Depuis le règne de Clovis, les chroniqueurs gaulois ont cessé de donner aux chefs bretons le titre de roi et ne leur ont accordé que celui de comte. Cependant, cela ne changeait rien au pouvoir réel de ces chefs envers leurs compatriotes.
Le titre de roi, devenu si prestigieux dans l’Europe moderne, était méprisé par les successeurs de César, qui le réservaient aux chefs des nations sujettes ou fédérées de l’Empire. Mais les princes mérovingiens, qui n’avaient eux-mêmes pas d’autres titres, ne voulaient plus l’attribuer aux puissances subalternes. Ainsi, les rois bretons ne furent plus considérés que comme des comtes, tout comme ils ne voyaient plus que des ducs dans les chefs des peuples germaniques, tels les Allemands, qui avaient toujours été appelés rois par les Romains.
La plupart des historiens ont supposé que Clovis avait conquis l’Armorique bretonne par la force des armes. Or, on ne trouve dans les documents contemporains aucune trace d’une guerre contre les Bretons, et il serait difficile de situer une telle guerre dans le temps. Le seul témoignage historique sur lequel cette supposition se fonde est un passage de Grégoire de Tours qui rapporte que, du temps de Clovis, la ville de Nantes, assiégée par une armée de Barbares, dut sa délivrance à l’intervention miraculeuse des saints martyrs Donatien et Rogatien.
Ce fait semble vrai en soi, mais il ne prouve rien quant à une guerre menée par Clovis, car Nantes n’appartenait pas alors aux chefs bretons et ne leur avait jamais appartenu. Il est possible, bien que peu probable, que cette cité romaine ait tenté de résister aux armes de Clovis. Mais comment admettre que Grégoire de Tours, qui montre partout le roi des Francs protégé du ciel et favorisé par des miracles, ait attribué à une intervention divine un échec subi par le défenseur de la cause catholique ? Lorsqu’on s’imprègne de l’esprit de cette époque, on comprend que ce n’étaient pas les soldats de Clovis qui assiégeaient Nantes.
L’invasion dont parle Grégoire de Tours ne peut être imputée qu’aux Saxons, ces pirates du nord qui, pendant le cours du Vᵉ siècle, ravagèrent les côtes de la Manche et de l’Océan, de la même manière que le nom des Normands allait le devenir plus tard. La ville de Nantes, qui devait être détruite par eux au IXᵉ siècle, eut alors la chance de les voir s’éloigner de ses murs, et il est naturel que, échappant au fer de ces farouches païens, elle ait attribué sa délivrance à un miracle de la bonté divine.
Selon les chroniques bretonnes, la levée du siège de Nantes aurait été due au roi des Bretons-Armoricains, Budic. Son prédécesseur, Eusebius, était mort au moment où les Saxons envahissaient l’Armorique, et il est possible qu’il ait été massacré par ces Barbares. Budic, venu de Grande-Bretagne, attaqua les pirates, commandés par un chef nommé Marchill (que Grégoire de Tours appelle Chillon), les vainquit et les força à se rembarquer après un grand carnage. La coïncidence des deux récits ne permet pas de douter de la réalité de ces faits, qui durent se passer de 507 à 509, pendant les guerres de Clovis contre les Goths.
Cependant, Budic ne tarda pas à payer sa victoire. Peu de temps après la mort de Clovis, vers l’année 511, les pirates du nord revinrent en force sur les côtes de l’Armorique, dévastèrent le pays et s’y installèrent en maîtres. Budic périt en les combattant et son fils Hoël fut forcé de se réfugier en Grande-Bretagne. Il revint l’année suivante, et avec l’aide des Bretons insulaires, il réussit à exterminer les pirates et reprit possession de ces provinces, qu’il gouverna comme ses prédécesseurs sous la suzeraineté presque nominale des fils de Clovis.
À lire aussi | Le baptême par feu Mgr Fulton Sheen
Ces attaques continues des Saxons furent la véritable cause de la faiblesse des Bretons-Armoricains, du peu d’influence qu’ils exercèrent sur les affaires de la Gaule et, par conséquent, de l’obscurité qui a recouvert leur nom et leur histoire. Ils avaient besoin de toutes leurs forces pour défendre les côtes de leur pays et secourir leurs frères de Grande-Bretagne, engagés dans une lutte encore plus désastreuse contre les mêmes ennemis.
C’est pourquoi ils ne purent profiter des troubles de la Gaule pour s’étendre sur le continent. Si, pendant l’usurpation de Grallon, ils occupèrent Rennes et menacèrent Tours, les descendants légitimes de Conan, rappelés au pouvoir, semblent être rentrés dans leurs anciennes limites, car Rennes suivit à la fin du Vᵉ siècle le sort des autres cités romaines de la troisième Lyonnaise. Du temps de Clovis, le territoire des chefs bretons était toujours borné aux cités des Vénètes, des Corisopites, des Osismes et des Curiosolites, représentées par les départements du Finistère et des Côtes-du-Nord.
Les faits historiques montrent de manière authentique que ces limites sont restées les mêmes pendant toute la durée de la dynastie mérovingienne. Au début du VIᵉ siècle, il n’y avait encore sur les terres bretonnes qu’un évêché régulièrement constitué, celui de Vannes, leur capitale. Melanius, évêque de Rennes, connu sous le nom de saint Melaine, était alors le prélat le plus vénéré de toute l’Armorique. Clovis l’appela auprès de lui, lui donna sa confiance et en fit son intermédiaire auprès des chefs bretons. Originaire de Vannes, il exerçait sur ces chefs une influence dont l’auteur de sa vie rapporte des preuves frappantes, et leur soumission volontaire à la suzeraineté du roi des Francs fut sans doute en partie son œuvre.
L’ouest et le midi de la Gaule étant ainsi pacifiés, Clovis quitta Tours et vint établir sa résidence à Paris, dans l’ancien palais des Césars. Toute son attention se portait alors vers le nord où il lui restait beaucoup à faire pour établir solidement son autorité…
Source: Études de l’époque mérovingienne – M. J. de Pétigny