Nos bons compagnons les Saints Anges. Il n’y a, à proprement parler, qu’une seule affaire, qui est l’affaire des affaires, la seule grande et unique affaire, et c’est l’affaire de l’éternité.
Tout ce qui ne tend pas là, n’est rien ; et c’est de la manière qu’il en faut penser, et qu’il en faut parler. O que les honneurs , les plaisirs et les biens de ce monde périssable sont donc à mépriser ! O que tout ce qui passe est indigne de l’occupation d’une âme chrétienne ! En vérité, en vérité, tout le monde, et tout ce que le monde a de plus doux, ou de plus affligeant, ne mérite pas que nous nous détournions un moment pour le regarder.
Que nous verrons clairement ces vérités au moment de notre mort, et que nous les verrons dans peu ; car nous serons bientôt étonnés qu’il n’y aura plus de monde pour nous ! O la folie du cœur humain de s’y arrêter ! Plût à Dieu que cette vérité de l’Écriture ne partit jamais de devant nos yeux ! Le monde passe, et sa convoitise ; et que nous entendissions, une bonne fois, que tout ce qui passe ne doit point avoir de place dans nos cœurs.
L’éternité est la seule chose qui nous doit remplir l’esprit ; et les services que l’on nous rend pour y arriver heureusement, sont les grands services que nous devons considérer. C’est ici que l’amour des Anges est tout triomphant ; c’est en ce sujet qu’ils montrent bien qu’ils sont nos véritables amis, et que les secours qu’ils nous donnent sont tout à fait à estimer.
Ces bienheureux esprits s’appliquent avec un zèle incroyable à nous procurer la vie de la grâce, qui est la vie de glorieuse éternité. On les a vus pour ce sujet presser amoureusement des hommes apostoliques, pour aller annoncer l’évangile aux peuples qui marchaient dans les ombres de la mort ; comme il paraît en saint Paul, et en saint François Xavier : et dans cette vue, ils ont bien même voulu accompagner les ouvriers divins, qui travaillaient à établir la vie de l’éternité dans les âmes : comme il est rapporté de saint Martial, qui avait pour compagnons de ses fonctions apostoliques, douze Anges qui l’assistaient visiblement.
Combien d’âmes reçoivent le saint baptême par leurs charitables soins, qui seraient mortes dans la mort du péché originel sans leur ministère. Le père de Loret de la compagnie de Jésus, rapporte sur ce sujet un exemple bien remarquable.
Au mois de janvier de l’an 1634, en la ville de Vienne en Autriche, trois âmes délivrées du purgatoire apparurent à un religieux de la même compagnie, pour le remercier de ce que, par ses prières et par ses mortifications, elles allaient jouir du repos éternel. Le jour de votre naissance, lui dirent-elles, nos bons Anges nous en apportèrent la nouvelle, et nous promirent que vous seriez un jour notre libérateur ; ce qui nous consola fort.
Au reste, sachez que vous êtes bien obligé à votre Ange gardien, parce que sans lui, vous n’eussiez pas reçu le baptême : la sage-femme vous avait tellement serré la poitrine et la gorge, que vous eussiez été suffoqué, si cet aimable guide n’eut lâché quelque peu de langes pour vous donner la liberté de respirer.
Ces aimables esprits ne se contentent pas de nous procurer cette vie bienheureuse ; mais comme des mères toutes pleines d’amour, ils ont tous les soins possibles de nous la conserver, de l’entretenir et de l’augmenter : c’est pourquoi ils s’appliquent si amoureusement à nous faire recevoir le corps adorable de notre bon maitre, qui est la vie de nos vies, et sans lequel nous ne pouvons avoir de véritable vie.
Combien de fois ont-ils porté ce sacrement vivifiant du corps de Jésus-Christ, dans les déserts, ou en d’autres lieux, pour conserver et accroître la vie des âmes à qui ils le donnaient ! Le bienheureux Stanislas, novice de la compagnie de Jésus, d’une pureté angélique et un Ange de la terre, a été honoré de ces faveurs : et saint Onufre nous fournit en sa personne un illustre témoignage de cette vérité.
Ils n’oublient rien de tous les autres moyens qui peuvent nous servir pour notre établissement éternel. L’oraison est l’un des plus assurés et des plus utiles ; c’est par leur ministère que nos prières sont présentées devant le trône de la divine majesté : et entre tous les exercices de la vie spirituelle, il n’y en a point où ils nous soient plus présents pour nous y secourir.
La mortification est la sœur germaine de l’oraison ; elles doivent être toujours ensemble, et ne pas se séparer. Que n’ont pas fait ces saints esprits, et que ne font-ils pas continuellement pour nous mettre solidement dans la pratique de cette vertu, qui est tellement nécessaire, que sans elle l’on ne peut rien attendre d’une âme ; car il est assuré que pour être véritablement chrétien, il faut être véritablement mortifié.
Ils ont paru plusieurs fois visiblement pour en faire des saintes leçons, et ils en ont donné des instructions dignes de leurs lumières. Ils sont aussi saintement occupés à nous inspirer l’amour de toutes les autres vertus, et particulièrement l’amour de la pureté virginale, car elle nous rend semblables à eux : elle nous fait leurs frères, dit saint Cyprien ; elle nous fait entrer plus intimement dans leur sainte amitié.
Que ne font-ils pas pour la défendre : ils donnent des combats, ils se travestissent, ils font mourir ceux qui l’attaquent, ils rendent invisibles les personnes qui la possèdent, pour les délivrer du péril ; ils changent tout en la nature, pour conserver une vertu qui, élevant l’homme au-dessus de l’homme, lui fait mener en terre une vie toute céleste.
Mais enfin, leurs grands soins vont à donner de l’amour pour l’aimable Jésus, et l’aimable Marie. Comme ils savent que l’amour de ces sacrées personnes est l’âme de toutes les vertus, ils s’attachent fortement à le bien placer dans les cœurs. Saint Dominique a été l’un des plus fervents amants de Jésus et de Marie qui ne fut jamais, aussi était-il le bien-aimé des Anges.
Il en recevait toutes sortes de secours durant ses longues veilles de la nuit, qui le tenaient attaché aux pieds des saints autels pour y répandre son cœur, et soupirer à l’aise, en la présence de son bon maître, au très-saint Sacrement de l’Autel, y invoquant avec larmes la protection de la très-sacrée Vierge. Quelque las qu’il pût être quand il allait par le chemin, il ne se lassait jamais de veiller les nuits en prières, et il tâchait de faire son possible à ce que ce fût devant l’adorable Eucharistie.
Les Anges ravis de cet amour infatigable se mettaient de la partie. Ces esprits du ciel prenaient plaisir de se joindre à cet homme céleste. On les voyait venir avec des flambeaux, le prendre à la chambre où il s’était retiré, ouvrir les portes de la maison, et ensuite de l’église où ils le conduisaient ; et puis, quand il était temps, le reconduire en la même manière.
Les domestiques d’un évêque, chez qui il était logé, s’étant aperçus de cette merveille, ils le témoignèrent à leur prélat, qui, ayant épié le saint homme vers le temps que cette merveille arrivait, il eut la consolation d’en être le spectateur, et il eut lieu d’admirer la bonté des esprits célestes envers les hommes. Mais parce qu’il est nécessaire, pour la pratique de la vertu, d’avoir l’esprit éclairé, et la volonté touchée, ils ne manquent pas de donner des lumières à l’entendement, et de pieux mouvements au cœur, éclairant l’entendement quelquefois, et touchant la volonté, par la manifestation de quelques vérités cachées sous des similitudes sensibles ; mettant dans l’imagination quantité de saint objets qui produisent de bonnes pensées, agissant sur les sens extérieurs et intérieurs, remuant les esprits et les humeurs de nos corps, et excitant de salutaires impressions dans l’appétit sensitif.
Ils révèlent les plus divins mystères de la religion. C’est par eux que la loi ancienne a été donnée, et les plus grandes vérités de la nouvelle manifestées. Toute l’ancienne loi est pleine de révélations faites par les saints Anges ; et dans la nouvelle, ils ont annoncé à la glorieuse Mère de Dieu le mystère adorable de l’Incarnation, aux pasteurs la naissance du Fils de Dieu, à saint Joseph la Conception du Verbe incréé dans les pures entrailles de sa virginale épouse, et le lieu où il devait mener le saint Enfant, pour le délivrer de la persécution d’Hérode ; aux Maries, la Résurrection de notre Sauveur ; aux disciples, sa venue redoutable au dernier jour du jugement.
Ils pensent de plus, et n’oublient rien pour nous préserver du péché, ou pour nous en délivrer quand nous y sommes tombés ; tantôt par des vues puissantes du paradis, ou de l’enfer, ou de l’éternité ; tantôt par la considération des effets funestes qui suivent le crime ; quelquefois par de fortes pensées de la mort, de la brièveté de la vie, d’autres fois par les exemples des Saints, ou par la punition des pécheurs.
Ces lumières, qui quelquefois nous ouvre subitement les yeux de l’âme aux plus grandes vérités, ces mouvements inopinés, qui nous surprennent lorsque nous y pensons le moins, et qui nous touchent si efficacement, nous arrivent par le ministère des bons Anges. Il y a des moments heureux où l’on se trouve le cœur étrangement pressé d’être à Dieu, sans cependant en savoir la cause, et même au milieu d’une récréation, d’un divertissement, d’un festin et en de certaines rencontres, dans le temps même que l’on est résolu de se laisser aller au crime : ce sont les Anges qui font ces grands coups de salut, si l’on en veut faire bon usage ; nous obtenant de la miséricorde de Dieu de fortes grâces, et faisant de leur part des merveilles dans nos sens intérieurs et extérieurs, réprimant nos passions, éloignant les empêchements à l’usage de la grâce, terrassant les démons, et nous facilitant tous les moyens propres pour nous rendre fidèles aux attraits de l’esprit de Dieu.
Ils nous découvrent les grandes et petites fautes, ils font voir les imperfections, ils manifestent les oppositions les plus cachées que nous avons à l’esprit de la grâce, ils nous portent à la pénitence, à faire une bonne confession, à satisfaire à la justice divine ; et souvent, ils ont pris des corps pour paraître visiblement, et par ce moyen pouvoir entretenir les hommes d’une manière plus sensible de l’affaire de leur salut.
Enfin, ils nous animent et nous donnent courage dans les choses difficiles. Ils nous consolent dans les travaux et dans les souffrances ; ils nous soutiennent pour nous faire persévérer dans la vertu : ils nous obtiennent de la force dans les peines d’esprit, et parmi les scrupules : ils nous conduisent dans les voies les plus obscures : ils relèvent nos esprits abattus : ils donnent de la joie, et procurent cette paix qui surpasse tout sentiment, mettant le fond de l’âme, parmi même tous les orages et toutes les tempêtes qui s’élèvent contre son gré dans la partie inférieure, dans une tranquillité que rien ne peut troubler.
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C’est le propre de ces esprits de donner de la joie et de la paix : aussi voyons-nous que saint Raphaël, saluant le jeune Tobie, lui désire une joie continuelle, et en le quittant, il lui souhaite la paix : il ne tient pas aux saints Anges qu’elle ne règne dans l’intime de nos âmes, mais l’attache aux choses créées nous en empêche.
Pour être toujours dans la paix, il faut toujours être à Dieu seul.