C’est à tort qu’on désigne parfois le racisme allemand ou autre par le terme nationalisme. Ni la bienveillance et encore moins la confusion des idées ne peuvent en fournir l’excuse.
On n’appelle pas le vice vertu ni le concubinage chasteté. En outre, le mot racisme ne désigne pas tant un sentiment, qu’une philosophie sociale et politique. S’il désignait le sentiment national, il ne serait pas condamné, celui-ci étant aussi naturel et aussi légitime en Allemagne qu’ailleurs.
Pour autant qu’il nous est possible de démêler tous ces aspects, nous croyons saisir que le nationalisme est un phénomène humano-social, indifférent à être justifié et orienté par telle ou telle philosophie. S’il est incorporé à une philosophie qui a pour postulat la supériorité de la race, il dégénère en racisme ; si, par contre, il est intégré à une philosophie spiritualiste et rationnelle, il demeure du nationalisme.
Alors, il ne lui reste plus qu’à devenir renforcement vertueux des énergies volontaires pour devenir patriotisme. On se plaît d’ordinaire à déceler dans le racisme un reliquat de paganisme. Il est commode de porter au compte de celui-ci toutes les aberrations de notre société présumée chrétienne. Mais est-il si sûr que les païens accordaient à la matière une supériorité sur l’esprit et au politique une primauté sur le religieux ? Sans doute, les Grecs, s’en remettant à une légende ancienne, se croyaient autochtones, déposés au cœur de l’Hellade par le soin des dieux, et partant se considéraient comme des surhommes.
On rencontre des traces de cette croyance dans les Politiques d’Aristote. On pourrait peut-être en dire autant des habitants de l’Inde, de la Chine, et du Japon. La légende des origines de ce dernier est particulièrement gracieuse. D’autre part, n’ayant aucune perspective sur les destinées surnaturelles de l’homme, le païen jugeait tout du point de vue temporel, reléguant au domaine du mystère la question de la survivance dans l’au-delà.
Il estimait que le seul milieu où l’homme puisse pratiquer une religion censée et s’adonner au culte de la sagesse était la cité, l’homme de la forêt étant condamné à croupir dans l’ignorance et à être en proie à la superstition. La Cité constituait donc une sorte de sommet, le meilleur lieu où devenir homme et se préparer à passer dans la demeure des dieux. Et si l’on proclamait parfois la religion nécessaire au maintien des bonnes mœurs, cela n’implique pas qu’on la subordonnât au gouvernement temporel.
L’existence de la Cité se déroulait, remplie d’appréhensions et de respects, sous la protection d’une divinité ombrageuse. Enfin, on ne perd pas son temps à démontrer que Socrate, Platon et Aristote ont accordé à l’esprit une suprématie tyrannique sur la matière. C’est un lieu commun battu et rebattu de longue date. Toutefois, pour un écrivain qui ne sait pas faire le départ entre l’ordre naturel et surnaturel, entre le nécessaire et le gratuit, il y a un danger réel à transporter, sans préalablement opérer les transpositions de rigueur, les théories aristotéliciennes dans notre monde chrétien, où la cité ne dispose plus des valeurs suprêmes, où un atome de grâce prévaut sur tous les biens moraux et culturels.
Ainsi, Charles Maurras, n’étant pas chrétien, a été victime de ce péril. Il a osé subordonner le catholicisme à la civilisation méditerranéenne, le réduisant au rôle inférieur d’instrument de culture. Le catholicisme ne s’est pas révélé à lui une fin souveraine, par la saisie de laquelle l’individu passe dans le plan divin, mais il lui est apparu comme un excellent moyen d’aménager un milieu terrestre de qualité supérieure. En parcourant ses œuvres, on a l’impression qu’il n’y a pour lui qu’un absolu, la civilisation méditerranéenne, l’homo mediterraneus, et que tout doit s’y subordonner.
« Un vrai nationaliste, écrit-il, place la patrie avant tout ; il conçoit donc toutes les questions politiques pendantes dans leur rapport avec l’intérêt national. »
Nous n’avons pas l’intention de résumer ici ses doctrines. Cela a déjà été fait dans Pourquoi Rome a parlé. Cependant, nous croyons pouvoir sans injustice soutenir que ses principes conduisent à la mobilisation des valeurs humaines et divines au servage du national. Cette inversion de l’ordre objectif est grosse d’une hérésie ; en conséquence ses écrits ainsi que le mouvement politique qui se modèle sur eux furent condamnés.
Le racisme descend infiniment plus bas. En présence du dualisme inhérent à l’être humain, il opte pour la matière : en ce sens que, poussant trop loin l’interférence des ordres, il lui accorde une priorité de gouvernement. Étendant le déterminisme qui régit l’ordre physiologique au plan de l’activité intellectuelle, morale et artistique, il aboutit à l’hégémonie de la chair et du sang. Il rend le complexe physiologique, la race quoi ! justiciable des tares ou des qualités de l’esprit.
Au lieu de distinguer, comme nous le faisons, l’ordre d’être, gouverné par la nécessité physique et physiologique, de l’ordre d’opération, gouverné par l’ordre de la raison et de la liberté spirituelle, il confond tout dans un même plan, il unifie toutes nos tendances en les réduisant sans merci à l’état de sujétion vis-à-vis la loi de l’hérédité et du sang.
Il supprime de la sorte le dualisme et réalise par en bas une unité trop rigide pour convenir à un être libre. Il va sans dire qu’il abolit du même coup la suprématie de l’esprit et de la grâce.
« La science biologique et médicale, écrit le Dr Walter Grosz, nous a enseigné, dans les dernières trente années, que l’homme est bien plus fortement déterminé dans sa valeur corporelle que psychique, par son hérédité propre que par toutes les mesures extérieures, qu’elles concernent l’alimentation, le sport ou l’éducation«
Hitler lui-même n’y met pas plus de nuances :
« Toutes les méthodes d’éducation de l’État raciste devront avoir pour but dernier d’inculquer dans le cœur et le cerveau de la jeunesse le sens et l’instinct de la race. Aucun garçon, aucune fille ne doit quitter l’école sans être convaincu de la nécessité de la pureté du sang. D’ailleurs, cette éducation du point de vue raciste doit recevoir son plein achèvement dans le service militaire » Extrait de Mem Kantpf.
L’idéal raciste ne consiste pas à rechercher l’ennoblissement par la conquête des valeurs spirituelles, mais à revenir, par des procédés de sélection, à la pureté matérielle des origines. Étant donné que notre vie spirituelle est déterminée par les ondes du sang, il est de souveraine importance de purger celui-ci des scories étrangères. L’origine des peuples européens, celle du peuple allemand en particulier, est passablement perdue dans le recul des âges, mais à l’aide de la sociologie et des savoirs annexes on peut sûrement réussir à fouiller les ascendances et à n’y découvrir que de l’aryen.
Alors l’idéal concret du racisme est le retour en aryanisme, le retour aux caractères de celui-ci, à ses coutumes, à ses croyances, à son culte, à ses vertus, etc. Ceux qui se plaisent, par un triste travers d’esprit, à tirer avantage des confusions pour mieux fustiger leurs compatriotes et brandir l’anathème sont libres d’appeler cela du nationalisme ; nous, nous n’y voyons que matérialisme cru.
Nous respectons l’amour qu’ont les Allemands de leur pays et nous souhaiterions les imiter, mais nous répudions tout cet affublement d’hérésies contre la raison et contre la foi chrétienne. Cet orgueil de race incommensurable, cette suffisance froide, attentatoire à l’égalité chrétienne, à la justice et à la charité, nous répugnent, comme ils répugnent du reste aux Allemands catholiques eux-mêmes.
Nous éprouvons trop vivement un immense besoin d’amour et de rédemption pour attribuer tant d’efficace à notre misérable sang. Il ne faudrait pas conclure de là que nous méconnaissons la valeur des facteurs ethniques, leur rôle dans le développement de la civilisation et dans l’expansion du christianisme.
Nous avons trop conscience de l’orientation contenue dans les dispositions naturelles des individus et des peuples, dans leurs goûts et leurs aptitudes, pour donner dans cet excès de prudence. Nous savons trop bien aussi que Dieu ne crée pas l’homme pur, ni même l’âme en général, mais qu’il s’est associé les causes secondes et qu’il supporte leur mode imparfait et individué de coopérer.
Mais nous avons également appris que le spirituel en nous procède immédiatement de Dieu, pur esprit, principe d’où découle le souffle animateur de toute chair. Il est sans doute forcé de faire l’âme que peut soutenir notre organisme, celle qui s’ajuste rigoureusement à lui, mais il la fait spirituelle et indépendante du corporel dans ses opérations propres.
À lire aussi | Sainte Hildegarde et ses correspondances avec les Rois
Cela apparaît clairement, dès qu’on a aperçu l’irréductibilité radicale qu’il y a entre les lois du logicisme et de la liberté d’une part, et celles de la biologie et de la physiologie d’autre part. L’esprit transcende la matière, la domine, l’utilise à ses fins, et surtout possède la merveilleuse prérogative de modifier ses tendances, de les enrichir d’habitudes, de les soumettre à demeure à ses ordres.
L’esprit n’a pas le pouvoir de changer la qualité de l’organisme corporel, mais il a celui de le faire concourir à la poursuite de son idéal. Cela ne va pas sans efforts, mais s’il est aidé par la puissance de la grâce, il dépasse son propre idéal et rejoint celui du Rédempteur. Et c’est ainsi que, selon le plan rationnel et chrétien, l’unité de l’individu s’opère par en haut et non par en bas..
Source : Nationalisme et Religion – R. P. Louis Lachance – 1935