Voyons ensemble comment Napoléon tenta le renversement de la civilisation chrétienne et de la religion Catholique gouverné par son Pape.
Le renversement de la religion et de la civilisation chrétienne projeté vers la fin du XIVe siècle, nous l’avons vu poursuivi par une société secrète qui, de génération en génération, s’est transmis le plan indiqué par les Humanistes, développé par les Encyclopédistes, définitivement arrêté par les Illuminés et mis à exécution par les Jacobins.
Étouffée dans le sang de la Terreur et dans la boue du Directoire, la Franc-Maçonnerie ne put élever le Temple de l’Humanité sur les ruines de l’Église de France qu’elle avait renversée.
L’Église se releva. La Franc-Maçonnerie ne renonça point à son projet. Elle s’y remit dès les premiers jours de l’empire. Elle agrandit d’année en année le cercle de son action ; et à l’heure présente, elle se tient assurée d’aboutir cette fois, d’autant plus sûrement qu’elle connaît ce qui l’a fait échouer au XVIIIe siècle.
Lentement et sûrement, tel est le mot d’ordre qu’elle a imposé à ses agents et à elle-même, qui a été tenu et qui va, pense-t-elle, lui procurer enfin ce qu’elle poursuit depuis cinq cents ans.
Elle veut anéantir tout l’ordre de choses existant, religion, société et propriété,,, pour lui substituer l’état de pure nature. Elle ne le put. L’Empire fut une réaction que la Restauration accentua. Nous la verrons sous les gouvernements qui vont se succéder, travailler à traverser leurs bonnes intentions et à paralyser leurs efforts dans le bien, à les inspirer et à les seconder dans le mal ; puis enfin à s’emparer elle-même du pouvoir, et alors poursuivre ouvertement la réalisation des desseins que les encyclopédistes, les francs-maçons et les illuminés avaient conçus.
La réaction se fit d’abord dans l’ordre religieux. Le catholicisme n’avait pu être entièrement étouffé.
Sa doctrine et sa morale ‘ n’avaient cessé de vivre dans une multitude de cœurs et son culte même d’être pratiqué au péril de la vie. Lorsque celui qui avait conçu la pensée et qui s’était donné le pouvoir de rétablir un certain ordre dans la société, voulut se mettre à l’œuvre, il comprit que, pour relever la France de ses ruines, il fallait nécessairement commencer par la restauration du culte. Portalis l’avait parfaitement montré dans le discours qu’il prononça au Corps législatif, dans la séance du 15 germinal an X. Mais quel culte ? Nul autre que le culte catholique n’eût été accepté, nul autre n’eût été viable. Tout le monde le sentait bien, et Napoléon mieux que tout autre. Or, le culte catholique ne pouvait être restauré que par le Pape : de là, la nécessite de s’entendre avec lui. Napoléon le vit, et aussitôt il entama les négociations qui devaient aboutir au Concordat de 1801. Cependant, la franc-maçonnerie était toujours là et elle ne renonçait nullement à son projet d’anéantir le catholicisme et avec lui la civilisation chrétienne. Nous allons donc la revoir à l’œuvre, non plus avec l’impétuosité de 93, mais discrètement, lentement et, pensait-elle, plus sûrement.
Dès le jour même de la conclusion du Concordat — fût-ce sous l’inspiration maçonnique ? Il est difficile de le dire — commencèrent les réserves, et bientôt les reprises de l’esprit antichrétien. Après un siècle de travail incessant, cet esprit est arrivé de nos jours à consolider presque toutes les conquêtes que la Révolution avait faites, et qu’elle avait été contrainte d’abandonner sous la pression de l’esprit catholique.
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La religion catholique restaurée eût dû être comme autrefois la religion de l’État. Il semble bien que la chose se présentait ainsi à l’esprit de Napoléon, lors des premières ouvertures qu’il fit à Pie VIL
Dans le projet de Concordat daté du 26 novembre 1800, les négociateurs français laissèrent passer le mot de « religion d’État. » Au titre IX, art. ler, il était dit :
« Aux conditions ci-dessus et vu leur acceptation par le Saint-Siège, le gouvernement français déclare crue la religion catholique, apostolique et romaine est la religion de l’État. »
Bonaparte voulait donc restaurer le culte national en tant que culte public, en tant que culte de l’État, tout en laissant aux individualités la liberté d’en pratiquer un autre. Et cependant le premier Consul s’en défendit bientôt ; et tous les efforts furent inutiles, ceux de Spina, ceux de Consaîvi, ceux de Pie VII lui-même, pour le faire revenir au projet primitif, si naturel, si logique, qui devait s’imposer à un esprit aussi lucide que le sien.
Encore une fois, nous ne saurions dire s’il y eut, près de Napoléon, dès ce moment, une intervention de cette Contre- Église que nous avons vue dépositaire de la pensée de la Renaissance, et qui, depuis quatre siècles, travaillait, avec une persévérance que rien ne décourageait, à la faire triompher. Ce que nous savons, c’est ce que l’histoire a recueilli, de la bouche du cardinal Pacca, cet échange de mots entre Volney et Bonaparte, au lendemain de la signature du Concordat :
« Est-ce que c’est là ce que vous avez promis ? — Calmez-vous. La religion en France a la mort dans le ventre : vous en jugerez dans dix ans! »
C’est à un juif du XVIIIe siècle, Guillaume Dohm, qu’il faut faire remonter la pensée initiale de l’égalité des cultes. Il en a été l’instigateur et le docteur auprès des princes du monde moderne. Il était archiviste de S. M. le roi de Prusse et secrétaire au département des affaires étrangères lorsqu’il écrivit en 1781, son mémoire De la réforme politique de la situation des Juifs, adressé et dédié à tous les souverains.
Il y étale la théorie de l’État indifférent en religion, neutre, athée, et, ce qui est plus grave, dominateur de toutes les religions.
« Le grand et noble emploi de gouvernement, dit-il, consiste à mitiger les principes exclusifs de toutes ces différentes sociétés catholique, luthérienne, socinienne, mahométane, de façon qu’elles ne tournent point au préjudice de la grande société. Que le gouvernement permette à chacune de ces petites sociétés particulières d’avoir l’esprit de corps qui lui est propre, de conserver même ses préjugés quand ils ne sont pas nuisibles ; mais qu’il s’efforce d’inspirer à chacun de ses membres un sujet plus grand d’attachement pour l’État ; et il aura atteint le grand but qu’il lui convient d’avoir en vue, quand les qualités de gentilhomme, de paysan, de savant, d’artisan, de chrétien ou de juif seront toutes subordonnées à celle de citoyen. »
C’est bien l’idée napoléonienne : ce programme tracé vingt ans d’avance, Napoléon a voulu le réaliser.
Après de longs débats, il réussit à introduire dans le Concordat même, et surtout il déposa dans les articles organiques, dont il l’accompagna subrepticement, un germe qui ne demandait qu’à se développer pour devenir cette autre constitution civile du clergé que M. Briand a forgée dans la loi de séparation et qu’il espérait bien nous faire accepter.
Le Concordat porte ceci : « Le gouvernement de la République reconnaît que la religion catholique, apostolique et romaine, est la religion de la grande majorité du peuple français. »
Dans ces mots, il n’y a que la reconnaissance d’un fait, d’un fait qui aurait pu ne pas être à ce moment-là et qui peut changer avec le temps ; non la reconnaissance du droit que donne à l’Église catholique sa divine origine, et celle
de la situation unique que cette origine lui fait. Le Concordat, par cette rédaction, reconnaissait au protestantisme et au judaïsme, à raison de la fraction de citoyens qui en font profession, des droits dans l’État semblables à ceux du catholicisme. Ces droits identiques devinrent bientôt des droits égaux, et, actuellement, c’est aux protestants et aux juifs, qui restent cependant toujours le petit, très petit nombre, qu’est faite la situation privilégiée.
Le Pape Pie VII, à la date du 12 mai 1801, écrivit au premier Consul pour lui exprimer sa douleur de cette exigence :
« Nous ne vous cacherons pas, et tout au contraire nous vous en ferons l’aveu éclatant, combien nous avons éprouvé une joie vive aux premières ouvertures qui nous ont été faites pour le rétablissement de la religion catholique en France ; et l’espérance flatteuse que cette religion serait rétablie dans son antique splendeur comme dominante, m’a fait voir avec bien de la douleur l’article désagréable qui, dans le projet officiel, a été proposé comme la base de tous les autres… Nous ne pouvons nous empêcher de vous mettre sous les yeux, qu’étant constitué par Dieu pour la défense de cette religion et sa propagation… nous ne pouvons, par un article d’une convention solennelle, en sanctionner la dégradation… Si la religion catholique est celle de la majorité des Français, pouvez-vous douter que leurs vœux ne soient remplis en lui rendant son premier lustre ? Serez-vous retenu par l’opposion du petit nombre, sur lequel la majorité l’emporte à un si haut degré ? À cause d’eux, priverez-vous la France et l’autorité publique des grands avantages que lui procurerait l’entier rétablissement de la religion catholique ? »
Rien n’y fit ; et le Pape, pour éviter un plus grand malheur, dut en passer par la volonté de Bonaparte.
La question était d’importance capitale. M. Emile Olivier exagère lorsqu’il exprime l’opinion que cet article du Concordat consacrait la séparation de l’Église et de l’État, que l’on réclame maintenant, dit-il, comme si elle n’était point faite depuis un siècle. Loin de consacrer le principe de la séparation, le Concordat sanctionne l’union sous un nouveau mode. Il est vrai que la religion catholique n’est plus la religion de l’État. Mais quoique moins intime, moins avantageux pour l’Église que l’ancien ordre de choses, celui qui a été substitué par le Concordat n’est pas d’une autre nature. Elle garde avec l’État des liens et des liens obligatoires. Le Concordat a conservé les principes intacts, il n’a pas consacré la séparation, « le dogme religieux de la Révolution française. »
Mais la Révolution, qui veut la séparation, qui la veut partout, l’a préparée dès lors en France autant qu’il était en elle. Les États séparés de l’Église et l’Église romaine privée de la souveraineté temporelle, telles sont les deux préoccupations les plus constantes de la franc-maçonnerie, le double objet de ses plus continuels efforts. Il faut que l’Église, pour qu’on puisse en avoir raison, soit d’abord sans point d’appui sur la terre.
C’est dans ce but que l’on s’efforça d’abaisser le catholicisme en France au rang d’une religion quelconque, de diminuer son prestige et sa force, d’humilier le clergé et de le paralyser. Il rentre en France, mais il ne forme plus un Ordre dans l’État, il n’a plus aucun droit en tant que corps, il n’est plus qu’une collection d’individus qui bientôt ne seront distingués des autres que pour subir plus d’avanies et plus d’outrages. Il n’est même plus propriétaire. L’on sait à quel point la propriété est nécessaire à l’indépendance ; le clergé n’en aura plus. Ses biens, les plus légitimes qui fussent, ne lui seront point rendus ; il sera réduit à la condition de salarié et l’on ne se fera point faute de lui couper les vivres pour lui rappeler sa sujétion. Il est vrai que l’article XV du Concordat dit :
« Le gouvernement aura soin de laisser aux catholiques la liberté de faire, s’ils le veulent, de nouvelles fondations en faveur des églises », et de reconstituer ainsi l’ancien patrimoine de l’Église de France.
Mais l’on sait par quelle savante tactique cette liberté a été restreinte de jour en jour, puis comment les fondations pieuses durent être toujours constituées en rentes sur l’État, afin qu’il fût plus facile de s’en emparer au jour de la séparation, et enfin comment l’indemnité concordataire fut elle-même supprimée.
Au gouvernement, déjà chargé de fournir au clergé le vivre et le couvert, le Concordat accorda encore le choix des personnes à élever aux dignités ecclésiastiques :
« Le premier Consul nommera, dans les trois mois qui suivront la publication de la Constitution apostolique, les archevêques et évêques qui doivent gouverner les diocèses des nouvelles circonscriptions. — De même, le premier Consul nommera les nouveaux évêques aux sièges épiscopaux qui vaqueront par la suite. Le Siège apostolique leur donnera l’institution canonique. Les évêques nommeront aux paroisses, et ils ne choisiront que des personnes agréées par le gouvernement. »
À diverses époques, les gouvernants se firent un devoir de religion ou d’honnêteté publique de choisir les plus dignes ; mais, en d’autres moments, ils allèrent prendre, de parti-pris, des incapables et même des indignes. Napoléon en donna l’exemple. Il imposa au cardinal Caprara quinze évêques constitutionnels. Plus tard, il chercha les moyens de se passer de l’institution canonique. Il convoqua pour cela un Concile national ; mais il ne put en obtenir ce qu’il voulait. Ce n’eût plus été pour le clergé la dépendance ni même l’asservissement, c’eût été le schisme.
À côté du clergé séculier, il y a dans l’Église le clergé régulier. Celui-ci pouvait trouver dans sa constitution même des conditions d’indépendance refusées au premier. Aussi Bonaparte se garda bien de laisser les Ordres religieux se reconstituer. Le décret du 22 juin 1804 prononça la dissolution de l’association des Pères de la Foi, et « de toutes autres congrégations ou associations formées sous prétexte de religion et non autorisées. ».
En outre, il statua que : « Aucune congrégation ou association d’hommes ou de femmes ne pourra se former à l’avenir sous prétexte de religion, à moins qu’elle n’ait été formellement autorisée par un décret impérial. »
Bonaparte disait d’ailleurs et répétait qu’il ne voulait point de congrégations, que cela est inutile, qu’il n’y a pas à craindre qu’il rétablisse les moines. Cependant, il autorisa les Lazaristes et les prêtres des Missions étrangères :
« Ces religieux, dit-il, au Conseil d’État, me seront très utiles en Asie, en Afrique et en Amérique. Je les enverrai prendre des renseignements sur l’état du pays, ce seront des agents secrets de diplomatie ».
Il autorisa aussi les Frères des écoles chrétiennes à titre de rouage de la machine universitaire.
« Le Grand-Maître de l’Université visera leurs statuts intérieurs, les admettra au serment, leur procurera un habit particulier et fera surveiller leurs écoles. » (Décret du 17 mars 1808, art. 109).
L’autorisation accordée aux Sœurs de charité rentre dans le même plan. « La supérieure générale résidera à Paris et sera ainsi sous la main du gouvernement. »
Il imposa comme générale sa propre mère, Mme Lætitia Bonaparte. M. Hanon fit observer respectueusement que la règle ne le permettait pas. Il fut enfermé dans la prison de Fénestrelle.
Pour en revenir au clergé séculier, Bonaparte veille à ce que son recrutement ne se fasse point facilement ; il ne faut pas que les prêtres soient en nombre. Trente-sept mille quatre cents curés sont institués au lendemain du Concordat. Bonaparte déclare n’être obligé par ce traité de rétribuer que les curés-doyens, au nombre de trois mille quatre cents. Il accorde néanmoins cinq cents francs à vingt-quatre mille curés desservants. Les dix mille autres, ainsi que tous les vicaires, resteront à la charge des communes, qui généralement sont trop pauvres ou trop imposées pour pouvoir leur donner les moyens de vivre. Aussi Rœderer, l’un des présidents du Conseil d’Etat, dit :
« Les desservants n’ont encore pu obtenir de traitement fixe dans aucune commune. Les paysans ont voulu avec ardeur leur messe et leur service du dimanche comme par le passé, mais payer est autre chose. »
Ce n’était guère encourageant pour les vocations. Elles ne suffisent point à remplir les vides que la mort multiplie parmi ces vieillards revenus de l’exil ; néanmoins, les évêques sont obligés, avant de procéder à une ordination, d’envoyer à Paris la liste de ceux auxquels ils veulent conférer les saints Ordres. Napoléon l’écourtait selon son bon plaisir. Mgr Montault, évêque d’Angers, et Mgr Simon, évêque de Grenoble, ne purent, le premier en sept ans, le second en huit, ordonner chacun que dix-huit prêtres.
Mais il y a plus. Napoléon vent surveiller et diriger l’enseignement des séminaires :
« Il ne faut pas, dit-il, abandonner à l’ignorance et au fanatisme le soin de former les jeunes prêtres… On a trois ou quatre mille curés ou vicaires, enfants de l’ignorance, et dangereux par leur fanatisme et leurs passions. Il faut leur préparer des successeurs plus éclairés, en instituant, sous le nom de séminaires, des écoles spéciales qui seront sous la main de l’autorité. On placera à leur tête des professeurs instruits, dévoués au gouvernement et amis de la tolérance. Ils ne se borneront pas à enseigner la théologie : ils y joindront une sorte de philosophie et une honnête mondanité. »
Le décret du 5 février condamne comme trop ultramontaine la théologie de Bailly ! Nous verrons reparaître plus tard ces idées d’enseigner dans les séminaires une certaine philosophie, d’y faire prendre une certaine mondanité et de préparer les jeunes prêtres à être des amis de la tolérance.
Napoléon voulait avoir en même temps la main sur le culte. Dans les négociations qui précédèrent la signature du Concordat, le Pape y réclamait la reconnaissance de la liberté de la religion et de l’exercice public de son culte. Cet exercice avait été proscrit par la Révolution ; il importait qu’il fût reconnu formellement dans le Concordat que ces lois tyranniques étaient abrogées. Ce point donna lieu aux plus pénibles discussions.
« À force d’indicibles fatigues, de souffrances et d’angoisses de tout genre, dit Consalvi, enfin arriva le jour où il semblait qu’on touchât au terme désiré. »
Il avait fait reconnaître, dans l’article premier de la convention, la liberté et la publicité du culte catholique. Au moment où il allait signer, il s’aperçut qu’on avait glissé sous sa plume un texte tout différent de celui qui avait été convenu. Tout était à recommencer. Nouvelles discussions et négociations. Consalvi, à cette phrase :
« La religion catholique, apostolique, romaine, sera librement exercée en France, »
voulait que l’on n’ajoutât que ces mots :
« Son culte sera public ».
Les commissaires français avaient ordre d’exiger cette addition : « En se conformant aux règlements de police. » Consalvi pressentait un piège.
Il ne se trompait point : ce piège, c’étaient les articles organiques que le gouvernement tenait en réserve et dont il n’avait jamais été fait mention au cours des négociations. Le Saint-Siège protesta solennellement contre cet acte extra-diplomatique. Les articles organiques furent maintenus ; ils furent présentés comme ne faisant qu’un seul et même tout avec le Concordat. On sait l’abus qui en a été fait au cours du XIXe siècle. Les règlements de police ont tout envahi, et il est donné au maire du plus humble village d’en formuler à sa guise. Bientôt le culte public n’existe plus qu’à l’état de souvenir. Non seulement toute manifestation, mais tout signe extérieur de religion finira par être interdit sous le beau prétexte que l’on ne doit pas porter atteinte à la conscience de MM. les libres-penseurs.
L’Église ne peut pas être entièrement réduite à l’esclavage si longtemps que le Pape est libre ; aussi il n’y a rien que la franc-maçonnerie poursuivra avec plus de persévérance que l’abolition du Pouvoir temporel des Papes, nécessaire à son indépendance.
Est-ce sous son inspiration, ou suivant les impulsions de sa propre ambition que Napoléon Ier tenta de faire du Pape son vassal ? Il n’était encore que le général Bonaparte, commandant l’armée d’Italie, lorsque après la capitulation de Mantoue il se rendit à Bologne pour y faire, dit M. Thiers :
« La loi au Pape ».
De là, il écrivit à Joubert :
« Je suis à traiter avec cette prêtraille, et, pour cette fois-ci, saint Pierre sauvera encore la capitale en nous cédant ses plus beaux États »
Le lendemain, il écrivait au Directoire :
« Mon opinion est que Rome, une fois privée de Bologne, Ferrari, la Romagne et des trente millions que nous lui ôtons, ne peut plus exister : CETTE MACHINE SE DÉTRAQUERA TOUTE SEULE. »
Dans cette lettre, se trouve la première éclosion diplomatique de l’idée napoléonienne, que nous verrons poursuivie par Napoléon 1er, puis par Napoléon III, idée identique à l’idée maçonnique. Le 22 septembre, sur le bruit de la maladie du Pape, il prescrivait à son frère Joseph,
« si le Pape venait à mourir, de mettre tout en œuvre pour empêcher qu’on en fît un autre et pour susciter une révolution. »
M. Thiers donne à cette occasion la raison dernière de tout ce qui a été fait depuis un siècle contre la Papauté :
« Le Directoire voyait dans le Pape le chef spirituel du parti ennemi de la Révolution, » c’est-à-dire de la civilisation païenne. Voilà pourquoi le Directoire et son général voulaient qu’il n’y eût plus de Pape. Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon expose ouvertement cette idée fondamentale de la maçonnerie, et comment il avait pensé d’abord la réaliser.
Parlant de ses proclamations aux musulmans, il dit :
« C’était du charlanisme, mais du plus haut… Voyez les conséquences : je prenais l’Europe à revers ; la vieille civilisation demeurait cernée, et qui eût songé alors à inquiéter le cours des destinées de notre France et de la régénération du siècle ? »
Anéantir la vieille civilisation, la civilisation chrétienne, régénérer le siècle à la païenne, et cela, par la France, voilà le mot qui fait pénétrer au fond de l’histoire contemporaine.
Si Napoléon était dans ces pensées, se demandera-t-on, pourquoi rétabli-t-il le culte catholique en France ? Il l’explique dans son Mémorial :
« Quand je relèverai les autels, avait-il dit, quand je protégerai les ministres de la religion comme ils méritent d’être traités en tout pays, le Pape fera ce que je lui demanderai ; il calmera les esprits, les réunira dans sa main et les placera dans la mienne. »
Et ailleurs :
« Avec le catholicisme j’arrivais plus sûrement à tous mes grands résultats… Dans l’intérieur, chez nous, le grand nombre absorbait le petit (protestants et juifs), et je me promettais de traiter celui-ci avec une telle égalité, qu’il n’y aura bientôt plus lieu de connaître la différence. (En d’autres termes, j’arriverais à faire régner l’indifférence en matière religieuse).
Au dehors, le catholicisme me conservait le Pape, et avec mon influence et mes forces en Italie, je ne désespérais pas tôt ou tard, par un moyen ou par un autre, de finir par avoir à moi la direction de ce Pape, et dès lors, quelle influence, quel levier d’opinion sur le reste du monde ! »
Nous verrons la Haute-Vente prendre la suite de cette idée et s’efforcer de la mener à bonne fin. Sur le trône impérial, Napoléon ne perdit pas son point de vue. Nous savions ce qu’il fit pour confondre dans l’esprit du peuple la vraie religion avec les hérésies, en mettant le tout sur le même rang, ce qu’il fit pour arriver peu à peu à supprimer tout culte extérieur, à faire du clergé un corps de fonctionnaires, et même à se passer du Pape pour l’institution canonique des évêques. Tout cela ne pouvait être durable, si l’on ne parvenait point à enlever au Pape son indépendance. Napoléon s’y employa de son mieux.
Le 13 février 1806, il avait écrit à Pie VII ; « Votre Sainteté est souveraine à Rome, mais j’en suis l’empereur. » Deux ans plus tard, le général Miollis s’empare de la Ville éternelle et le 10 juin, Napoléon publie un décret qui réunit tous les États du Pape à l’empire français.
Le 6 juillet, Pie VII est enlevé du Quirinal, tandis que les cardinaux sont internés à Paris ou enfermés dans les prisons de l’État. Prisonnier, lui aussi, le doux vieillard subit le double assaut de la violence et de la fourberie pour obtenir l’annulation du Concordat de 1801, et lui en faire signer un autre où était fait abandon quasi-complet de sa juridiction sur l’Église de France.
Dans le Mémorial de Sainte-Hélène, Napoléon dit qu’en détruisant ainsi le pouvoir temporel des Papes il avait
« bien d’autres vues ».
Parlant de la proposition qu’il avait faite d’un autre Concordat :
« J’avais mon but, dit-il, et il ne le connaissait pas » ; et, après que la signature en eût été arrachée à la faiblesse d’un vieillard épuisé de force et terrorisé :
« Toutes mes grandes vues, s’écrie-t-il, s’étaient accomplies sous le déguisement et le mystère… J’allais relever le Pape outre mesuré, l’entourer de pompes et d’hommages, j’en aurais fait une idole, il fût demeuré près de moi, Paris fût devenu la capitale du monde chrétien, et j’aurais dirigé le monde religieux ainsi que le monde politique. »
Source : Conjuration Antichrétienne Tome 1 – Henri Delassus Docteur en théologie – 1910