Le Sauveur Jésus disait un jour à Marie Lataste : « Ma fille, vous n’ignorez pas ce qui est dit dans l’Évangile, qu’il est aussi difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le trou d’une aiguille.
Je dis plus encore, les riches n’entreront jamais dans le ciel. J’entends par les riches, ceux qui sont attachés aux richesses et ceux qui les désirent. On peut être pauvre par conséquent et riche néanmoins en son esprit, en ses pensées, en ses désirs. Un homme abrité sous un toit de chaume, dénué de tout, réduit à la mendicité, malgré sa misère peut être riche par le désir qu’il a de ces richesses.
Il s’attache au peu qu’il a, il fait tous ses efforts pour l’accroître et l’augmenter, au moins dans son imagination, s’il ne peut le faire en réalité. Il pense à ce qu’il ferait s’il était riche, et puis, reconnaissant que malgré ses désirs il n’est pas plus avancé, il porte un œil d’envie aux riches et ambitionne de pouvoir agir comme ils agissent. Pauvre en réalité, cet homme est riche par les désirs de son cœur, il ne pense qu’aux richesses, il ne convoite que les richesses, il ne vit que pour les richesses. Cet homme n’entrera jamais dans le ciel.
Le riche qui s’attache à ce qu’il possède, à sa fortune, à ses propriétés, à ses domaines, qui en a l’esprit constamment occupé, qui se procure par ses richesses toutes sortes de satisfactions, tous les plaisirs, toutes les commodités, toutes les aises, tout ce qui peut rendre la vie douce et agréable, qui ne craint pas la prodigalité pour lui-même et qui jamais ne donne un secours au pauvre, celui-là aura part aussi à la malédiction portée contre les riches.
Mais de même qu’il y a des pauvres qui sont riches, de même, je connais des riches qui sont pauvres.
Voyez cet homme, il a des richesses immenses ; il est comblé d’honneurs, environné de gloire, il peut jouir de toutes les commodités de la vie. Que se passe-t-il au dedans de son cœur? Il pense que la véritable richesse c’est Dieu, et il n’est nullement attaché à ses possessions ; il regarde la gloire qui environne son nom comme une vaine fumée, et loin de se laisser éblouir par les flatteries ou les louanges des hommes, il renvoie à Dieu tous les honneurs qu’on lui rend, parce qu’il sent bien qu’il n’est que néant, et que la louange est due à Dieu seul.
Il aime les pauvres, il agit à leur égard avec la plus grande charité ; il les assiste dans leurs nécessités, il est le fidèle économe et dépositaire des biens que Dieu lui a donnés ; il ne craint pas de s’appauvrir par ses largesses envers les pauvres ; il est même prêt à devenir pauvre lui-même, si telle est la volonté du ciel. Il aime les pauvres, il aime aussi la pauvreté, il se prive de toute satisfaction, il supporte les incommodités qui se présentent à lui, attachant son cœur, ses pensées et ses désirs uniquement à Dieu. En vérité, en vérité, je vous le dis, ce riche est véritablement pauvre, et il partagera les bénédictions promises aux pauvres.
Le ciel est pour lui comme pour ce pauvre qui, malgré son dénuement, son indigence est content de son sort et ne profère jamais une plainte. Le ciel est pour lui comme pour ce pauvre qui méprise les richesses pour ne s’attacher qu’aux biens fermes et impérissables de l’éternité, qui plaint les riches, à cause des dangers où ils sont exposés, et qui, loin de leur porter envie, prie au contraire pour eux, afin que Dieu leur accorde la grâce de se sauver. Le ciel est pour lui comme pour ce pauvre qui aime sa pauvreté et se dépouille même de ce qu’il a pour ceux qui sont encore plus pauvres que lui.
Le ciel est pour ce riche comme pour ce pauvre ; car ils ont les mêmes sentiments : ils sont détachés tous les deux des richesses, des plaisirs, des satisfactions de la terre. Ils pratiquent tous les deux la pauvreté avec gaieté d’âme, l’un par nécessité et l’autre volontairement. Ils assistent les pauvres chacun selon leurs facultés. Ils n’ont qu’un seul bien, un seul trésor, une seule pensée, Dieu. Heureux et mille fois heureux ces deux pauvres, le royaume des cieux est pour eux.
Riches ! entrez dans les vues de la Providence. Quand elle vous a donné les biens que vous possédez, elle ne vous les a point livrés pour que vous preniez vos plaisirs, vos commodités, vos aises ; elle vous les a livrés pour que vous en soyez les économes, et les instruments de sa sollicitude envers ceux qui n’en ont point.
Auriez-vous le cœur assez dur, quand vous êtes dans l’abondance, de refuser assistance aux malheureux qui frappent à votre porte quelquefois dans les plus pressants besoins, dénués de tout ou dévorés par la faim? Quelles excuses apporteriez-vous? Les dépenses de vos enfants, l’éducation et l’établissement de vos enfants et mille autres raisons ? Vous dites vrai, les dépenses de vos maisons sont considérables ; mais ne pouvez-vous pas supprimer une grande partie de ces dépenses dans vos festins, dans vos réunions, dans vos soirées, dans vos parures, dans votre suite ?
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Supprimez ces dépenses inutiles, versez alors le superflu dans les mains des pauvres ; vous n’enlèverez rien à l’éclat de votre rang, loin de là ; vous lui donnerez un éclat qui ne frappera pas seulement les yeux des hommes, mais qui pénétrera les cieux. Privez-vous de toutes ces satisfactions inutiles de chaque jour, et vous aurez suffisamment pour secourir les pauvres, et ces pauvres prieront pour vous.
Vous pourrez encore élever vos enfants, leur donner une éducation plus ferme et plus solide, en leur apprenant à marcher sur vos traces dans la simplicité, dans l’amour des pauvres, dans la pratique des vertus. Dieu vous bénira et bénira vos enfants, et il vous facilitera l’établissement de votre famille, et vous la verrez grandir et se multiplier portant avec elle les heureux résultats des bénédictions divines.
Sachez que Dieu ne vous a donné vos richesses que pour secourir les pauvres. Il leur commande de vous tendre la main, il vous commande de leur venir en aide. C’est là, pour vous, un devoir de justice. En faisant cela, vous ne mériterez pas de récompense ; si Dieu veut vous récompenser pourtant, ce n’est que parce qu’il a pris engagement de le faire.
Voilà donc les devoirs du chrétien : il ne doit point s’attacher aux richesses, il ne doit point les désirer. S’il est riche, il doit secourir les pauvres ; s’il est pauvre, il ne doit point ambitionner le bien des riches, mais espérer sur la miséricorde et la providence de Celui qui nourrit les oiseaux des champs. Dieu a bien disposé toutes choses par sa sagesse. Il demandera au riche compte de l’administration de ses biens, il demandera au pauvre compte de sa soumission.
Ne l’oubliez pas, ma fille, les richesses sont l’occasion de la ruine d’un grand nombre. Heureux qui ne succombe pas à la tentation de désirer les richesses ! Heureux qui ne s’y attache pas quand il les possède ! Heureux qui ne veut, ne désire, ne cherche, ne convoite d’autres biens que ceux de l’éternité ! »
Source : La vie et les oeuvres de Marie Lataste – 1866