Dans la vision XVII, Sainte Françoise Romaine nous parle des démons, et nous explique la création des anges et leur classification qui lui furent manifestées, Dieu lui fit discerner ceux qui devaient pécher de ceux qui demeureraient fidèles.
Elle fut ensuite témoin de leur révolte et de la chute horrible qu’elle leur mérita. Or, elle ne fut pourtant pas aussi profonde pour les uns que pour les autres : un tiers de ces infortunés demeura dans les airs, un autre tiers s’arrêta sur la terre et le dernier tiers tomba jusque dans l’enfer.
Cette différence dans les châtiments correspondit à celles que Dieu remarqua dans les circonstances de leur faute commune. Parmi ces esprits rebelles, il y en eut qui embrassèrent de gaieté de cœur, si je puis parler de la sorte, la cause de Lucifer ; et d’autres qui virent avec indifférence ce soulèvement contre le Créateur, et demeurèrent neutres.
Les premiers furent précipités sur-le-champ dans l’enfer, d’où ils ne sortent jamais, a moins que Dieu ne les déchaîne quand il veut frapper la terre de quelque grande calamité, pour punir les péchés des hommes.
Les seconds furent jetés en partie dans les airs, et en partie sur la terre ; et ce sont ces derniers qui nous tentent, comme je le dirai plus tard.
Lucifer, qui voulut être l’égal de Dieu dans le ciel, est le monarque des enfers, mais monarque enchaîné et plus malheureux que tous les autres. Il a sous lui trois princes auxquels tous les démons, divisés en trois corps, sont assujettis par la volonté de Dieu : de même que dans le ciel, les bons anges sont divisés en trois hiérarchies présidées par trois esprits d’une gloire supérieure.
Pour mieux comprendre, je vous invite à lire La Hiérarchie céleste de Saint Denis l’Aréopagite avant de continuer.
Ces trois princes de la milice céleste furent pris dans les trois premiers chœurs, où ils étaient les plus nobles et les plus excellents ; ainsi, les trois princes de la milice infernale furent choisis comme les plus méchants des esprits des mêmes chœurs, qui arborèrent l’étendard de la révolte.
Lucifer était dans le ciel le plus noble des anges qui se révoltèrent et son orgueil en fit le plus méchant de tous les démons. C’est pour cela que la justice de Dieu l’a donné pour roi a tous ses compagnons et aux réprouvés, avec puissance de les gouverner et de les punir, selon ses caprices ; ce qui fait qu’on l’appelle le tyran des enfers. Outre cette présidence générale, il est encore établi sur le vice de l’orgueil.
Le premier des trois princes qui commandent sous ses ordres, se nomme Asmodée : c’était dans le ciel un Chérubin, et il est aujourd’hui l’esprit impur qui préside a tous les péchés déshonnêtes.
Le deuxième prince s’appelle Mammon : c’était autrefois un Trône, et maintenant il préside aux divers péchés que fait commettre l’amour de l’argent.
Le troisième prince porte le nom de Béelzebub ; il appartenait dans l’origine au chœur des Dominations, et maintenant il est établi sur tous les crimes qu’enfante l’idolâtrie, et préside aux ténèbres infernales. C’est aussi de lui que viennent celles qui offusquent les esprits des humains.
Ces trois chefs ainsi que leur monarque, ne sortent jamais de leurs prisons infernales ; lorsque la justice de Dieu veut exercer sur la terre quelque vengeance éclatante, ces princes maudits députent à cet effet un nombre suffisant de leurs démons subordonnés ; car il arrive quelquefois que les fléaux dont Dieu veut frapper les peuples, demandent plus de forces ou plus de malices que n’en ont les mauvais esprits répandus sur la terre et dans l’air. Alors les infernaux plus méchants et plus enragés deviennent des auxiliaires indispensables. Mais hors de ces cas rares, ces grands coupables ne peuvent sortir des prisons ou ils sont renfermés. Tous ces esprits infortunés sont classés dans l’abime selon leur ordre hiérarchique.
La première hiérarchie, composé de Séraphins, de Chérubins et de Trônes, habite l’enfer le plus bas ; ils endurent des tourments plus cruels que les autres et exercent les vengeances célestes sur les plus grands pécheurs. Lucifer qui fut un Séraphin exerce sur eux une spéciale autorité, en vertu de l’orgueil dont il a la haute présidence. Les démons de cette hiérarchie ne sont envoyés sur terre, que lorsque la colère de Dieu permet que l’orgueil prévale pour punir les nations.
La deuxième hiérarchie formée de Dominations, de Principautés et de Puissances, demeure dans l’enfer du milieu. Elle a pour prince Asmodée qui, comme je l’ai déjà dit, préside aux péchés de la luxure. On peut deviner que les démons de cette hiérarchie sont sur terre, lorsque les peuples s’abandonnent au vice infâme de l’impureté.
La troisième hiérarchie qui se compose de Vertus, d’Archanges et d’Anges, a pour chef Mammon, et habite l’enfer supérieur. Lorsque ces démons sont lâchés sur la terre, la soif des richesses y prévaut de toutes parts, et il n’est plus question que d’or ou d’argent.
Quant à Béelzebub, il est le prince des ténèbres, et les répand quand Dieu le permet, dans les intelligences, pour étouffer la lumière de la conscience et celle de la véritable foi. Tel est l’ordre qui règne parmi les démons dans les enfers ; quant à leur nombre, il est innombrable.
On retrouve ces mêmes hiérarchies parmi les démons qui demeurent dans l’air et sur la terre, mais ils n’ont point de chefs, et par conséquent vivent dans l’indépendance et une sorte d’égalité. Ce sont les démons aériens qui, la plupart du temps, déchaînent les vents, excitent les tempêtes, produisent les orages, les grêles et les inondations. Leur intention en cela est de faire du mal aux hommes, surtout en diminuant leur confiance en la divine Providence, et les faisant murmurer contre la volonté de Dieu.
Les démons de la première hiérarchie, qui vivent sur la terre, ne manquent pas de profiter aussi de ces occasions favorables a leur malice ; trouvant les hommes irrités par ces calamites et fort affaiblis dans leur soumission et leur confiance, ils les font tomber beaucoup plus facilement dans le vice de l’orgueil.
Ceux de la deuxième hiérarchie ne manquent pas à leur tour de les précipiter de leur hauteur superbe dans le cloaque impur, ce qui donne ensuite toute facilité aux démons de la troisième hiérarchie, de les faire tomber dans les péchés qu’enfante l’amour de l’argent.
Alors les anges qui président aux ténèbres les aveuglent, leur font quitter la voie de la vérité et rendent leur retour extrêmement difficile. C’est ainsi que tous les démons, malgré la différence de leurs emplois, se concertent et s’aident mutuellement à perdre les âmes. Les uns affaiblissent leur foi, les autres les poussent à l’orgueil, ceux-ci à l’impureté, ceux-la à l’amour des richesses, d’autres enfin leur jettent un voile sur les yeux et les écartent si fort de la voie du salut, que la plupart ne la retrouvent plus.
Le seul moyen d’échapper à ce complot infernal serait de se relever promptement de la première chute, et c’est précisément ce que ces pauvres âmes ne font pas. De là, cette chaine de tentations, qui de chute en chute les conduit au fond du précipice.
Lorsque j’ai dit que les démons qui sont dans l’air et sur la terre n’ont pas de chefs, j’ai voulu dire seulement qu’ils n’ont pas d’officiers subalternes ; car tous sont soumis à Lucifer, et obéissent à ses commandements, parce que telle est la volonté de la justice divine. Malgré la haine qu’ils portent aux hommes, aucun d’eux n’oserait les tenter sans l’ordre de Lucifer, et Lucifer lui-même ne peut prescrire, en ce genre, que ce que lui permet le Seigneur plein de bonté et de compassion pour nous.
Lucifer voit tous ses démons, non-seulement ceux qui sont autour de lui dans l’enfer, mais encore ceux qui sont dans l’air et sur la terre. Tous aussi le voient sans aucun obstacle et comprennent parfaitement toutes ses volontés. Ils se voient également et se comprennent fort bien les uns les autres. Les malins esprits, répandus dans l’air et sur la terre, ne ressentent pas les atteintes du feu de l’enfer ; ils n’en sont pas moins excessivement malheureux, tant parce qu’ils se maltraitent et se frappent sans cesse les uns les autres, que parce que les opérations des bons anges dans ce monde leur causent un dépit qui les tourmente cruellement.
Les peines de ceux qui appartiennent à la première hiérarchie sont plus acerbes que celles des esprits de la seconde, et ceux-ci sont plus malheureux que les esprits de la troisième. La même justice distributive préside aux tourments des esprits infernaux ; mais ceux-ci sont tous en proie a, l’ardeur des flammes infernales. Les démons qui demeurent au milieu de nous, et ont reçu le pouvoir de nous tenter, sont tous des esprits tombés du dernier chœur.
Les anges commis à notre garde sont aussi de simples anges. Ces esprits tentateurs sont sans cesse occupés à préparer notre perte. Les moyens qu’ils emploient pour cela sont si subtils et si variés, qu’une âme qui leur échappe est fort heureuse, et ne saurait trop témoigner sa reconnaissance au Seigneur. II n’est pas un instant du jour et de la nuit, ou ces cruels ennemis n’essayent d’une tentation ou d’une autre, afin de lasser ceux qu’ils ne peuvent vaincre par la ruse ou la violence. La patience est donc l’arme défensive par excellence.
Malheur à qui la laisse tomber de ses mains ! Lorsque ces tentateurs ordinaires rencontrent des âmes fortes et patientes, qu’ils ne peuvent entamer, ils appellent à leur secours des compagnons plus astucieux et plus malins, non pour combattre avec eux ou à leur place, car Dieu ne le permet pas, mais pour leur suggérer des stratagèmes plus efficaces. Françoise savait tout cela par expérience : il était rare qu’elle fut tentée par son démon seul. D’ordinaire il s’en associait d’autres ; et, trop faibles encore, ils recouraient la malice des esprits supérieurs qui demeuraient dans l’air. Elle était devenue si habile dans cette guerre, qu’en soutenant une attaque, elle savait à quel chœur avait appartenu celui dont le conseil la dirigeait, et qui il était.
Lorsque les démons veulent livrer un assaut à une âme habile et forte, les uns l’attaquent de front et les autres se placent derrière elle. C’est de cette sorte qu’ils combattaient ordinairement contre notre bien heureuse, et elle les voyait se faire des signes pour concerter leurs moyens.
Lorsqu’une âme, vaincue par les tentations, meurt dans son péché, son tentateur habituel l’emporte avec promptitude, suivi de beaucoup d’autres qui lui prodiguent des outrages, et ne cesse de la tourmenter jusqu’a ce qu’elle soit précipité dans l’enfer. Ces détestables esprits se livrent ensuite à une joie féroce. Son Ange gardien, après l’avoir suivie jusqu’à l’entrée de l’abime, se retire aussitôt qu’elle a disparu et remonte au ciel. Lorsqu’une âme, au contraire, est condamné au purgatoire, son tentateur est cruellement battu par l’ordre de Lucifer, pour avoir laissé échapper sa proie.
II reste pourtant là, en dehors du purgatoire, mais assez près pour que l’âme le voie et entende les reproches qu’il lui fait sur les causes de ses tourments. Lorsqu’elle quitte le purgatoire pour monter au ciel, ce démon revient sur la terre se mêler à ceux qui nous tentent ; mais il est pour eux un objet de moqueries, pour avoir mal rempli la mission dont il était chargé.
Tous ceux qui laissent ainsi échapper les âmes ne peuvent plus remplir l’office des tentateurs. Ils vont, errant ça et là, réduits à rendre aux hommes d’autres mauvais offices, quand ils peuvent. Quelquefois Lucifer, pour les punir, les loge honteusement dans des corps d’animaux, ou bien il s’en sert, avec la permission de Dieu, pour exercer des possessions qui leur attirent souvent de nouvelles hontes. Les démons, au contraire, qui ont réussi à perdre les âmes auxquelles Lucifer les avait attachés, après les avoir portées dans les enfers, reparaissent sur la terre, couverts de gloire parmi leurs semblables et jouent un plus grand rôle que jamais dans la guerre qu’ils font aux enfants de Dieu. Ce sont eux que les autres appellent a leur secours, comme plus expérimentés et plus habiles, quand ils ont, affaire, a des âmes fortes et généreuses qui se rient de leurs vains efforts.
Tout démon chargé de la mission de perdre une âme ne s’occupe point des autres ; il n’en veut qu’à celle-la, et emploie tous ses soins à la faire pécher ou à troubler sa paix. Cependant, quand il l’a vaincue, il la pousse autant qu’il peut, à tenter, à molester ou à scandaliser d’autres âmes. II y a d’autres démons du même chœur que ceux qui nous tentent, qui vivent au milieu de nous sans nous attaquer.
Leur mission est de surveiller ceux qui nous tentent, et de les châtier chaque fois qu’ils ne réussissent pas à nous faire pécher. Chaque fois qu’ils entendent prononcer dévotement le saint nom de Jésus, ils se prosternent spirituellement non de bon cœur, mais par force.
Françoise en vit une fois plusieurs en forme humaine, qui, a ce nom sacré qu’elle prononçait en conversant avec son confesseur, inclinèrent leur front avec un profond respect, jusque dans la poussière. Ce nom sacré est pour eux un nouveau supplice, qui les fait souffrir d’autant plus cruellement, que la personne qui le prononce est plus avancée dans l’amour, et plus parfaite. Lorsque les impies profanent ce nom adorable, ces esprits réprouvés ne s’en attristent pas ; mais ils sont forcés de s’incliner, comme pour réparer l’injure qui lui est faite. Ils agissent de même lorsqu’on le prend en vain. Sans cette adoration forcée, ils seraient bien contents d’entendre blasphémer ce saint nom.
Les bons anges, au contraire, en pareilles occasions, l’adorent profondément, le louent et le bénissent avec un amour incomparable. Lorsqu’il est prononcé avec un vrai sentiment de dévotion, ils lui rendent les mêmes hommages, mais avec un vif sentiment de joie. Chaque fois que notre bienheureuse proférait ce très-saint nom, elle voyait son Archange prendre un air extraordinairement joyeux, et s’incliner d’une manière si gracieuse, qu’elle en était tout embrasée d’amour.
Lorsque les âmes vivent dans l’habitude du péché mortel, les démons entrent en elles, et les dominent en plusieurs façons, qui varient selon la qualité et la quantité de leurs crimes ; mais quand elles reçoivent l’absolution avec un cœur contrit, ils perdent leur domination, délogent au plus vite, et se remettent auprès d’elles pour les tenter de nouveau ; mais leurs attaques sont moins vives, parce que la confession a diminué leurs forces.
Source : Vie de Sainte Françoise Romaine