aimable…
Marie, tu as reçu dans ton sein virginal Celui qui t’a créée, tu es Vierge et tu es Mère, il n’y a rien qui puisse t’être comparé. Après Dieu, tu es tout ce qu’il y a de plus grand ; tu es la Femme forte ; toi seule tu rends plus de gloire à Dieu que tous les habitants du Ciel ensemble…
En toi, il n’y a jamais eu aucune souillure. Que tous ceux qui disent que tu n’es pas Vierge et Mère soient anathèmes ; tu as été conçue sans tache, tu es immaculée… Je te loue, ô Marie ! mais toutes les louanges que je te donne remontent à Dieu, l’auteur de tout bien… Après le cœur de ton divin Fils, il n’y en a point qui puisse être comparé au tien.
Ô cœur bon ! ô cœur tendre ! Tu n’abandonnes pas même les plus ingrats et les plus coupables des mortels. Ton cœur est pénétré de douceur envers des misérables qui ne méritent que des châtiments, et pourtant tu obtiens pour eux grâce et miséricorde ; d’infâmes pécheurs sont convertis par toi… Oh ! si les habitants de la terre te connaissaient ! S’ils savaient apprécier ta tendresse, ta puissance, ta bonté, pas un ne périrait.
Tous ceux qui ont recours à toi avec une entière confiance et qui te prient continuellement dans quelque état qu’ils soient, tu les sauveras et tu les béniras éternellement… Je suis obligé de m’humilier à tes pieds et de te demander pardon de tous les outrages que je fais endurer au possédé. Je confesse aujourd’hui, jour d’une de tes fêtes les plus solennelles de l’année, que ton divin Fils me force de dire qu’elle est la plus solennelle de toutes tes fêtes !«
Or que lisons-nous dans les écrits de Marie La taste ? Laissons ici la parole à la sainte religieuse.
« Un jour de fête de l’Immaculée Conception, j’étais venue prier devant l’autel de Marie longtemps avant la célébration de la Sainte Messe. J’avais rendu mes hommages à Marie conçue sans péché, j’avais félicité N.-S. Jésus-Christ d’avoir pour mère une créature si privilégiée. Je m’associai de tout cœur à la croyance de l’Église et m’unis à tous les fidèles qui, en ce jour, rendaient honneur à Marie. J’eus le bonheur de faire la Sainte Communion. Quand Jésus fut dans mon cœur, il me dit :
‘Ma fille, vos hommages ont été agréés par ma mère. Je veux vous remercier et récompenser votre piété par une nouvelle qui vous sera agréable. Le jour va venir où le Ciel et la terre se concerteront ensemble pour rendre à ma mère l’honneur qui lui est dû dans la plus belle de ses prérogatives. Le péché n’a jamais été en Marie et sa conception a été pure, sans tache, immaculée, comme le reste de sa vie. Je veux que sur la terre cette vérité soit proclamée et reconnue par tous les chrétiens.
Je me suis choisi un pontife et j’ai soufflé dans son cœur cette résolution. Il sera dominé par cette pensée pendant tout le temps de son pontificat. Il réunira les évêques du monde pour entendre leurs voix proclamer Marie Immaculée dans sa conception. Toutes les voix des évêques se réuniront dans sa voix, et sa voix proclamant la croyance des autres voix retentira dans le monde entier. Alors sur la terre rien ne manquera à l’honneur de ma mère.
Les puissances infernales et leurs suppôts s’élèveront contre cette gloire de Marie, mais Dieu la soutiendra de sa force et les puissances infernales rentreront dans leurs abîmes avec leurs suppôts.‘ »
Une fois de plus, revenons à Ars. Isacaron, qui a mis Gay les bras en croix, a maintes fois déclaré que Dieu l’a forcé et contraint d’instruire les hommes, de travailler à la gloire du Très-Haut, de chanter les louanges et la grandeur de la Vierge Marie, de proclamer à la honte et à la confusion de tout l’enfer les vérités de la religion chrétienne. Et en effet, nous le voyons, en une occasion exceptionnelle, et contre tout l’enfer, affirmer la gloire de Marie et célébrer son Immaculée Conception dont en 1854, donc dans l’année qui suivit le séjour à Ars d’Antoine Gay, le dogme devait être solennellement proclamé à Rome par le Pape Pie IX.
L’abbé Toccanier, vicaire à Ars, que son curé avait spécialement chargé de s’occuper du possédé, était présent lorsque furent prononcées, par Isacaron, les mémorables paroles qu’on a lues plus haut. M. Houzelot, lui aussi témoin, demanda à l’ange déchu de les répéter pour lui permettre d’en prendre copie. Le diable acquiesça à cette demande et reprit les mots en s’efforçant de les prononcer avec lenteur.
L’abbé Toccanier ne pouvait cacher son émotion. La vue de l’infortuné, agenouillé les bras en croix aux pieds de la Sainte Vierge, embuait ses yeux de larmes.
« On ne trouve rien de comparable que dans les Pères de l’Église », déclara-t-il aux personnes présentes. Il avait un jour entamé avec Isacaron une discussion théologique très serrée dont l’orthodoxie le remplissait d’étonnement. Au cours de ce séjour à Ars, Antoine Gay fut présenté plusieurs fois à M. Vianney, le Saint curé d’Ars.
Un soir, alors qu’ils se trouvaient tous les deux dans la chambre de l’humble presbytère où depuis près d’un siècle sont venus prier tant de milliers de pèlerins, Isacaron jeta brutalement le possédé aux pieds du curé d’Ars et dit en lui montrant le poing :
« Vianney, tu es un voleur ; tu nous arraches les âmes que nous avons tant de peine à séduire ».
Le prêtre fit alors le signe de la croix sur la tête du possédé et l’on put entendre le démon pousser un cri de fureur.
M. Goussard, dont nous avons cité le nom plus haut, désirait mettre le cardinal de Bonald au courant de ces faits. Il reprit seul le chemin de Lyon et se rendit aussitôt à l’archevêché : il venait demander au Cardinal, de la part de M. Vianney, la permission de procéder à l’exorcisme.
« Le curé d’Ars, répondit le prélat, n’a pas besoin de ma permission ; il sait bien que je la lui donne. Ou alors qu’il s’adresse à Monseigneur de Belley ».
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L’abbé Toccanier écrivit sans tarder à Mgr Chalandon. L’évêque de Belley fit savoir qu’il autorisait le curé d’Ars à exorciser le possédé ; mais le saint prêtre aurait voulu un exorcisme solennel dans l’église de Fourvière… Le temps passa et, cette fois encore, Gay fut ramené à Lyon sans avoir été délivré de son indésirable compagnon.
Le P. Chiron était mort en 1852. Lorsque, en 1859, le curé d’Ars mourut à son tour, Antoine Gay était âgé de 69 ans et avait encore douze ans à vivre ; mais déjà, il n’y avait plus personne pour s’intéresser au sort du malheureux vieillard.
Nous avons dit aux premières pages de ce récit comment le curé de Saint-Irénée, accouru au chevet de son paroissien à son heure dernière, ne put recueillir sa confession. « Tu ne te confesseras pas avant que je sorte de ton corps », n’avait jamais cessé d’affirmer Isacaron. Or il importait que le rôle imposé par Dieu au démon lors de cette possession extraordinaire fût joué jusqu’au bout.
Source : Le possédé qui glorifia l’immaculée – Abbé Gruninger – 1952 – Nihil + Imprimat 1952