La servante de Dieu priait un jour pour une personne qui lui avait avoué combien son âme était triste de ne pas aimer Dieu et de le servir sans dévotion.
Elle-même était tombée dans une grande tristesse et se croyait tout à fait inutile puisque, après avoir reçu de si grandes grâces, elle n’aimait pas Dieu comme elle l’aurait dû. Le Seigneur lui dit alors :
« Eh ! ma bien-aimée, ne sois pas triste ; tout ce qui est a moi est à toi ».
Elle lui dit :
« Si vraiment tout ce qui est à vous est à moi, votre amour est donc mien, et il est vous-même, ainsi que dit Jean : Dieu est amour (Jean, IV, 16); alors je vous offre cet amour pour qu’il supplée à tout ce qui me manque. »
Le Seigneur accepta cette parole, et répondit :
« C’est bien, et quand tu voudras me louer ou m’aimer, et que tu n’arriveras pas à satisfaire ton désir, tu diras :
Je vous loue, ô bon Jésus ; à tout ce qui me manque, suppléez vous-même, je vous prie, »
Et quand il te plaira de m’aimer, tu diras :
« Je vous aime, ô bon Jésus ; à ce qui me manque, daignez suppléer en offrant à votre Père pour moi l’amour de votre cœur. »
Tu diras à la personne pour laquelle tu pries de faire la même chose. Si elle y revient mille fois par jour, mille fois, je m’offrirai pour elle au Père, car je ne peux ressentir ni lassitude, ni ennui. »
Comme elle adressait à Dieu une prière analogue pour une autre personne, elle reçut cette réponse :
« Qu’elle récite souvent ce verset : Vous êtes béni, ô Adonaï au firmament du ciel, louable, glorieux et exalté dans les siècles ; vous qui vous avez fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, soyez loué, glorifié et exalté dans les siècles, alléluia. »
Et si la pensée qu’elle n’est pas du nombre des élus ne lui vient jamais à l’esprit, qu’elle agisse à la manière de quelqu’un qui chemine dans une vallée obscure : si cet homme était pris tout à coup du désir de voir le soleil, il monterait de la vallée sur la colline afin d’échapper aux ombres. C’est ainsi qu’elle doit agir.
Est-elle enveloppée des nuages de la tristesse ? Qu’elle gravisse la montagne de l’espérance et qu’elle me contemple des yeux de la foi, moi, le céleste firmament auquel sont fixées, comme des étoiles, les âmes de tous les élus.
Ces étoiles peuvent bien être cachées sous les nuages du péché et les brouillards de l’ignorance ; cependant elles ne peuvent cesser de briller à leur firmament, c’est-à- dire dans ma clarté divine, parce que les élus, bien que chargés parfois de péchés énormes, sont toujours enveloppés à mon regard par ma charité qui les a choisis et les fera parvenir à mon éternelle lumière.
C’est pourquoi il est bon à l’homme de se rappeler souvent ma gratuite bonté qui, après l’avoir élu, peut dans ses merveilleux et secrets jugements le regarder comme juste, même s’il est actuellement dans le péché, parce que je m’occupe de lui avec amour pour substituer au mal le bien que je veux voir en lui.
Alors, on peut me bénir, moi qui suis l’éternel firmament des élus ! Par cette parole :
« Que tous tes anges et tes saints te bénissent, qu’on désire me louer avec eux ».
Comme elle priait encore pour une autre personne, elle entendit Dieu lui faire cette réponse :
« Lorsqu’on est dans la peine, on doit se prosterner à mes pieds, y déposer tout son fardeau et me le confier par cette prière : Regardez, nous vous en prions, Seigneur, votre servante, pour laquelle Notre- Seigneur Jésus-Christ n’a pas hésité à se livrer aux mains de ses ennemis et à souffrir le supplice de la croix. Par le même Jésus-Christ Notre- Seigneur. Ainsi soit-il ».
Cette personne demandera par ces paroles que je la regarde d’un œil de miséricorde, que j’éclaire son âme afin de lui faire connaître pour quelle raison et avec quel amour j’ai permis cet événement. Ensuite qu’elle souffre sa peine pour ma gloire et toutes ses autres adversités.
« Qu’elle se dirige en second lieu vers mes mains en disant le Répons « Emitte Domine sapientiam etc : Envoyez, Seigneur, la divine sagesse du trône de votre majesté, afin qu’elle demeure avec moi et daigne partager mes travaux pour que je connaisse en tout temps le moyen de vous plaire. Donnez-moi, Seigneur, cette sagesse qui assiste à vos conseils éternels ! »
Par ces paroles, elle demande que la divine Sagesse soit sa coopératrice et l’aide à supporter cette peine, pour la gloire de Dieu, pour sa propre utilité et pour celle de tout l’univers.
« Enfin, qu’elle s’approche de mon Cœur en disant :
O mira circa nos tuae pietatis dignatio, etc ; puis O admirable pretium, etc. O merveilleuse condescendance de votre bonté pour nous, excès incompréhensible de votre charité ! Pour racheter l’esclave, vous avez livré le Fils ! O prix admirable par lequel vous avez racheté la captivité du monde, les barrières infernales ont été brisées, et les portes de la vie ouvertes pour nous ! Ainsi priera-t-elle afin que l’amour de mon divin Cœur, qui m’a chargé du fardeau de tous les hommes, l’aide à supporter ce poids de tristesse avec un amour reconnaissant. »
Elle priait une autre fois pour une personne qui désirait être assurée de sa persévérance, quand elle vit l’âme de cette personne à genoux pour ainsi dire devant Dieu, lui offrant son cœur sous le symbole d’une coupe dont les deux anses signifiaient la volonté et le désir.
Le Seigneur accepta volontiers cette coupe et la cacha dans son sein. Il avait auprès de lui deux amphores, une d’or à sa droite, une d’argent à sa gauche, et ce qu’il versait tour à tour de l’une et de l’autre se mélangeait dans la coupe. De la première amphore coulait la douceur de sa Divinité, de l’autre les labeurs de son Humanité. N est-ce pas ce qu’il verse à la fois au cœur de l’homme quand il lui fait sentir dans ses peines les douceurs de la consolation divine, et qu’il lui donne en même temps pour réconfort les travaux de sa sainte Humanité ?
Le Seigneur dit :
« Quand une peine survient, si on avait aussitôt l’intention de me donner à boire, mes lèvres, en se portant vers le calice, y infuseraient tant de douceur que le chagrin deviendrait noble et fructueux. Mais si l’homme boit le premier au calice, il corrompt le breuvage ; et plus il boit, plus la coupe devient amère, de sorte qu’il ne convient plus que j’y puise moi-même, à moins que la coupe n’ait été purifiée par la pénitence et la confession.
Quand vient la tristesse, il faudrait aussitôt en offrir le poids à Dieu : alors, il enverrait la douce consolation, il encouragerait à la patience et ne permettrait pas que l’affliction demeurât sans fruit. Si l’homme, par faiblesse, revenait indûment à sa peine, soit par pensée, soit par parole, sa faute serait vite effacée par la pénitence.
Mais quand on veut porter soi-même ses chagrins, on tombe dans l’impatience, et plus on s’en occupe, soit pour les raconter, soit pour les revivre en esprit, plus ils deviennent lourds et amers. Quand on rentre ensuite en soi-même, on n’ose plus les offrir à Dieu parce qu’on y verrait de l’inconvenance.
Toutefois, même alors, il ne faut pas perdre confiance, car si cette œuvre a été purifiée par la confession et la pénitence, on pourra encore l’offrir à Dieu d’un cœur contrit et humilié. »
Après ces paroles, le Seigneur embrassa cette personne avec bonté en disant :
« On ne me ravira jamais ton âme. »
Puis, il la bénit en traçant sur elle le signe de la croix accompagné de ces paroles :
« Que ma Divinité te bénisse, que mon Humanité te réconforte, que ma tendresse te réchauffe et que mon amour te conserve ! »
Comme elle priait encore la glorieuse Vierge Marie pour la même personne, il lui sembla que cette bienheureuse Vierge lui remettait trois dés en lui disant :
« Donne-les-lui de ma part afin qu’elle joue avec mon Fils. Lorsqu’un époux fait une partie de dés avec son épouse, il aime à lui prendre au Jeu ses anneaux, ses bijoux, les jolis ouvrages qu’elle a faits de ses mains ; et. de son côté, l’épouse s’adjuge tout ce que possède son bien-aimé. »
Celle-ci vit alors, par l’inspiration divine, que le point un du dé, signifie la bassesse et le néant de l’homme ; il le met pour ainsi dire en jeu contre le Christ, quand il supporte le mépris et la contradiction, et il se tient volontiers sous la dépendance de toute créature ; mais l’âme gagne ce que le Christ possède lorsqu’elle reçoit de lui l’élévation et les honneurs que son Père lui a donnés, en compensation des abaissements qu’il a subis sur la terre, selon ce mot du Prophète : Je suis un ver de terre, et non un homme, l’opprobre des hommes et le rebut du peuple (Ps. XXI, 7).
Les deux points signifient le corps et l’âme ; on les expose au jeu quand on accomplit ses œuvres spirituelles et corporelles par amour, en vue de glorifier le Christ, qui donne alors en échange toutes les œuvres de sa Divinité et de son Humanité.
Les trois points sont les trois puissances de l’âme : mémoire, intelligence et volonté. Elle les jette au jeu, lorsqu’elle leur donne pour règle le bon plaisir divin ; mais elle gagne ce qui appartient à son époux, quand l’image de la sainte Trinité, imprimée sur elle à la création, peut s’y parfaitement reproduire, par la grâce de Jésus-Christ.
Les quatre points sont amenés par l’âme quand elle se confie totalement à Dieu, dans la prospérité et dans l’adversité, pour le présent et pour l’avenir. Le Christ jette les mêmes points quand les quatre parties du monde, avec ce qu’elles contiennent, régies par sa puissance et sa sagesse, sont, par lui, assujetties au service de cette âme.
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Les cinq points sont les cinq sens de l’âme : elle les jette quand elle ne cherche plus à jouir de ses cinq sens en dehors du bon plaisir de Dieu. Alors le Christ lui donne les cinq plaies qu’il a reçues pour l’amour et le salut de cette âme, et il y ajoute tout le fruit de sa Passion.
Les six points sont les six âges de l’homme. et l’âme les amène quand elle reconnaît les négligences et le mal qu’elle a commis tous les jours de sa vie. Par contre, le Christ, dans sa bénignité, jette à ce jeu toute sa très sainte vie et conversation, avec l’absolue perfection de ses vertus.
Source : Révélations de Sainte Mechtilde – 1921
Lourd.