Voyons les signes de la mission de Sainte Jeanne D’Arc, qui, dans le peuple et dans le clergé et même hors de France, on se disait les signes qui avaient accompagné la naissance de la Pucelle et les prophéties qui en avaient été faites.
Plusieurs voyaient la prédiction de l’année où elle serait donnée à la France désespérée dans ces vers du Vénérable Bède, un saint docteur anglais dont le nom est inscrit au calendrier liturgique et dont l’Église fait la fête chaque année.
« Vi cum vi Chalybis ter septem se sociabunt, Gallorum pulli tauro nova bella parabunt. Ecce beant bella, tunc fert vexilla puella… »
(Ils s’uniront trois fois à la force de l’Acier sept fois, et les jeunes des Gaulois prépareront de nouvelles guerres avec un taureau. Voici le beau beant, puis la fille porte le drapeau)
1429 est l’année où Jeanne se mit à l’œuvre qui lui était imposée par ses Voix.
Le grand inquisiteur Jean Bréhal, chargé par la commission apostolique du procès de réhabilitation de Jeanne publia sous le nom de Recollectio le plus complet des Mémoires insérés dans l’instrument du procès vengeur. Il y rappelle la prophétie de Bède, puis il dit :
« On raconte qu’avant l’arrivée de la Pucelle, un habile astrologue de Sienne, du nom de Jean Monlalein avait écrit au roi notre sire, les paroles suivantes :
« Votre victoire sera dans le conseil d’une vierge ; poursuivez votre triomphe sans interruptions jusqu’à la ville de Paris. »
Merlin, prophète anglais, continue Jean Bréhal, a écrit les strophes suivantes :
« Du bois Chenu sortira la Pucelle qui apporter le remède aux blessures. Dès qu’elle aura abordé les forteresses, de son souffle, elle desséchera les sources du mal. Des ruisseaux de larmes couleront de ses yeux ; elle remplira l’île d’une horrible clameur ».
Cette prophétie donne d’abord le lieu d’origine de la Pucelle, le bois Chenu, c’est-à-dire, on la verra naître près de la lisière de ce bois. Or, de la porte de la maison paternelle de Jeanne on voit le bois Chenu ainsi qu’il est dit au procès.
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Le remède aux blessures du royaume abattu a commencé à être apporté par Jeanne qui l’a rendu à la santé lorsque, au commencement de sa légation elle vint vers le roi et les grands de la France (arces) ; ou bien lorsque, au milieu des prélats et des docteurs remplis de sagesse, elle subit à Poitiers un long et rigoureux examen ; ou encore lorsque, les armes à la main et pleine d’intrépidité, elle attaqua les principales villes du royaume (anglo-bourguignon), leurs forteresses, comme à Orléans et à Paris; ou peut-être lorsque, avec les grands et avec une armée nombreuse, elle conduisit avec tant de bonheur, au milieu des ennemis, le roi à Reims pour l’y faire couronner.
Par son souffle, c’est-à-dire par ses véhémentes objurgations, elle desséchera les sources du mal, tançant les artisans de trahison, les privant de son amitié et de sa faveur.
Des larmes de compassion couleront par ruisseaux de ses yeux. Elle pleurera constamment sur les maux du royaume et des Français, très compatissante pour les pauvres et même pour les ennemis humiliés. Elle remplira l’île dune affreuse clameur. Le bruit de sa renommée victorieuse bouleversa la nation anglaise tout entière, qui craindra d’engager la bataille sous ses yeux.
Le reste de la prophétie de Merlin caractérise le jeune roi d’Angleterre et la joie de la Normandie lorsqu’elle sera délivrée.
Le digne fils de saint Dominique fait suivre celle prophétie et son explication de ces observations :
« Il ne faut pas entièrement dédaigner ces vaticinations; les prophéties de ce Merlin ne sont pas sans renom.
Sigebert a écrit :
« Merlin a dévoilé bien des choses obscures. Le Saint-Esprit est bien le maître de révéler ses secrets à qui il lui plaît ; ainsi qu’il l’a fait par la Sibylle, par Balaam et semblables personnages ».
Voici une autre prophétie également rapportée et commentée par le grand inquisiteur, Jean Bréhal. C’est celle d’Engélide, fille du roi de Hongrie :
« O lis insigne, arrosé par les princes, le semeur te plaça dans un délectable verger, au milieu de vastes campagnes. Sans cesse fleurs et roses d’un merveilleux parfum te forment ceinture.
Le lis est dans la stupeur, le verger dans l’effroi. Des animaux divers, les uns étrangers, les autres nourris dans le verger, s’amusant cornes à cornes, ont presque suffoqué le lis. II s’étiole par sa propre rosée; on le resserre, on lui arrache une à une ses racines ; ils croient l’anéantir de leur souffle d’aspie.
Mais voici la Vierge originaire du lieu d’où se répandit le brutal venin. Elle est distinguée par un petit signe rouge qui émerge derrière son oreille droite. Son parler est lent ; son cou est court. Par elle ils seront ignominieusement bannis du verger ; elle donnera aux lis des courants rafraîchissants ; elle chassera le serpent ; elle montrera où est le venin. Par elle le gardien du lis, Charles, fils de Charles sera consacré à Reims d’un laurier fait d’une main non mortelle.
Autour se soumettront des voisins turbulents ; le peuple criera :
» Vive le lis, loin la brute (le léopard) ; fleurisse le verger ». Et le lis fleurira pendant longtemps « . »
Le verger, explique Bréhal, c’est la France ; le lis, son roi ; les bêtes étrangères, les Anglais ; celles nourries dans le verger, les fauteurs de guerre civile. Le savant dominicain ne va guère plus loin dans son explication. Ne peut-on point ajouter que le Semeur qui plaça le lis dans le délectable verger, c’est Dieu ; que les fleurs et les roses d’un merveilleux parfum qui font au lis une ceinture, ce sont nos grands hommes et nos grands saints.
« Le lis s’étiole par sa propre rosée » , n’est-ce point Philippe-le-Bel qui par ses pensées de révolte contre le Souverain Pontife tarit la sève qui donne au lis sa beauté et sa vigueur ? Mais Jeanne vient, par ses instructions à Charles VII sur la royauté suprême du Christ, elle « donnera au lis des courants rafraîchissants. «
« Elle montre où est le venin, elle chasse le serpent « , et » le lis refleurira pendant longtemps « .
Quicherat a relevé dans une Histoire des astrologues, écrite par Simon Phares et qui se trouve à la Bibliothèque nationale (m 7, 487), la phrase qui suit:
« Environ ce temps fut à Genève maître Guillaume Barbier, docteur en médecine et grand astrologien. Celui-ci prédit en son jeune âge l’exil des Anglais et le relèvement du roi de France, qui fut chose assez (fort) à émerveiller, attendu quelle fut au moyen d’une simple pucelle ».
Maître Jean Barbin, un des plus célèbres avocats du temps de Jeanne fit sa déposition à Paris sur la cause de Jeanne d’Arc le 30 avril 1156. Il y dit :
« Jeanne fut dirigée pour y être examinée, sur Poitiers où je me trouvais alors. A ces délibérations assistait un professeur de théologie, du nom de maître Jean Erault. Il raconta avoir autrefois entendu une certaine Marie d’Avignon qui était venue trouver le roi et lui avait prédit que le royaume aurait beaucoup à souffrir et passerait par bien des calamités. Elle ajoutait avoir eu beaucoup de visions sur la désolation du royaume de France.
Dans une entre autres, de nombreuses armures lui avaient élé présentées. Effrayée, Marie craignait d’être contrainte de s’en revêtir. Il lui fut répondu de ne pas craindre ; que ces armes n’étaient pas pour elle, mais pour une Vierge qui viendrait après elle; elle porterait ces armures et délivrerait le royaume de ses ennemis. Erault disait croire fermement que Jeanne était la Vierge dont parlait Marie d’Avignon ».
Gobert Thibault, écuyer de l’écurie du roi de France, avait été interrogé précédemment le 5 avril.
« J’ai entendu, dit-il, Sire Monseigneur de Castres, alors confesseur du roi, affirmer qu’il avait vu des écrits dans lesquels on annonçait qu’une Pucelle viendrait et porterait secours au roi. J’ai entendu de la bouche du dit seigneur confesseur et d’autres docteurs que leur croyance était que Jeanne était divinement envoyée, quelle était celle dont parlait la prophétie ».
Les informations pour le procès de réhabilitation commencèrent par le comte de Dunois qui avait reçu l’envoyée du ciel à Orléans en qualité de lieutenant général du roi pour le fait de la guerre. Dans sa déposition, l’une des plus précieuses, il dit que Suffolk était prisonnier depuis quinze jours quand il lui fut remis un papier sur lequel étaient écrits quatre vers annonçant qu’une Vierge viendrait du bois Chenu, qu’elle chevaucherait sur le dos des guerriers armés de l’arc et leur ferait la guerre. Au procès de Rouen cette prophétie fut citée à l’accusée, qui; tout en disant ne l’avoir connue que depuis sa venue en France, avoua qu’il y avait dans son pays un bois Chenu qui se voyait de la porte de sa maison de son père.
Il n’y a pas lieu de s’étonner de ces prédictions. Combien de saints dont la venue en ce monde a été annoncée ! Mais, comme le remarque le P. Ayrolles, il n’est aucun personnage du Nouveau Testament qui eût été désigné d’avance à l’attention du monde par autant de voix que Jeanne d’Arc et surtout des voix si claires et si intelligibles.
Il n’y a pas non plus à objecter que ces prédictions ont été faites par des personnages qui ne sont point réputés par leur sainteté.
Saint Thomas d’Aquin observe que la sainteté n’est point requise pour la prophétie. Il invoque les paroles de Notre-Seigneur à ceux qui lui disaient : « N’avons-nous pas prophétisé en votre nom? » Le divin Maître ne nie pas le fait, et cependant il ne les reconnaît pas pour siens : « Je ne vous ai jamais connus », dit-il.
L’Évangile déclare que Caïphe, tout impie qu’il était, prophétisa lorsqu’il dit que Jésus devait mourir, « non seulement pour la nation juive, mais aussi pour réunir en un seul corps les enfants de Dieu qui sont dispersés » Saint Thomas d’Aquin fait remarquer que la prophétie est un don qui peut être accordé gratuitement pour l’utilité des autres, même à ceux qui ne jouissent point de la grâce sanctifiante.
Sans doute, ces prophéties n’étaient point toutes connues de tous et particulièrement du roi lorsqu’elle se présenta devant lui, mais il est certain que les plus importantes et les plus claires étaient répandues dans le public, non seulement en France, mais à l’étranger.
À ces prophéties venait se joindre le récit des merveilles qui avaient éclaté à la naissance de la Pucelle, récit qui lui aussi avait franchi nos frontières.
L’un des grands personnages de la cour de Charles VII, le conseiller et chambellan du roi, Perceval de Boulainvilliers, écrivit le 21 juin 1129, à Philippe-Marie Visconti, duc de Milan, le prince alors le plus puissant de l’Italie, étroitement uni au parti armagnac, une lettre qui nous a conservé le témoignage de celte joie insolite. Il annonçait au duc que la Pucelle et le roi étaient sur le chemin de Reims. Et voici comment sa lettre débutait :
« Illustrissime et magnifique prince et mon très honorable Seigneur. Les esprits cultivés et élevés aiment à savoir le nouveau. Voilà pourquoi, magnifique prince, sachant ce qui est dû à votre sérénité, a vos mérites, connaissant l’objet de vos nobles désirs, de vos recherches, j’ai cru devoir vous exposer les grandes merveilles survenues récemment à notre roi de France et à son royaume.
Déjà, je pense, a été portée à vos oreilles la renommée d’une jeune fille, que le ciel, ainsi que nous le croyons pieusement, nous a divinement envoyée.
Elle est née dans un petit village du nom de Domrémy, au baillage de Bassigny, en deçà et sur les confins du royaume de France, aux bords de la rivière de la Meuse, près de la Lorraine.
Les auteurs de ses jours sont notoirement des personnes aussi justes que simples.
C’est dans la nuit des Épiphanies, quand les chrétiens se remémorent dans la joie les actes du Christ, qu’elle est venue à la lumière de cette vie mortelle.
Et chose merveilleuse, les habitants du lieu furent saisis d’une joie inconcevable. Ignorant la naissance de la jeune fille, ils courent les uns chez les autres, se demandant ce qui est survenu de nouveau. Qu’ajouter ? Les coqs, comme hérauts de cette nouvelle joie, éclatent en chants qu’on ne leur connaissait pas ; ils se battent les flancs de leurs ailes, et presque pendant deux heures on les entend pronostiquer le bonheur de celte nouvelle naissance ».
Suit l’histoire de Jeanne d’Arc et de ses exploits.
Ce que Perceval de Boulainvilliers a ainsi raconté au duc de Milan est confirmé par de nombreux témoignages contemporains. Thomassin, dans son Registre Delphinal, dit :
« De sa naissance plusieurs choses merveilleuses ont été dites comme vraies ».
Eberhard de Windecken, secrétaire de Sigismond, dit la même chose.
La naissance de Jeanne d’Arc, par la joie qu’elle répandit ainsi aux alentours, présente une ressemblance bien remarquable avec les naissances divinement privilégiées de saint Jean-Baptiste et de Notre-Seigneur lui-même. Le motif de cette ressemblance fut sans doute que la sainte Pucelle était chargée d’aplanir les voies au Christ-Roi pour son retour au « saint royaume de France » comme saint Jean-Baptiste avait été chargé d’aplanir les voies au divin Agneau. Sa mission était de rappeler au monde la royauté universelle du Christ, comme celle de Jean-Baptiste avait été d’annoncer que le royaume de Dieu était proche.
Dieu ne se contenta pas de mettre la joie au cœur des habitants de Domremy, comme il l’avait mis au cœur des habitants de Béthléem, il fit naître la sainte Pucelle en la fêle de l’Épiphanie, au jour de la manifestation des droits de l’Emmanuel sur les rois et sur les nations qu’elle avait mission de rappeler aux chrétiens oublieux et ingrats.
Source : La mission posthume de Sainte Jeanne d’Arc – Mgr Henri Delassus 1913