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Exposition de la loi naturelle et de l’exercice de son droit naturel

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Exposition de la loi naturelle et de  l’exercice de son droit naturel

La loi naturelle, qu’est-ce que c’est ? Quelle est sa définition pour un catholique ? C’est avec l’Abbé Baudeau, chanoine régulier de saint Augustin, membre de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, que nous aurons une compréhension plus concrète.

« Tout homme adulte est chargé de pourvoir à sa propre conservation, à son propre bien-être, sous peine de souffrance et de mort » : voilà certainement un devoir prescrit par la nature, la première de ses lois, dont la sanction est inévitable.

Mais pour concevoir la manière de remplir cette obligation continuelle et indispensable, il faut nécessairement considérer l’homme dans les divers états possibles ; c’est-à-dire l’homme absolument isolé, l’homme dans l’état de simple multitude, enfin l’homme attaché à la société.

D’abord, un mortel, quoique parfaitement isolé, n’en a pas moins trois manières possibles et très différentes l’une de l’autre, de pourvoir aux besoins naturels que produit sans cesse l’obligation de se conserver et de fuir autant qu’il peut la douleur et la mort, dont il semble être assiégé de toutes parts.

Le premier de ces moyens est la recherche continuelle et journalière des objets propres à la jouissance, que la nature produit d’elle-même autour de lui.

Le second moyen, qu’un peu de réflexion et de prévoyance lui doivent bientôt enseigner, est de conserver les productions spontanées, recueillies dans le temps où la nature les fait naître et les rend ou meilleures ou plus abondantes, et de les garder pour le besoin futur.

Enfin, la troisième manière serait de multiplier lui-même, par la culture, les productions qu’il trouverait les plus utiles et les plus agréables, s’il craignait que la nature abandonnée à son cours n’en fût pas assez prodigue pour ses besoins ou ses désirs.

Trois espèces de travaux, dont l’un est absolument nécessaire à l’homme isolé pour remplir le premier devoir imposé par la loi de la nature :

travail de la recherche habituelle
travail de la conservation ; 
travail de la cultivation

Remarquez d’abord par quels degrés ce mortel solitaire étend, assure, multiplie les jouissances propres à la conservation et à son bien-être, à mesure que la réflexion et la prévoyance lui font perfectionner son travail.

C’est donc, même dans l’homme isolé, la qualité des travaux qui règle l’exercice de son droit sur les productions de la nature. Celui qui se borne à les rechercher habituellement, dépend sans cesse de tous les événements ; il est obligé de se borner aux objets qu’il trouve ; il n’est jamais assuré de ses jouissances : il ne peut les varier à son gré. Les accidents naturels, les météores, et les animaux sont en guerre continuelle avec lui ; tout conspire contre ses besoins, ses désirs, son repos et son plaisir.

L’homme isolé, qui ramasse et conserve, augmente peut-être son travail dans le temps de la récolte et des préparatifs de la conservation : mais il assure, il multiplie ses jouissances ; il étend l’exercice de son droit naturel ; il sauve de la destruction qu’en auraient faite le temps et les animaux, des objets propres à son bien-être.

Enfin, le mortel assez industrieux pour suppléer par la culture à la disette des productions naturelles qu’il trouverait les plus propres à satisfaire ses besoins et ses désirs, étendrait encore davantage son droit naturel à la jouissance de ces productions ; il assurerait d’autant mieux son bonheur et sa conservation.

C’est ainsi que l’exercice du droit naturel des hommes s’étend, ou se resserre par le travail, qui remplit le premier devoir prescrit par la loi de la nature.

Appliquons ces distinctions lumineuses à des hommes vivants dans l’état de simple multitude, sans aucune société. Nous allons en voir sortir un nouvel ordre de devoirs et de droits, trop souvent oubliés.

Supposons d’abord ce nombre de mortels occupés uniquement à la recherche habituelle. La nature a chargé chacun d’eux de sa propre conservation ; elle donne donc à chacun le moyen le plus prochain, le plus indispensable pour remplir ce devoir, puisqu’elle y a joint pour sanction la plus inévitable, les souffrances et la mort, s’il ne le remplit pas. Mais quel est ce moyen le plus prochain, le plus indispensable ? N’est-ce pas la propriété de la personne et de ses facultés corporelles, par conséquent, la liberté d’en user pour chercher les objets propres à satisfaire ses besoins ?

La liberté personnelle est donc la première condition que suppose l’exercice du droit naturel, dans cet état de multitude : le premier attentat possible d’un homme contre son semblable, serait donc de violer la propriété de sa personne, ou d’empêcher habituellement qu’il ne fit un libre usage de ses facultés corporelles, pour satisfaire ses propres besoins et ses propres désirs. Il est évident que la nature a fait libres tous les autres animaux qui vivent dans cet état de recherche : le plus fort n’asservit point le plus faible. A-t-elle refusé le même avantage à l’homme seul ? La question n’est pas difficile à résoudre.

Deux hommes sauvages sont partis de deux endroits divers pour cueillir des fruits, chasser ou pêcher, et pourvoir à leur subsistance ; ils se rencontrent, passent tranquillement sans s’insulter, sans se battre, sans se déchirer, sans se blesser, sans se mettre à mort. Deux autres se trouvent ailleurs ; au lieu de penser directement à leurs besoins, ils s’attaquent, se chargent de coups, se couvrent de plaies profondes ; l’un des deux reste sur la place, en proie aux douleurs, privé de l’usage de ses membres, ou même entièrement de la vie.

Lesquels ont suivi la loi de nature, lesquels l’ont violée ? Lesquels ont bien fait, lesquels ont fait mal ? Lesquels ont été justes, lesquels injustes ? Lesquels sont innocents, lesquels sont criminels ? S’il existe sous le ciel une créature portant figure humaine, qui ne trouve point dans son âme de réponse à cette question, ce n’est pas pour elle que nous l’avons proposée : c’est pour les hommes que nous écrivons, non pour des monstres qui n’en auraient que l’apparence.

Il existe donc un juste, un injuste, un bien, un mal moral, une innocence, un crime, avant toute société. La première espèce de justice et d’injustice est donc relative à la propriété et à la liberté personnelle des hommes. Il n’y a point de sophisme qui puisse obscurcir désormais cette vérité fondamentale.

Un homme sauvage a trouvé, par la recherche, quelques objets propres à satisfaire le besoin ou le désir qui l’avait sollicité à prendre cette peine. Quand il est prêt à jouir du bien qu’il s’est procuré, un second arrive auprès de lui, pressé du même besoin ou de la même envie ; mais il respecte dans son semblable le droit de profiter du fruit de son travail : il en va chercher autant pour lui-même.

Un troisième survient ; son désir s’enflamme à la vue de l’objet trouvé par le premier ; il n’écoute que ce désir, et ne consulte que la force ; il attaque l’homme possesseur, lui ravit sa proie, le contraint à la fuite. Le malheureux dépouillé passe à portée d’un quatrième qui se repaît tranquillement d’une ample subsistance qu’il a trouvée, et celui-ci, par des cris et par des signes, appelle notre fugitif au partage des biens qu’il a rencontrés en abondance.

Mettez-vous en problème lequel des trois est injuste, lequel est équitable, lequel est bienfaisant. Ne sentez-vous pas naturellement de la pitié pour l’infortuné, de l’horreur pour le tyran, de l’estime pour l’observateur du droit d’autrui, de la tendresse pour le généreux ?

Elle existe donc, cette loi naturelle qui caractérise le mérite et le démérite des actions humaines, même avant toute société, toute convention ; il est donc, dans l’état même de simple multitude et de simple recherche, une conduite digne d’éloges, une conduite digne de blâme, une conduite innocente, sans être marquée par la bienfaisance.

Ces distinctions, très réelles et très frappantes, sont donc relatives, tant à la propriété personnelle qu’à la propriété mobilière des objets qu’on s’est procurés par son travail.

Le soin de la récolte et de la conservation qui étendrait le droit naturel des hommes, multiplierait leurs propriétés mobilières. Alors les attentats particuliers deviendraient plus faciles et plus funestes ; mais aussi plus criminels, à proportion du délit et des préjudices qu’ils causeraient.

Si c’est, au jugement de tout homme raisonnable, une injustice évidente dans un homme, de dépouiller son semblable du fruit de la recherche, quoique cette perte puisse se réparer presque sur-le-champ, et qu’elle n’ait coûté qu’un travail léger, à plus forte raison est-ce une iniquité de le dépouiller des provisions qu’il aurait ramassées laborieusement, et de l’en priver dans un temps où la nature ne les offrirait plus à sa perquisition.

Il est aisé de sentir cependant que les dangers, les combats, les usurpations, augmenteraient parmi les hommes non réunis en société, à mesure que l’intelligence et la précaution voudraient amasser d’avance pour les besoins futurs. Il n’en est pas moins vrai que le mortel assez sage pour employer son temps à récolter, dans la saison favorable, des productions spontanées que les temps et les autres accidents auraient détruit, à les magasiner, à les préserver, autant qu’il est en lui, de toutes causes destructives, acquerrait par ce travail un droit réel à la consommation de ces productions conservées ; que l’homme inconsidéré, paresseux, avide et tyrannique, qui négligerait dans le temps de recueillir, mais qui voudrait jouir exclusivement à l’autre de la récolte conservée, commettrait une injustice, une violence criminelle.

Il est également sensible qu’un homme, au contraire, serait généreux et bienfaisant, s’il faisait part à quelque autre, dans la saison la plus dure, d’une portion des fruits qu’il aurait eus la précaution d’amasser.

Supposons, enfin, que les mortels, réduits à l’état de simple multitude, sans conventions sociales, veuillent se livrer à la culture pour étendre d’autant leur droit naturel, en multipliant, au-delà des bornes ordinaires de la production spontanée, les objets propres à satisfaire leurs besoins ou leurs désirs. Là commence à naître, par degrés, la propriété foncière.

Qu’un sauvage errant trouve par hasard le champ qu’un autre aurait cultivé, les arbres qu’il aurait plantés, la clôture dont il aurait entouré son défrichement pour en éloigner les animaux ; qu’il admire ce travail, qu’il le respecte ; qu’il soit animé d’une vive émulation de l’imiter, ou même qu’il prête une main secourable à ce mortel industrieux, occupé d’une entreprise trop pénible : qu’un autre, au contraire, ne sente à la vue des fruits que la culture a fait naître, que l’envie de les dévorer, qu’il détruise l’enceinte, dépouille les arbres de leurs fruits et de leurs branches, et bouleverse tout l’ouvrage : est-ce donc au jugement de la raison et du sentiment naturel, une conduite indifférente ? Non, sans doute, il n’est point d’homme qui le prononce naturellement au fond de son cœur.

Il est donc pour les humains les plus séparés un juste, un injuste, un mérite, un démérite antérieur à toutes sociétés, à toutes conventions, à toutes lois humaines ; et en voici la règle primitive très sensible et très évidente : le travail est l’accomplissement du devoir imposé par la nature et l’exercice du droit naturel.

Il est d’une souveraine évidence que l’un ne peut aller sans l’autre. L’auteur suprême de la nature, en nous prescrivant, par une sanction inévitable et terrible, l’obligation de pourvoir à notre conservation, à notre bien-être, par la consommation des objets propres à notre jouissance, nous a donc évidemment donné le droit d’en user : le travail par lequel nous remplissons ce premier devoir, suppose à chacun de nous la propriété de la personne, et l’exercice de la liberté personnelle, il produit la propriété mobilière par la recherche ou la conservation, et la propriété foncière par la culture.

C’est donc par son intelligence, par son application et sa prévoyance, que l’homme étend, assure, multiplie l’exercice de son droit naturel : il est donc vrai que la possession, acquise par le travail, est la règle naturelle qui décide du juste et de l’injuste. Approprier à sa jouissance les objets que la nature offre à tous, c’est travail ; en user soi-même après les avoir acquis, c’est droit : quiconque l’empêche est évidemment injuste, oppresseur et ravisseur.

La justice existe donc dans l’état de simple multitude, elle est donc une règle naturelle et souveraine, reconnue par les lumières de la raison qui détermine évidemment nos propriétés à nous-mêmes et celles des autres : l’injustice est donc l’usurpation sur le DROIT de propriété d’autrui.

Mais l’homme, agité par ses désirs, et pressé par ses besoins, est libre et trop souvent injuste. Dans cet état de simple multitude, les attentats de l’usurpation seraient fréquents, la crainte qu’ils inspirent serait continuelle, certainement au préjudice de l’espèce humaine, et contre le vœu de la nature. Les combats, les pillages, les représailles, les dangers, sont le malheur et la destruction de l’humanité, le contraire du premier devoir, de la première loi.

L’état des hommes, vivant ainsi, n’est donc pas le plus avantageux à l’espace, le plus favorable à sa multiplication, à sa perpétuité, à son bonheur, parce qu’il est impossible que le travail étende d’une part l’exercice du droit naturel, sans qu’il multiplie de l’autre les alarmes, les périls, les crimes et les malheurs.

La nature a donc institué un ordre évidemment plus avantageux au genre humain, c’est l’état de société, dont le but est d’étendre, d’assurer, de multiplier le plus qu’il est possible l’exercice du droit naturel, de garantir les fruits du travail, les propriétés, les libertés, d’empêcher les attentats, les usurpations, de prévenir même le péril et la crainte.

La société n’a pas d’autre objet. Les affections de pitié, de tendresse, de générosité que la nature nous inspire, sont, avec l’horreur de l’injustice, avec le désir de jouir, avec l’amour des propriétés, avec la prévoyance et la crainte de la spoliation, les moyens dont l’auteur suprême se sert pour déterminer l’homme évidemment créé social à se réunir avec ses semblables.

Avant toute agrégation, et toute convention, la loi naturelle était attributive du droit de jouir de ses propriétés ; prohibitive de l’usurpation des propriétés d’autrui : mais chaque homme isolé n’avait que ses propres forces pour garant et pour défense de ses droits ; que sa raison et sa liberté pour frein contre le désir d’attenter à ceux des autres.

Le pacte social dit :

« Chacun de nous promet, non seulement, de ne pas employer ses forces pour usurper les droits d’aucun de nous ; mais au contraire, d’employer ces mêmes forces, pour défendre ces droits de chacun, contre les usurpateurs ».

La première partie n’est que la loi naturelle, antécédente ; la seconde, est un nouveau devoir que s’impose chacun des contractants, en vertu duquel chacun acquiert un nouveau droit.

Devoir de contribuer à la défense des droits et propriétés de tous les confédérés, qui n’existait pas ; droit d’être à son tour défendu par eux, qui en résulte. On voit que l’un et l’autre multiplient les forces qui garantissent, et ajoutent un frein redoutable aux désirs usurpateurs.

L’observation du pacte emporte nécessairement la paix au dedans de la société ; elle procure autant qu’il est possible la sûreté contre les ennemis du dehors. Il est évident qu’un homme, que dix, que vingt, n’oseraient pas attenter au droit d’un seul, qui aurait pour appui les forces de deux cents confédérés, et la certitude qu’ils accourraient tous pour le secourir.

La paix et la sécurité engagent au travail le plus propre à étendre l’exercice du droit naturel. Elles assurent, multiplient et perfectionnent la culture, qui fournit des jouissances plus abondantes, plus variées, plus satisfaisantes.

Mais l’accroissement de cette masse d’objets propres à la jouissance des hommes, multiplie naturellement la société, et le surcroît de population augmente progressivement la force de garantie générale, ainsi que les heureux effets qui en résultent en faveur des hommes confédérés. C’est ce qu’il faut considérer.

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La perfection de la culture, qui suit la garantie des propriétés, fait bientôt naître assez de fruits, pour que les hommes vivants sous la confédération, puissent être distingués en deux classes, dont la première travaille à la production, et la seconde peut s’occuper de tout autre emploi de son intelligence et de ses forces.

Source : Exposition de la loi naturelle par l’Abbé Baudeau – 1767

Publié par Napo

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