Encore aujourd’hui, nous entendons les méchants hurler concernant les abus du pouvoir de l’Église. Outre qu’ils ont été ridiculement, odieusement exagérés par les protestants et par les libres-penseurs, ces abus accidentels étaient, sont et seront toujours plus ou moins inévitables, du moment que les lois sont exécutées par des hommes.
Les quelques erreurs de la justice humaine font-elles que la justice, que les tribunaux sont nuisibles ? S’il fallait supprimer tout ce dont on abuse, il faudrait tout supprimer ici-bas, absolument tout.
Dans l’Église, surtout dans les régions supérieures de l’autorité ecclésiastique, il y a moins d’abus que partout ailleurs ; il y en a aussi peu que possibles. Les hypocrites le savent bien ; mais ils crient, ils calomnient, et il en reste toujours quelque chose. À les entendre, on dirait que l’usage séculaire de la force publique dans l’Église n’a été qu’un enchaînement d’abus, pour ne pas dire de crimes ; on dirait que le Pape et les Évêques, pères de la civilisation chrétienne, n’ont été que des tyrans et des bourreaux, occupés à faire brûler les gens, à faire exterminer les peuples dans des guerres fratricides, à enlever arbitrairement la couronne de la tête des bons princes pour la transporter sur la tête de leurs créatures ; que l’Église ne se présente au monde qu’une torche d’une main et un glaive de l’autre, et que si la société redevenait officiellement catholique, il faudrait commencer par exterminer en masse tous les protestants et tous les incrédules.
Dans tout le cours de l’histoire, on ramasse et on groupe quelques faits isolés, déplorables, et que l’Église a été la première à déplorer ; et on nous les jette incessamment au visage, en nous criant :
« Voilà ce que vous êtes ; voilà ce que vous avez fait ; voilà ce que vous feriez encore si vous étiez les maîtres ! »
C’est absolument comme si, dans une grande campagne militaire, oubliant ou taisant mille glorieuses victoires, on ne mettait en avant que trois ou quatre faits d’armes malheureux ; ou bien si, taisant les noms de quantité de braves, on avait la mauvaise foi de ne citer que quelques traîtres, quelques déserteurs.
Serait-ce juste ? Et voilà pourtant ce que font chaque jour les ennemis de la foi, les historiens, les publicistes de l’école moderne. Ils répètent, en les brodant encore, les vieilles calomnies des gallicans, des parlementaires, des jansénistes, échos eux-mêmes des calomnies luthériennes et calvinistes.
Il serait impossible ici d’examiner en détail la valeur historique, souvent très-contes-table, de ces quelques accusations adressées aux Pontifes Romains, au tribunal de l’Inquisition, à certains princes catholiques, à tel ou tel de nos Saints ou de nos grands hommes, sur leur prétendue cruauté, sur leur intolérance.
Je renvoie pour cela le lecteur de bonne foi aux excellents travaux historiques (en particulier, le beau livre de l’abbé Gorini, intitulé : Défense de l’Église), parfois issus de plumes rationalistes, qui vengent pleinement l’honneur de l’Église.
Ce dont il peut être assuré, c’est que, s’il y a eu, dans l’emploi de la force, quelques excès, quelques abus véritables, ces abus et ces excès ont été, sont et seront toujours condamnés par l’Église, qu’il ne faut jamais confondre avec ceux-là même qui lui sont le plus dévoués.
Tel a été par exemple, le massacre de la Saint-Barthélémy, fait politique plutôt que religieux, cruelle et coupable représaille des atrocités commises par les huguenots dans les guerres de religion ; telles ont été encore, sous Louis XIV, les fameuses dragonnades des Cévennes, elles aussi représailles sanglantes des crimes, des supplices dont les mains des calvinistes se souillaient depuis plus de quarante ans ; et encore y avait-il là, de la part du roi de France, répression de sujets rebelles bien plus que punition d’hérétiques récalcitrants ; tels enfin ont été les excès réels, quoiqu’infiniment exagérés, de l’Inquisition d’Espagne, blâmés hautement par le Saint-Siège, et dans lesquels la politique, non l’Église, sévissait outre mesure.
L’Église est absolument sainte en elle-même ; ses principes et, en particulier, celui qui concerne la légitimité de son pouvoir coercitif, sont absolument vrais et salutaires ; mais les hommes restent des hommes, et toujours ils appliquent imparfaitement les principes, même les plus parfaits.
Disons-le en passant : il y a bien des catholiques, il y a même des ecclésiastiques qui n’ont pas des idées très-exactes et très-saines au sujet de la tolérance religieuse. Cela vient, comme nous l’avons dit, de la faiblesse ou même de l’absence de l’étude du droit canonique.
Non-seulement l’Église est dogmatiquement intolérante ; non-seulement, elle est l’ennemie née de toute erreur, mais en outre sa législation prescrit, en principe et d’une manière générale, l’intolérance civile à l’égard de tous les dissidents ; et cela, au nom des droits imprescriptibles de la vérité, au nom de la liberté des âmes, dans l’intérêt spirituel des fidèles. Au lieu d’être un défaut, cette intolérance est le signe distinctif et nécessaire de la vérité.
Toutefois, comme l’Église est animée de l’esprit de sagesse et de prudence ; comme elle n’a en vue que le bien des âmes, elle sait se relâcher de ses lois et de ses peines disciplinaires pour s’accommoder au temps et au lieu ; et parce qu’elle est mère avant tout, elle incline plus volontiers à la patience qu’à la justice rigoureuse.
S’il y avait abus dans l’Église, en matière de coercition, ne serait-ce pas plutôt dans le sens opposé ? Et s’il y avait quelque excès, ne serait-ce pas, comme quelques-uns ont cru pouvoir le reprocher à certains Papes, à certains Évêques, excès de patience, excès de douceur, excès de condescendance, excès de concessions, toujours dans l’espérance de gagner et de ramener les esprits égarés ?
En général, les gens qui crient le plus fort contre le pouvoir coercitif de l’Église sont précisément ceux qui n’ont pas la conscience nette. Il n’y a guère que les voleurs qui crient après les gendarmes ; comme il n’y a guère que les coquins qui réclament l’abolition de la peine de mort.
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Le plus souvent, les prétendus abus de la force coercitive de l’Église n’en sont que l’usage légitime et salutaire. Le libre exercice du pou voir coercitif est une des libertés les plus essentielles à l’autonomie et à la vie de l’Église. Nos ennemis ne le savent que trop.
Source : Mgr de Ségur – La liberté – 1869