Saint Augustin, dans son ouvrage la Cité de Dieu, répond à quelques questions des païens concernant cette résurrection de la chair avant le jugement dernier.
Objections des Païens contre la Résurrection de la Chair
Mais, pressant de questions et de railleries notre foi à la résurrection de la chair, les païens nous demandent si les fruits abortifs doivent ressusciter.
Et comme le Seigneur a dit :
« En vérité, je vous le déclare, il ne périra aucun cheveu de votre tête ; »
Ils demandent si la taille et la force seront égales en tous, ou si les corps seront de différentes grandeurs ? Car s’il y a égalité entre les corps, d’où ces fruits abortifs, en ressuscitant, auront-ils ce qu’ils n’ont pas eu ici-bas ? Ou s’il ne doit pas y avoir là résurrection parce qu’il n’y a pas eu naissance, ils agitent la même question à l’égard des petits enfants ; morts en naissant, d’où leur viendra ce développement corporel qui leur manque aujourd’hui ?
Car nous n’irons pas nier la résurrection de ceux qui non-seulement ont la faculté de naître, mais encore celle de renaître. On demande ensuite quel sera le mode de cette égalité universelle. Les plus grandes, les plus hautes tailles d’ici-bas seront-elles désormais la mesure commune ?
Alors ce n’est pas les enfants seuls, c’est le plus grand nombre des hommes que regarde cette question : Si chacun doit recouvrer ce qu’il eut ici-bas, d’où viendra donc à la plupart des hommes ce qui dès ici-bas leur aura manqué ?
Si d’ailleurs selon la parole de l’Apôtre, nous devons tous atteindre « à la mesure de l’âge parfait de Jésus-Christ, » si Dieu « nous a prédestinés conformes à l’image de son Fils, » en ce sens que la taille et la mesure du corps de Jésus-Christ deviendront la taille et la mesure corporelle de tous ceux qu’il réunira dans son royaume ; alors, disent-ils, il faudra retrancher de la stature et des proportions d’un grand nombre ; et que devient désormais cette parole : « Il ne périra pas un cheveu de votre tête, » si la grandeur des corps doit souffrir de telles pertes ? Bien que l’on puisse demander, au sujet des cheveux mêmes, s’il doit revenir tous ce que les ciseaux du barbier auront retranché.
S’il est ainsi, qui ne frémirait d’une telle difformité ? Car il suit qu’aussitôt les ongles recouvrent tout ce qu’ils ont perdu aux soins que notre corps réclame. Et où sera la bienséance qui assurément doit être tout autre dans l’immortalité future que dans la corruption présente? Mais si tout cela ne revient pas, tout cela périra donc? Et comment alors est-il vrai que pas un cheveu de la tête ne doit périr ?
Semblable objection sur la maigreur et sur l’obésité. S’il y a égalité, il n’y a plus ni obésité, ni maigreur. Il y aura donc accroissement pour les uns, diminution pour les autres. Et partant, l’on ne restitue pas, là, mais l’on ajoute ce qui n’était pas ; ici, l’on retire ce qui était.
Quant à la corruption et à la dissolution des cadavres dont une partie retourne en poussière et l’autre s’évapore ; les uns devenant la proie des bêtes ou des flammes, les autres engloutis par les naufrages et leurs chairs s’écoulant en corruption liquide ; c’est encore pour les païens une difficulté grave ;
Que cette corruption, que cette poussière se reforme et redevienne chair, ils ne le croient pas. Ils s’attachent encore à tout défaut corporel, soit d’accident, soit de naissance ; et citant avec horreur et dérision les enfantements monstrueux, ils demandent quel doit être pour ces monstres le mode de résurrection.
Car s’il nous arrive de répondre que le corps de l’homme se relèvera libre de toute ignominie, ils s’imaginent nous réfuter par les plaies de notre Seigneur Jésus-Christ, que nous déclarons ressuscitées avec lui. Mais voici, entre toutes, la plus difficile question que l’on propose :
À qui doit revenir la chair de l’homme, dont les entrailles de l’homme, que la faim dévore, ont fait leur pâture ? Cette chair, elle s’est faite la propre substance de celui qui l’a dévorée ; ces vides que montrait la maigreur, elle les a comblés. Reviendra-t-elle à l’homme dont elle fut d’abord la chair, ou à celui dont elle est devenue l’aliment ?
Telle est l’objection qu’ils élèvent pour livrer au ridicule la foi de la Résurrection, et promettre à l’âme humaine, soit avec Platon, une éternelle vicissitude de véritable misère et de félicité trompeuse, soit avec Porphyre, après un grand nombre de migrations en divers corps, un terme définitif à ces misères, non par l’immortalité corporelle, mais par la fuite do tout corps.
Les enfants morts dans le sein de leur mère doivent-ils ressusciter ?
À ces objections que je viens de me proposer de la part de nos adversaires, la miséricorde de Dieu, secourable à mes efforts, me permettra de répondre. Ces fruits abortifs qui meurent dans le sein maternel où ils ont vécu, doivent-ils ressusciter ?
Je n’ose ni l’affirmer ni le nier. Bien que je ne voie pas pourquoi ils ne seraient point intéressés à la résurrection des morts, s’ils ne sont pas exclus du nombre des morts. Car, ou les morts ne doivent pas tous ressusciter, et quelques âmes humaines demeureront éternellement sans corps, qui ont eu des corps humains dans les entrailles maternelles, là seulement, il est vrai ; ou les âmes humaines recouvreront leurs corps appelés à la résurrection, où qu’elles les aient eus pendant leur vie, où qu’elles les aient laissés à la mort, et je ne trouve rien à dire contre la résurrection de quelques trépassés que ce soient, de ceux mêmes qui sont morts dès le sein maternel.
Mais quelque sentiment qu’on ait à cet égard, encore faut-il leur appliquer, s’ils ressuscitent, ce que nous allons dire des enfants déjà nés.
Les enfants ressusciteront-ils tels qu’ils sont morts ?
Que dirons-nous donc des enfants, sinon qu’ils ne doivent pas ressusciter dans cette petitesse de corps où la mort les a surpris ? Mais l’accroissement plus tardif que le temps leur eût donné, ils le recevront soudain par un miracle de la puissance divine.
Car cette parole du Seigneur : « Il ne périra pas un cheveu de votre tête , » affirme qu’il ne nous manquera rien de ce que nous avons eu, mais elle ne nie pas qu’il ne nous soit rien ajouté de ce qui nous manquait.
Ce qui manque à l’enfant quand il meurt, c’est le parfait développement de son corps : à l’enfant parfait, manque la perfection de la taille qu’il doit atteindre ; terme où la croissance s’arrête. Or, cette mesure de leur développement, tous l’ont dans la conception même et dans la naissance ; mais ils l’ont en puissance et non pas en matière : c’est ainsi que les membres eux-mêmes sont contenus dans la semence, quoique plusieurs manquent aux enfants déjà nés, comme les dents et autres organes semblables.
C’est dans cette vertu inhérente à l’essence matérielle, que réside pour ainsi dire, à l’état rudimentaire, ce qui n’est pas encore, ou ce qui est latent, et que le progrès de l’âge doit amener ou manifester. C’est en elle que l’enfant est déjà petit ou grand, qui doit être un jour petit ou grand. C’est, suivant elle, qu’aucun préjudice corporel, n’est à craindre pour nous dans la résurrection corporelle.
En effet, dût l’égalité appeler tous les hommes à une taille gigantesque, ceux qui ont été géants ici-bas ne perdraient rien de leur taille première ; car ce serait un démenti à la parole de Jésus-Christ qui a déclaré que pas un cheveu de la tête ne périra ; et puis le Créateur qui a tout créé de rien, pourrait-il être au dépourvu, et saurait-il en vain, admirable Artisan, ce qui lui reste à faire ?
Les proportions du corps du Seigneur seront-elles la mesure des corps ressuscités ?
Mais Jésus-Christ est ressuscité dans les proportions corporelles où il est mort, et il n’est pas permis de dire qu’au jour de la résurrection universelle, son corps, pour égaler les plus hautes statures, doive atteindre à une grandeur qu’il n’avait pas quand il apparut à ses disciples sous la forme qui leur était connue.
Dirons-nous que les corps les plus grands seront réduits à la mesure du corps du Seigneur ? Alors, il sera beaucoup retranché des corps de plusieurs, bien que le Seigneur lui-mème nous ait promis qu’il ne périra pas un cheveu de notre tête.
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Reste donc que chacun reprenne la taille qu’il eut dans sa jeunesse, quoique mort au déclin de l’âge, ou qu’il aurait eu, si la mort ne l’eût prévenu. Quant à cette mesure de l’âge parfait de Jésus-Christ dont parle l’Apôtre, ou il faut l’entendre autrement, c’est-à-dire que ce chef mystique des peuples chrétiens trouvera, dans la perfection future de tous ses membres, la mesure accomplie de son âge ; ou bien si cette parole désigne la résurrection des corps, il faut l’interpréter en ce sens que les corps ne ressusciteront ni au-dessus ni au-dessous de la jeunesse ; mais dans l’âge et la force où nous savons que Jésus-Christ est arrivé ici-bas.
Car, suivant les définitions des plus savants hommes du siècle, la jeunesse est environ à trente ans ; au-delà de cette période, l’homme commence à descendre la vie. Aussi n’est-il pas dit à la mesure du corps ou de la taille, mais « à la mesure de l’âge parfait de Jésus-Christ. »
Source : La Cité de Dieu de Saint Augustin – Par L Moreau – 1845