Saint François d’Assise avait reçu le don des larmes dans une mesure tout à fait extraordinaire. En maladie comme en santé, il pleurait pour ainsi dire toujours. C’était la marque extérieure des opérations surnaturelles et des touches d’amour dont son cœur très fidèle était incessamment l’objet de la part du DIEU d’amour.
Il tâchait de faire croire à tout le monde que ces larmes n’étaient que la trop juste expiation de ses péchés et l’effet du repentir qui remplissait son âme. Ses larmes étaient en grande partie la cause des maux d’yeux dont il souffrait de plus en plus. Le médecin lui dit qu’il fallait les retenir, s’il ne voulait perdre entièrement la vue.
« Mon frère le médecin, répondit gravement le serviteur de DIEU, pour l’amour de cette vue corporelle qui nous est commune avec les mouches, il ne faut pas risquer de tarir un seul instant les effusions de la lumière divine. »
Pour lui témoigner quelque peu de reconnaissance, il l’invita un jour à partager le dîner des Frères. Ceux-ci lui ayant représenté qu’ils n’avaient pas grand-chose à offrir à un homme aussi fameux et aussi riche :
« Hommes de peu de foi, leur répondit le Saint, pourquoi douter de la bonne Providence ? Allez, et conduisez au réfectoire notre frère le médecin. »
Au moment où ils se mirent à table, quelqu’un sonna à la porte : c’était l’envoyé d’une dame qui habitait à deux lieues de là, et qui adressait au Père François des mets excellents. François les fît servir au médecin, qui ne put s’empêcher de dire aux Religieux :
« Mes Frères, nous ne comprenons pas assez la sainteté de cet homme-là, et vous-mêmes, qui vivez avec lui, vous n’avez pas assez de foi en la vertu divine dont il est plein. »
Ce bon médecin s’attacha de plus en plus à François et à ses Frères ; il les soignait de son mieux, poussant la charité jusqu’à leur apporter des médicaments.
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Contre toute apparence, les maux d’yeux du pauvre Saint s’apaisèrent un peu, et la vue lui revint assez pour qu’il pût reprendre, tout exténué qu’il était, ses chères missions si longtemps interrompues. C’était à la fin de l’année 1225.
Il partit donc de Notre-Dame des Anges avec quelques-uns de ses Frères et chose incroyable ! Il parcourut successivement l’Ombrie, les Marches et les provinces voisines, jusque, dans le royaume de Naples. Partout il prêchait avec un fruit admirable l’amour de JÉSUS crucifié ; et, comme toujours, le don des miracles accompagnait sa sainte prédication.
A Fabriano, il ravit tellement tous les cœurs, que les magistrats de la ville déclarèrent qu’ils ne le laisseraient point partir s’il ne fondait chez eux un couvent de Frères-Mineurs. Il y consentit volontiers et l’acte fut dressé. Après avoir signé et apposé, suivant l’usage, le sceau de la municipalité, les magistrats firent signer saint François,
« Et maintenant, ajoutèrent-ils, veuillez, Frère François, apposer votre cachet, en pendant du nôtre.
— Mon cachet ? Répondit François en souriant ; je n’ai point de cachet.
— Mais cependant, répliquèrent les magistrats, il faut apposer quelque chose pour authentiquer la signature.
— Eh bien, mettez la cire, »
dit François ; et prenant sa pauvre corde, il en appliqua l’extrémité sur la cire fondue. Lorsqu’il la retira, l’empreinte très nette d’un Séraphin à six ailes, semblable à celui du Mont-Alverne, apparut aux yeux émerveillés des assistants, qui en conçurent encore plus de vénération pour l’homme de DIEU.
— Cette corde, instrument du miracle, se conserve précieusement à Notre-Dame des Anges, et les pèlerins la vénèrent dans la petite cellule où est mort saint François et que l’on a transformée on chapelle.
A Calano, dans les Abruzzes, un soldat supplia si instamment le Père François d’accepter chez lui l’aumône d’un repas, que celui-ci ne put s’en défendre. Par une inspiration divine, il y emmena un de ses Frères qui était prêtre et à peine furent-ils entrés, qu’il se mit en oraison, les yeux au ciel, sans bouger. Avant de se mettre à table, il prit le soldat en particulier :
« Mon Frère et mon hôte, lui dit-il, je me suis rendu à votre prière en venant manger chez vous ; maintenant écoutez la mienne, et hâtez-vous. Confessez-vous et de tout votre cœur ; car ce n’est pas ici que vous mangerez, mais ailleurs. Aujourd’hui même, le Seigneur va vous récompenser de l’avoir si bien accueilli chez vous, en la personne de ses pauvres. »
Le bon soldat crut à la parole de saint François, se confessa aussitôt au compagnon du Saint, et se prépara pieusement à la mort. Puis, n’étant mis à table avec les autres, il mourut subitement un moment après.
C’est dans l’une de ces courses apostoliques que saint François guérit miraculeusement un jeune enfant, d’une noble et religieuse famille de Toscane, que les médecins avaient déclaré perdu sans ressources, il s’appelait Jean, et était d’une beauté remarquable. Sa pieuse mère supplia avec les larmes le serviteur de DIEU de le bénir et de prier pour lui, faisant vœu, si son enfant lui était rendu, de le donner à l’Ordre des Frères-Mineurs. François l’ayant béni, il fut guéri instantanément a la grande stupéfaction des médecins, et à la joie plus grande encore de sa mère et de toute sa famille.
« O buona ventura ! o quel bonheur! S’écria François. Cet enfant deviendra un grand homme dans l’Église de DIEU ; et, par lui, notre Ordre recevra de grands accroissements de sainteté. »
De la joyeuse exclamation est venu à l’enfant du miracle le nom de Bonaventure, sous lequel il est connu du monde entier, qu’il a porté comme Frère Mineur, comme Cardinal-Évêque d’Albano et sous lequel il a été canonisé par Sixte IV, en 1482.
La sainteté de François se manifesta à l’occasion d’un autre enfant, qui lui fut présenté lors de son passage à Rome. Il était encore à la mamelle et appartenait à l’illustre famille des Orsini. Le Saint le bénit avec amour ; puis, le prenant dans ses mains stigmatisées et le regardant avec une sorte de respect, il lui dit, comme s’il était déjà en état de le comprendre :
« Petit enfant, DIEU a de grandes vues sur vous. Un jour, vous serez son Vicaire ici-bas et le Chef de son Église. D’avance je vous recommande mon Ordre et mes Frères ; vous leur serez, bienveillant, et je vous demande pour eux la protection du Siège-Apostolique. »
Cette prière prophétique se réalisa en 1277, où le petit enfant mont a sur le Siège de saint Pierre sous le nom de Nicolas III.
Les fatigues de la vie de missionnaire, jointes aux austérités, aux veilles et à une prière continuelle, augmentèrent les maux et les infirmités du Père François avec tant d’intensité, que vers la fin de l’hiver, ses jambes enflèrent, son ophtalmie revint plus violente que jamais, et ses compagnons commencèrent à craindre pour sa vie. François avait été obligé de s’arrêter près de Nocera. Dès qu’on l’apprit à Assise, les magistrats envoyèrent une escorte pour le prendre, bon gré, mal gré, et le rapporter chez eux. Le bon Évêque qui aimait tendrement saint François, voulut le loger dans son palais, pour lui prodiguer les soins d’un vrai père. Mais rien n’y fit ; le mal d’yeux empirait de jour en jour ; et d’accord avec l’Évêque, les Frères et les médecins, le Frère Élie supplia François de se laisser transporter à Sienne, où le climat, pensait-on, serait plus favorable et où il y avait des médecins renommés. Le bon Saint toujours doux et complaisant, y consentit ; et, au commencement d’avril de l’année 1226, il arriva à Sienne.
Mais ses maux ne faisait que s’accroître, les médecins lui appliquèrent de nouveau le feu aux deux tempes : ce qui ne servit à rien sinon à renouveler le miracle de Mont-Colombe, l’application du fer chaud n’ayant produit aucune douleur sur la chair délicate du saint malade. Un terrible vomissement de sang fit craindre une fin prochaine et l’on avertit en toute hâte le Frère Élie, Vicaire général de l’Ordre.
François était si faible qu’il pouvait à peine parler. Les Frères désolés pleuraient autour de sa couche, lui demandant une dernière bénédiction, avec quelques paroles pour les affermir dans l’esprit de leur vocation. Il fit approcher son Frère infirmier, et, rappelant ses forces, il lui dit :
« Prêtre de DIEU, écrivez la bénédiction que je donne à tous mes Frères, tant à ceux qui sont présents dans l’Ordre, qu’aux autres qui y entreront jusqu’à la fin du monde. Voici, en trois paroles, mes intentions et mes dernières volontés :
« Que tous les Frères s’aiment toujours les uns les autres, comme je les ai aimes, et comme je les aime. Qu’ils chérissent toujours et gardent exactement la pauvreté, ma Dame et Maîtresse.
Qu’ils ne cessent jamais d’être humblement soumis aux Prélats et à tout le clergé.
Que le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit les bénisse et les protège !
Ainsi soit-il. »
Saint François fut fort aise de revoir le Frère Élie, qui, profitant d’un mieux momentané, fît transporter et accompagna son bienheureux Père à Assise, d’où il ne devait plus sortir que pour aller au Paradis.
Source : Oeuvres de Mgr de Ségur – Tome 11