Saint Gérard Majella naquît en avril 1726, à Muro, petite ville située à vingt lieues au sud de Naples. Son père, tailleur de profession, se nommait Dominique Majella, et sa mère. Benoîte Galella : tous deux recommandables par leur vie foncièrement chrétienne.
Le nouveau-né reçut au baptême le nom de Gérard. Il manifesta dès le berceau à quelle haute sainteté Dieu le destinait ; car jamais, il ne pleurait, jamais, il ne réclamait la nourriture par ses cris, comme font les autres enfants ; il refusait même à certains jours le lait maternel : présage de cette sévère abstinence qu’il garda toute sa vie.
Benoîte sa maman, en était émerveillée et lui disait avec tendresse : « Cher enfant, sois béni. » Brigitte et Anne-Elisabeth, ses deux sœurs, ont attesté que l’unique attrait de Gérard enfant était de dresser de petits autels et d’imiter les cérémonies du culte. Il disposait sur une table quelques images de saints, celle de saint Michel en particulier ; il passait et repassait devant elles, en faisant diverses inclinations ; puis, après s’être mis à genoux, il récitait des prières en se frappant la poitrine, ou chantait les pieux cantiques qu’il avait entendus à l’église.
Cette piété naissante étonnait et ravissait tous ceux qui en étaient témoins. La vie de Gérard nous offre la preuve de cette vérité, que Dieu trouve ses délices parmi les enfants des hommes et qu’il se plaît à converser avec eux.
À peu de distance de Muro, se trouve la chapelle de Capotignano, ou l’on vénère une statue de la Vierge Marie tenant l’Enfant-Jésus dans ses bras. Vers sa sixième année, Gérard, conduit sans doute par une main céleste, se rendit à ce sanctuaire, et à peine y fut-il agenouillé, que le petit Jésus, descendant des bras de sa Mère, vint jouer familièrement avec lui, puis lui donna un petit pain d’une extrême blancheur.
L’enfant reporta tout joyeux ce présent à sa mère, et comme celle-ci, surprise, lui demandait :
« Qui te l’a donné ?
— C’est, répondit-il, l’enfant d’une belle dame avec lequel j’ai joué. »
Attiré par les attraits divins de son céleste ami, Gérard courait chaque matin à la chapelle, et chaque fois l’Enfant-Dieu venait jouer avec lui et lui faisait cadeau d’un petit pain blanc, Brigitte, poussée par la curiosité, suivit un jour son petit frère, à son insu, et fut témoin du prodige.
En mère prudente. Benoîte fit de même et vit la même chose. À l’exemple de son Fils, la très sainte Vierge voulut, elle aussi, offrir à Gérard le pain miraculeux. L’enfant lui-même nous a révélé ce secret. Étant un jour allé avec sa mère dans la chapelle, il lui dit en désignant la statue de la sainte Vierge :
« Maman, voici la Dame qui m’a donné plusieurs fois du pain, et voilà l’enfant avec lequel j’ai joué. »
Plus tard, quand il était rédemptoriste, sa sœur Brigitte étant venue le voir, il lui dit avec sa naïveté ordinaire :
« Je sais maintenant que c’était l’Enfant-Jésus qui me donnait les petits pains blancs.
— Eh bien, repartit sa sœur en souriant, venez revoir cet enfant.
— À présent, reprit Gérard, je le trouve partout quand je veux. »
Ce ne fut pas le seul fait merveilleux de l’enfance de Saint Gérard. Un jour qu’il simulait une procession avec des enfants de son âge, il attacha à un arbre une petite croix qu’il avait faite, et invita ses jeunes amis à la vénérer.
Mais bientôt, ô prodige ! l’arbre devint tout étincelant de lumière, à la grande stupéfaction des habitants de Muro; et le petit Jésus, descendant de l’arbre, vint encore offrir à Gérard le petit pain blanc habituel.
Vers l’âge de huit ans, le favori de Jésus était déjà affamé du pain eucharistique. Un jour qu’il assistait à la messe, il alla se placer avec les fidèles à la Table sainte pour recevoir la communion. Le célébrant, le voyant si jeune, passa outre. L’enfant se retira en pleurant. Mais la nuit suivante, l’archange Saint Michel vint le consoler, en lui apportant le pain des anges.
Telle est la raison pour laquelle le serviteur de Dieu conserva toute sa vie une dévotion si tendre envers le Saint archange. Au reste, ce n’est pas la seule fois, semble-t-il, que le fils de Benoîte eut le bonheur de communier miraculeusement. Un prêtre le trouvant un jour à genoux tout près de l’autel, lui demanda ce qu’il faisait là :
« Un petit enfant, lui répondit Gérard, est sorti du tabernacle et m’a donné la sainte communion. »
Cette faveur, si rare dans la vie des saints, même les plus privilégiés, Gérard la mérita sans doute par son héroïque tempérance. Qui le croirait ? Cet enfant si tendre prenait à peine ce qu’il faut pour vivre. Souvent, Benoîte, tout alarmée, disait à ses amies :
« Mon fils ne mange presque pas, et reste parfois des jours entiers sans rien prendre. »
Le Saint écolier
Envoyé de bonne heure à l’école de la ville, Gérard apprit en peu de temps à lire, à écrire, à calculer, et même à s’exprimer avec facilité. Il montrait un goût prononcé pour l’étude du catéchisme et de tout ce qui concerne la religion.
Pendant la classe, loin de chercher à se dissiper avec les autres enfants, il se tenait silencieux, immobile et uniquement occupé à apprendre ses leçons. Telles étaient sa docilité et son application, que son maître lui avait voué l’affection la plus tendre, et l’appelait « ses délices ».
Dès que la classe était terminée, le petit Gérard retournait directement à la maison paternelle, évitant avec le plus grand soin la compagnie des écoliers volages et peu réservés dans leurs discours.
Mais c’est surtout dans le lieu saint que le pieux enfant de Muro était admirable. Il s’y tenait dans un maintien si recueilli, qu’on l’eût pris pour un ange. Tous les offices de l’Église avaient pour lui un attrait merveilleux.
Pendant le Saint sacrifice de la messe, il manifestait une dévotion extraordinaire pour un enfant de son âge. Il était alors uniquement attentif au grand mystère qui se passait sur l’autel. Au moment de la consécration, il s’inclinait profondément jusqu’à terre. Cette angélique piété, si ravissante pour les témoins, toucha le cœur de Dieu, et fut récompensée par l’apparition de l’Enfant-Jésus.
Souvent, pendant le saint sacrifice, Gérard voyait sur l’autel l’Enfant-Dieu sous une forme visible. Il en avait le cœur inondé de joie, mais lorsqu’il le voyait disparaître à la communion du prêtre, il en avait le cœur brisé et fondait en larmes.
Malgré son jeune âge, il était déjà favorisé du don des miracles. On lui avait confié la garde d’un agneau.. Or, il arriva que des voleurs l’enlevèrent et le tuèrent. L’enfant voyant que cette perte affligeait beaucoup ses parents, parce que l’animal ne leur appartenait pas, leur dit :
« Rassurez-vous, l’agneau reviendra. » Il se mit aussitôt en prière, et bientôt, par une merveille de la bonté divine, le petit animal fut restitué à son légitime possesseur.
Vers sa dixième année, le saint enfant fit sa première communion avec une ferveur séraphique qui émut tous les assistants. L’Eucharistie devint dès lors l’aliment de son âme et l’attrait de son cœur. Aussi son confesseur ne tarda pas à lui accorder la faveur de communier tous les deux jours.
Cet ange de la terre comprit bientôt qu’il ne pouvait participer à la gloire de Jésus sans participer auparavant à sa douloureuse Passion. Il s’éprit donc de la sainte folie de la croix, et s’imposa une cruelle flagellation comme prix de chacune des communions qu’il faisait. Dieu lui-même le fit marcher dans la voie du Calvaire.
Le Saint apprenti
Vers cette époque, Gérard perdit son père. Ce malheur obligea sa mère à le placer en apprentissage chez un tailleur nommé Pannuto. Le jeune apprenti se livra tout entier au travail, mais il mit plus de soin encore à correspondre fidèlement à la grâce, et à suivre son attrait pour l’oraison.
L’Esprit-Saint agissant sur son âme, on le voyait parfois ravi hors de lui-même, et alors, pour épancher plus librement son cœur devant Dieu, il se cachait sous la table de travail. Son maître, qui l’aimait, n’avait garde de l’en reprendre.
Mais il n’en fut pas de même du contre-maître, qui voyait cette piété de mauvais œil. Un jour, il arracha Gérard du lieu ou il priait, et se mit à l’accabler de coups :
« Frappez, frappez, lui dit le saint apprenti, vous avez raison de le faire. »
Une autre fois, ce méchant homme lui donna des coups si violents, que Gérard tomba évanoui par terre. Pannuto survint à ce moment, et, tout indigné, il demanda l’explication du fait. L’ouvrier montrant sa victime :
« Qu’il réponde, lui, il le sait bien.
— Je suis tombé de la table, répondit charitablement l’adolescent. »
Dans une autre circonstance, cet homme cruel lui donna un rude soufflet. Gérard ne répondit à cette brutalité que par un sourire tranquille.
« Quoi ! tu ris, »
S’écrie le barbare en colère et, saisissant un instrument de fer, il se met à l’en frapper sans pitié. Le tendre martyr, se jetant à ses pieds, lui dit d’un ton plein de douceur :
« Je vous pardonne volontiers pour l’amour de Jésus-Christ. »
Un matin, Gérard arriva après l’heure, ce qui donna prétexte à ce forcené de le battre avec fureur. Un doux sourire fut toute la réponse de l’enfant.
« Quoi! tu ris, S’écrie cet homme exaspéré
Dis-moi pourquoi tu ris.
— C’est parce que la main de Dieu m’a frappé, répondit l’ange de patience. »
Gérard ne se plaignait jamais à son maître des mauvais traitements qu’il recevait dans sa maison. Pannuto en était dans l’admiration. Un jour, il suivit à son insu le saint jeune homme qui se rendait à l’église, et il le vit, après une longue prière, traîner la langue sur le pavé jusqu’au pied de l’autel, et là entrer en extase. Dès lors, il le vénéra comme un saint, et congédia son persécuteur.
Le trait suivant est une nouvelle preuve de la patience du jeune tailleur. Un jour qu’il passait par un chemin solitaire, le bruit de ses pas fit envoler un oiseau au moment même où un chasseur se préparait à tirer. Celui-ci, furieux, s’élance sur lui et lui donne un soufflet. Fidèle à la recommandation du divin Maître, Gérard présente l’autre joue. Mais l’homme en colère ne voit dans cet acte qu’une insulte, et redouble ses mauvais traitements. Survient heureusement le fils de Pannuto qui intercède pour l’innocent. Le chasseur s’apaise, et passant subitement de la colère à l’admiration, il s’en va lui-même publier partout la vertu du jeune apprenti.
Le Saint domestique
En attendant l’heure de Dieu pour entrer en religion, Gérard, alors âgé de seize ans, s’engagea comme serviteur chez Mgr Albini, évêque de Lacédonia. C’était un homme de mérite, mais d’un caractère bouillant. Dieu se servit de lui pour exercer son jeune serviteur à la pratique des plus sublimes vertus chrétiennes.
Plaintes, gronderies, humiliations, travaux excessifs, l’humble fils de Benoîte était de trempe à supporter tout cela. Le silence respectueux qu’il gardait pendant et après les plus injustes corrections, la manière de les recevoir les yeux baissés et le visage serein, sa gaîté toujours douce et aimable, son obéissance au moindre signe, son amour du travail, tout dénotait déjà en lui la vertu héroïque d’un saint.
Là, malgré ses labeurs, Gérard n’en continuait pas moins ses mortifications étonnantes. Un jour, le médecin, voyant la pâleur de ses traits, lui demanda s’il n’était pas malade. « Je suis bien, » répondit Gérard en souriant. Le médecin, incrédule, lui palpa la poitrine, et s’aperçut qu’il portait un rude cilice.
Affable envers tous, bon pour les pauvres, tendre pour les malades, ce saint jeune homme ne se connaissait qu’un ennemi : c’était lui-même. Il ne s’accordait qu’un peu de pain pour nourriture, rarement quelque légume, réservant pour les pauvres et les malades tout ce qu’on laissait à sa disposition à la cuisine.
Quand il passait en ville, tout le monde était frappé de sa modestie.
« Le petit Gérard, disait-on. n’est pas un homme, c’est un ange ; c’est un saint. »
Mais ce qui édifiait surtout les fidèles, c’était son recueillement et sa piété en présence du Saint-Sacrement. Lorsque ses occupations ne l’appelaient pas ailleurs, on était sûr de le trouver à la cathédrale, faisant sa cour au Roi des rois. À la vue d’un exemple si édifiant, un grand nombre d’âmes prirent la résolution de visiter chaque jour le Sauveur dans son sacrement d’amour.
Un jour, Saint Gérard Majella, laissa tomber par mégarde, dans un puits, la clef de la chambre de Monseigneur. Grande fut sa peine, prévoyant le trouble que cet accident occasionnerait au prélat. Dans cette perplexité, il se met en prière.
Soudain, plein de confiance, il court chercher une statue de l’Enfant-Jésus, et la descend dans le puits, en disant :
« C’est à vous. Seigneur, de me rendre la clef, afin que Monseigneur, ne soit pas en peine. »
O prodige ! à la vue d’une foule de spectateurs, Gérard remonte l’Enfant-Jésus, tenant en main la clef perdue. Ce puits s’appelle depuis lors « le puits du petit Gérard ». Il y avait trois ans que le Saint était entré au service de l’évêque, lorsque celui-ci mourut. C’était en 1744. Il pleura son maître :
« Hélas ! j’ai perdu mon meilleur ami, »
Disait-il. Tant il était avide de mortifications !
Le saint artisan
Après la mort de son maître, Gérard revint à Muro, résolu pour le moment, à vivre de son métier de tailleur. Mais comme il ne l’avait plus exercé depuis trois ans, il se remit en apprentissage chez un homme de bien, nommé Vitus Mennona, dont il embauma la maison par le parfum de ses vertus.
Aussi Vitus lui voua-t-il une estime qui ne se démentit jamais. Il aimait à raconter le prodige suivant :
Un jour, une femme de sa maison devant aller laver du linge à une fontaine éloignée de deux kilomètres de la ville, Gérard dut l’accompagner. Survint une pluie diluvienne qui les obligea de chercher un refuge dans une cabane voisine. Comme il se faisait tard et que la pluie ne paraissait pas devoir cesser de sitôt, la pauvre femme se lamentait en disant :
« Comment ferons-nous pour retourner à la maison ? »
En entendant ces mots, Gérard, rempli de confiance en Dieu, sort de la chaumière, lève les yeux au ciel et s’écrie :
« Seigneur, comment ferons-nous ? »
À peine a-t-il dit ces mots, que la pluie cesse, et un temps serein leur permet de regagner le logis.
Ce nouvel apprentissage terminé, Gérard se fixa dans la maison paternelle. Le travail ne lui manqua pas, attiré que l’on était par sa parfaite probité. Du consentement de sa mère, il divisait son salaire en trois parts, une pour la famille, une pour les pauvres, une pour les âmes du purgatoire. Benoîte se plaignait parfois des libéralités de son fils :
« Ne craignez pas, ma mère, disait-il alors. Dieu pourvoira à tous nos besoins. »
Il aimait surtout à travailler pour les pauvres, et, un jour, Dieu voulut lui montrer combien il agréait cette charité. Un indigent avait fourni une quantité d’étoffe qui était loin de suffire pour confectionner un vêtement. Or, cette étoffe se multiplia tellement entre les mains du serviteur de Dieu que, le vêtement achevé, il s’en trouva de reste. Ce surplus miraculeux fut remis consciencieusement au pauvre.
Il faisait souvent célébrer des messes pour les âmes du purgatoire :
« Ce sont des pauvres aussi, disait-il : elles réclament instamment notre secours. »
Lorsque le travail venait à manquer, il en était navré de douleur, se contentant alors de pain sec, afin de pouvoir toujours assister les pauvres du Bon Dieu et ses chères âmes du purgatoire.
Le séraphin de Mure
Dans son excès d’amour pour Jésus souffrant, Gérard voulut, comme lui, subir le supplice de la flagellation.
« Bien des fois, rapporte Félix Farenga, ami et confident du Saint, bien des fois, je dus l’attacher à un poteau et le battre sur les épaules découvertes avec des cordes mouillées. Il souffrait tout cela avec allégresse, et lorsque je témoignais de la répugnance à le frapper plus longtemps, il me suppliait avec instance de continuer, si bien qu’à la fin son corps n’était plus qu’une plaie et que le sang ruisselait de tous côtés. »
Le jeune amant de la croix usa encore d’un autre expédient pour se crucifier. Il se faisait suspendre à une poutre, la tête en bas, ordonnant de brûler par-dessous de vieux linges, dont la fumée lui torturait les yeux et la gorge :
« C’est ainsi que nous devons souffrir, disait-il, pour plaire à Celui qui a tant souffert pour nous. »
Il paraît que ce tourment de la fumée avait pour lui un attrait spécial. Un jour qu’il se trouvait dans la maison de Stella, il alla se placer sous le manteau de la cheminée, au moment où une fumée épaisse se dégageait du foyer :
« Gérard, que faites-vous là ? » lui dit-on.
« La fumée va bien aux beaux yeux, » répondit-il gaîment.
Pans toutes ces circonstances, Gérard suivait un attrait intérieur qui était l’expression manifeste des desseins de Dieu sur lui. Ceux qui lui infligeaient de pareilles tortures le savaient bien, et c’est cette bonne foi qui les excuse de l’avoir si cruellement fait souffrir.
C’est l’usage, en Italie, de représenter les scènes de la Passion. On avait donc organisé un de ces pieux spectacles dans la cathédrale de Muro. Mais il fallait quelqu’un pour représenter Jésus crucifié. Gérard obtint cette faveur.
À l’heure fixée, on ouvre la cathédrale, et l’on voit tout à coup Gérard en croix, les bras étendus, et comme en agonie. À cette vue, le peuple fond en larmes, mais Benoîte, qui ne s’attendait aucunement à voir là son fils, poussa un cri de douleur, et tomba évanouie.
Si Gérard fut épris de la sublime folie de la croix, il ne le fut pas moins de celle de l’Eucharistie. Comme il ne pouvait, pendant le jour, satisfaire pleinement son cœur, obligé qu’il était de travailler pour pourvoir à sa subsistance, il se dédommageait pendant la nuit. Le sacristain de la cathédrale, qui était son parent, lui cédait facilement les clefs du lieu saint ; et là, Gérard, séraphin d’amour, faisait ses délices de passer des nuits entières en adoration au pied du saint tabernacle.
Le cœur du bon Maître, ravi de la touchante simplicité et des saintes folies du pieux jeune homme, lui fit entendre, pour l’éprouver, qu’il trouvait sa conduite digne d’un insensé.
« Mais vous, ô mon bon Jésus, »
Lui répondit Gérard avec une sainte familiarité, où se mêlaient l’amour le plus ardent et le respect le plus filial, « ne m’avez-vous pas donné le premier l’exemple de la folie, en voulant vous emprisonner ainsi pour moi ? »
Les derniers instants de Saint Gérard Majella
Autant l’année 1755 fut pénible à notre Saint, autant elle lui fut glorieuse. Il se trouvait au mois de juillet à Saint-Grégoire, continuant la quête pour la construction du couvent de Caposèle. Tout à coup, il lui survint un vomissement de sang, joint à une fièvre ardente. Le médecin le fit partir pour Olivéto, où l’air moins vif convenait mieux à son état. Là, le crachement de sang, bien loin de s’arrêter, ne fit qu’augmenter. Gérard, sentant que son mal empirait, jugea qu’il était temps pour lui de retourner à son couvent. Il y arriva le 31 août, dans un tel état d’épuisement qu’il ne paraissait plus un homme.
« Au premier abord écrivit le Père Cajone, je dus me faire violence pour retenir mes larmes. » Ses confrères admirèrent sa joie, et furent émerveillés de voir l’inaltérable sérénité de son âme au milieu de si grandes souffrances. La fièvre, loin de le quitter à son retour, fit tous les jours de nouveaux progrès, et bientôt, elle fut accompagnée des symptômes les plus alarmants. La dysenterie le réduisait à la plus grande faiblesse. Son corps se rouvrait d’une sueur abondante. Le délire et les évanouissements devenaient presque continuels.
Le démon, le voyant réduit à cette extrémité, lui apparut et lai offrit la santé et la vie :
« Va-t’en, vilaine bête, répondit l’héroïque religieux ; je ne veux que ce que Dieu veut, et je t’ordonne de ne point me molester. »
Le Père Recteur lui ayant demandé s’il se conformait en tout à la volonté de Dieu, le bon frère répondit :
« Je me figure que mon lit est pour moi la volonté de Dieu, et que je m’y trouve comme cloué à cette divine volonté. Il me semble que la volonté de Dieu et moi sommes devenus une seule et même chose. »
Ensuite, il fit afficher sur la porte de sa chambre ces mots écrits en grands caractères : « Ici, on fait la volonté de Dieu, comme Dieu le veut, et aussi longtemps que Dieu le veut. »
Le Saint religieux
Le 17 mai 1749 vers le soir, il se rend dans un couvent fondé par le bienheureux Félix de Corsano, de l’ordre des Augustin, mais abandonnée, puis c’est Saint Alphonse, pressé par son Évêque, et plus encore par la Sainte Vierge, qui viendra y établir ses religieux.
Grand fut son bonheur quand il apprit que le couvent était dédié à une Vierge miraculeuse, honorée sous le titre de Notre-Dame de la Consolation. C’est dans ce saint ermitage que Gérard, l’humble serviteur du Christ, passera la plus grande partie de sa vie religieuse.
Lorsque le Père Cafaro revint de la mission de Rionéro, il trouva Gérard, son candidat était loin d’être un Frère inutile, comme il l’avait pensé d’abord. Tous, Pères et Frères, n’avaient qu’une voix pour louer son ardeur au travail, sa piété et ses vertus. Il l’admit donc en qualité de postulant. Le bon jeune homme ne cessait de bénir la Mère de Dieu et de baiser les murailles de son sanctuaire; tant étaient vives la joie et la reconnaissance de son cœur !
Il se mit aussitôt à observer scrupuleusement les règles si paternelles et si sanctifiantes, établies par saint Alphonse pour les frères servants. Il se choisit pour directeur le Père Cafaro, religieux d’une éminente sainteté.
Cet homme de Dieu ne tarda pas à s’apercevoir que l’Esprit-Saint conduisait son disciple par des voies extraordinaires, et qu’il l’éclairait sur les plus hauts mystères. Quelques mois après son entrée, Gérard reçut l’habit religieux et commença un premier noviciat de six mois, suivant la coutume de l’Institut relativement aux frères servants.
Jamais on ne vit novice plus fervent et qui comprît mieux l’excellence de sa vocation. La note suivante écrite de sa main en est la preuve.
« Dieu m’a placé dans un paradis de délices. Sache, ô Gérard, que le Seigneur t’a retiré du monde, et t’a placé, nouvel Adam, dans ce paradis de la Congrégation, afin que tu mettes en pratique les préceptes et les conseils de son évangile, contenus dans les saintes règles. Malheur à toi si tu les transgresses : ton châtiment serait d’être expulsé de l’Institut, que Dieu t’en préserve ! et par suite, tu te damnerais. »
Gérard avait pris la résolution de devenir un saint. Mais la sainteté d’un frère servant ne consiste pas seulement à prier, à méditer, ou à faire d’autres exercices de piété, elle consiste aussi et principalement à travailler.
C’est à cette fin que Dieu l’a appelé. Il doit, tout en priant et en dirigeant toutes ses œuvres à la gloire de Dieu, apporter, par un labeur généreux, son concours à l’œuvre du Père céleste, afin que le but de l’Institut puisse être atteint.
Cette vérité fut parfaitement comprise par notre Saint. Si la vie qu’il avait menée dans le siècle avait été admirable, celle qu’il mena en religion le fut bien davantage. Tout en travaillant autant que quatre, comme l’attestent ses confrères, il sut unir parfaitement la vie contemplative à la vie active.
Durant quelque temps, on l’employa à la culture du jardin. Cette occupation, si nouvelle pour lui, tailleur de profession, dut lui causer une bien grande fatigue. Malgré cela, il prenait sur lui la tâche imposée aux autres :
« Laissez-moi faire, leur disait-il gaîment, laissez-moi faire, je suis le plus jeune, reposez-vous. »
Plus viles étaient les occupations, plus chères étaient-elles à son humilité. Tout travail lui allait, celui qui était abject surtout. En un mot, il semblait avoir épousé la fatigue, et il s’affligeait lorsqu’on l’en séparait.
Le dernier miracle du Saint
Quand le médecin se présenta dans l’après-midi, Gérard lui dit :
« Demain, je sortirai du lit. » Et voyant Santorelli sourire :
« Oui, reprit-il, demain je me lèverai, et même, si vous le voulez, je suis prêt à manger. »
Le médecin, voyant ce ton d’assurance du malade, voulut faire un essai. On venait précisément d’apporter un panier de pêches. En les voyant, le médecin dit :
« Si vous me promettez d’exécuter l’obédience du Père Fiocchi, je vous permets d’en manger une.
— Que l’obédience se fasse, répondit le frère, et que Dieu en soit glorifié ! »
Dès qu’il en eut mangé une, on lui en donna une seconde, puis une troisième. Le lendemain matin, Santorelli va droit à la chambre de Gérard, et ne le trouvant point, il demande ce qu’il est devenu. On lui répond qu’il se promène au jardin :
« O vertu de la sainte obéissance, s’écrie cet homme de foi, quels prodiges n’opérez-vous pas! »
Il se rend aussitôt au jardin, et Gérard lui dit :
« Docteur, je serais mort aujourd’hui si Dieu n’avait pas voulu manifester combien il aime l’obéissance. Sachez toutefois que c’est de cette même maladie et dans cette année même que je mourrai. »
Gérard, le saint de l’obéissance, obéissant jusqu’à la mort, comme son divin Maître, se rétablit, mais sa vie ne devait plus être de longue durée. Voyant que ses confrères se réjouissaient de sa guérison, il leur dit :
« C’est pour manifester sa gloire et montrer ce que peut l’obéissance, que Dieu en a agi ainsi à mon égard ; mais je vais mourir : dans peu de jours je serai dans l’éternité. »
Le 5 octobre, la fièvre le reprit, ainsi que la dysenterie et les crachements de sang.
Entre dix et onze heures, il s’écria tout agité :
« Que font là ces deux misérables ? Vite, mettez-les à la porte. »
C’étaient sans doute deux démons. Reprenant aussitôt sa sérénité, il dit d’un air tout joyeux :
« Voici la Madone, mettons-nous à genoux. »
Et s’agenouillant sur son lit, il parut absorbé dans une profonde extase. Pendant les deux dernières heures de sa vie, le saint rédemptoriste tint continuellement les yeux fixés sur le crucifix et sur l’image de la très sainte Vierge, ne cessant de répéter les saints noms de Jésus et de Marie.
« Mon Dieu, s’écriait-il souvent, je veux mourir pour vous plaire, je veux mourir pour faire votre sainte volonté. »
Quand les forces lui manquèrent, il fit ces actes à voix basse. Peu avant sa mort, il demanda à boire. L’infirmier courut lui chercher un peu d’eau. À son retour, trouvant le malade incliné vers la muraille, il le crut endormi. Mais bientôt il s’aperçut que l’agonie commençait, et il s’empressa d’éveiller le Père Buonaman. Celui-ci accourut, et pendant qu’il prononçait la formule de l’absolution, la belle âme de Gérard s’envola vers son Dieu, détachée de son enveloppe terrestre, moins par la force de la maladie, que par l’ardeur du divin amour, d’après la déposition des témoins.
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Ces dernières paroles sont du postulateur même de la cause : Potius amore, quam morboconsumptus, uti deponunt omnes fere testes, animam Deo reddidit.
Source : La vie, les vertus et les miracles de Saint Gérard Majella – Saint-Omer, Edward – 1907