L’homélie du Jugement Dernier d’après le Curé de Saint Sulpice à Paris en 1707. Pour le vingt-quatrième dimanche d’après la pentecôte sur le Jugement Dernier !
Texte du Saint Évangile selon Saint Luc 21 : 25-28
En ce temps-là : Jésus dit à ses Disciples : il y aura des signes dans le Soleil, dans la Lune & dans les Étoiles & sur la terre les peuples seront effrayés par des bruits horribles de la mer & des flots ; les hommes séchant de crainte, dans l’attente de ce qui devra arriver à tout l’univers ; car les puissances des Cieux seront ébranlées, & alors, ils verront venir le fils de l’homme dans une grande nuée avec une grande puissance & une grande majesté : Quand ces choses-là commenceront, ouvrez les yeux & levez la tête, parce que votre rédemption s’approche.
Homélie sur le Jugement Dernier.
L’Église nous proposant deux fois de suite l’histoire formidable du Jugement Général, une fois dans Saint Matthieu et l’autre dans Saint Luc, ainsi, impossible d’en douter, mes très chers frères, que pour des raisons importantes, & qu’il est bon d’approfondir, & de méditer.
Car premièrement, rien n’est plus puissant pour empêcher l’homme d’offenser Dieu que cette salutaire pensée : Qui ignore l’avis du Sage ? Souvenez-vous, mon cher fils, de vos dernières fins ; & vous ne pécherez jamais.
En second lieu, cette terrible vérité, bien exposée, effraye l’impie : Felix, tout idolâtre qu’il fût, trembla en écoutant l’Apôtre parler sur ce sujet. Les Ninivites épouvanté par une semblable prédication, firent une pénitence pleine de terreur, dit le Concile ; plenam terroribus pœnitentiam egerunt : & un Roy infidèle et superbe, à la vue d’un tableau qui représentait cette étrange catastrophe, se convertit à la foi avec tout son peuple. L’image que la foi nous en trace dans l’esprit, ne prévaudra-t-elle pas à une vaine peinture ?
Troisièmement, elle dompte l’opiniâtreté de l’hérétique rebelle et inflexible : Saint Augustin, pour lors Manichéen, ne put jamais l’effacer de son cœur, et peu à peu, elle aida extrêmement à le retirer de ses égarements, et de son libertinage : rien ne me retenait au milieu du profond abîme de vice, où j’étais plongé, dit ce grand Saint, nihil me revocabat a profundiore voluptatum carnalium gurgite : Si ce n’est la crainte de la mort et du Jugement dernier, laquelle malgrè ce labyrinthe d’erreurs ou je me perdais, ne put jamais s’effacer de mon cœur.
En quatrième lieu, elle donne des mouvements sincères de pénitence, et Saint Paul, pour convertir les pécheurs, ne trouvait rien de plus fort à leur proposer que cette doctrine : c’est à présent, disait-il aux Athéniens, que le Seigneur fait annoncer à tous les hommes qu’ils aient à se convertir, parce que le grand et dernier jour s’approche auquel il doit juger l’univers.
Cinquièmement, cela excite les âmes tièdes et nonchalantes à sortir de la langueur, en les effrayant. Ne craignez point, mes chers amis, ceux qui ne peuvent vous ravir que la vie du corps, dit le Souverain Juge lui-même, mais je vais vous apprendre celui que vous devez craindre. Craignez, craignez celui qui peut, après vous avoir donné la mort, vous envoyez corps et âme dans les enfers, c’est celui-là que vous devez craindre.
Sixièmement, elle purifie les plus Saints, en les alarmant sur le compte rigoureux qu’il faudra rendre au Tribunal du juste Juge : Seigneur, disait le Prophète effrayé, ma chair a été percée de crainte dans la vue de vos Jugements. Que ferais-je, s’écriait le bienheureux homme Job, quand le Seigneur viendra juger la terre, et que lui répondrai-je quand il m’interrogera ?
Septièmement, ajoutons à ces pieuses pensées ce que Saint Basile nous dit sur ce sujet dans l’Office d’aujourd’hui :
« Lorsque la tentation d’offenser Dieu voudra s’emparer de votre esprit, mon cher frère, repentez-vous un peu, je vous prie, cet effroyable & terrible tribunal, dans lequel, comme dans un Trône élevé, le Juge Suprême sera assis, devant qui toute la nature effrayée comparaitra pour y rendre compte de tout ce qu’on aura fait en cette vie.«
Représentez-vous encore cette troupe affreuse de démons, dont la figure hideuse et l’effroyable laideur, jointes au feu et à la fureur qui rejaillit de leur visage, miroir terrible de leur haine implacable contre le genre humain, de leur tristesse et de leur envie, de le voir appelé au bonheur éternel qu’ils ont perdu, peuvent sans doute glacer de crainte les plus intrépides.
Imaginez-vous encore, l’abîme sans fonds de l’enfer, ces ténèbres épaisses, ce feu sans lumière, ce ver rongeur qui dévore sans cesse le cœur des réprouvés, sans jamais le rassasier, et servez-vous de l’image épouvantable d’un tel spectacle comme d’un frein salutaire, pour vous contenir dans les bornes de la justice.
Huitièmement, sachez que si l’Église nous parle du Jugement Général le premier et le dernier dimanche de son année, c’est pour nous apprendre que si le premier jour de l’univers fut célèbre par le jugement des Anges, le dernier jour ne le sera pas moins par le jugement des hommes et que le Seigneur a voulu mettre la crainte au commencement et à la fin de ses ouvrages, pour en être la gardienne fidèle et menaçante, afin d’intimider les pécheurs.
D’ailleurs, comme il y a deux avènements de Jésus-Christ, l’un dans l’humiliation, l’autre dans la gloire, qu’il y a deux jugements, l’un particulier à l’heure de la mort et l’autre général à la fin du monde, et que l’homme est composé de corps et d’âme, qui tous deux ont été les instruments de ses crimes, et de ses bonnes œuvres, et par conséquent qui doivent être l’un et l’autre ou punis, ou récompensé, il a été très à propos de faire de ces deux sujets si importants, le double objet de vos réflexions.
Au reste, pour ne donner point lieu aux fictions de l’esprit humain, ni aux exagérations de l’éloquence, nous rapporterons uniquement ici ce que l’Écriture nous apprendre du Jugement dernier, voulant même nous abstenir de ce que nous en ont dit les Pères, afin de nous renfermer dans ce qu’il a plu au Seigneur de nous en révéler lui-même dans les livres Saints, et d’imiter en cela les Apôtres, qui dans l’Évangile d’aujourd’hui dirent à Jésus-Christ :
« Seigneur, découvrez-nous quand arriveront ces choses et quels seront les signes de votre avènement et de la fin du monde ?«
La fin du monde
Le premier signe des approches du grand jour du Jugement et de la fin du monde, sera une commotion universelle et générale de tous les hommes, qui s’élèveront les uns contre les autres, car on n’entendra parler de tous côtés que de guerres, de combats, de batailles, de séditions.
Les Nations s’armeront contre les Nations et les Royaumes contre les Royaumes. Les Provinces seront ravagées, les Villes ruinées, les Temples démolis, les Édifices abattus, ce ne sera partout que trahisons, que conspirations, que meurtres, que carnage, qu’assassinats, que cruautés, et le sang humain ruissellera de toutes parts en abondance. Le frère livrera le frère à la mort, et le père le fils, les enfants se soulèveront contre leurs pères et leurs mères et les feront mourir.
Les méchants prévaudront contre les bons, l’autorité légitime sera violée impunément, les lois divines et humaines foulées aux pieds, la justice méprisée et les hommes animés d’une aveugle fureur ne chercheront qu’à s’entre détruire et qu’à se tuer les uns les autres sans compassion ni miséricorde et sans crainte des châtiments temporels, ni éternels.
Que si à la destruction du monde visible et profane, on jette les yeux sur le bouleversement du monde spirituel, ou de l’Église et de la Religion, quel nouveau sujet d’épouvante et d’horreur !
En effet, il y aura des impies qui pour lors s’élèveront et se moqueront de l’espérance et de la foi des Chrétiens, sachez avant toutes choses, dit l’Apôtre Saint Pierre, qu’aux derniers temps, il viendra des imposteurs qui, pour favoriser leurs convoitises déréglées et pour pécher avec moins de remords et étouffer en eux-mêmes et dans les autres la crainte des jugements de Dieu, diront en parlant de Jésus-Christ :
« Qu’est devenue la promesse de son second avènement ? On nous assurait qu’il devait venir changer toutes choses, juger le monde, réparer l’univers, faire de nouveaux Cieux et une nouvelle Terre ?
Ne voyons-nous pas que depuis la mort de nos Pères qui nous ont annoncé ce Jugement si fameux, toutes choses sont demeurées au même état où elles étaient auparavant, comme elles y seront toujours, et qu’il n’y a nulle apparence que toutes ces prétendues prédictions et tout ce déluge de feu dont on nous a tout menacé, soient autres choses qu’une pure chimère.«
D’autres séducteurs, au contraire, s’érigeront en prophètes et imposeront à plusieurs, ils se porteront pour le Christ, ils diront que les temps prédits sont arrivés et qu’on ait à les reconnaître, et ils abuseront un grand nombre de personnes.
Ces faux Christs et ces faux Prophètes confirmeront leurs erreurs par de grands miracles et par des prodiges surprenants, capable de séduire, s’il était possible, les Élus même. Satan sera délié, il sortira de sa prison et il séduira les Nations qui sont aux quatre coins du monde.
L’homme de péché paraîtra, le fils de perdition, qui s’opposera et se mettra au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu’à s’asseoir dans le Temple de Dieu et à se montrer comme s’il était Dieu. Et ce sera pour lors qu’on verra la prophétie de Daniel pleinement accomplie, c’est-à-dire l’abomination de la désolation dans le lieu Saint.
Le sacrifice perpétuel cessera, plusieurs le scandaliseront, l’iniquité abondera, la charité se refroidira, la foi s’obscurcira, et à peine le Seigneur en trouvera-t-il la terre quand il viendra. Tels seront les derniers états de l’Église assiégée par l’Antéchrist. Abraham, dit Saint Augustin, qui tressaillait de joie à la vue du jour de Jésus-Christ, frémit d’horreur à la vue des jours de l’Antéchrist.
On mettra en usage contre les fidèles des tourments très grands et jusqu’alors inouïs, continue Saint Augustin, afin d’ébranler la confiance et la foi des Martyrs, on joindra aux supplices les plus cruels, des prestiges les plus séduisants.
Enfin Jésus-Christ, qui nous exhorte par tout au martyre et à ne point craindre les persécutions, n’y les persécuteurs, nous conseille de prier sans cesse, afin de mériter la grâce de ne point nous trouver dans ces temps malheureux qui depuis la création du monde n’ont jamais eu, et n’auront jamais de semblables.
A tant de maux spirituel, joignez les maux temporels qui les accompagneront. La terre sera ébranlée jusques dans ses fondements, par de grands tremblements qui se feront sentir en divers lieux, l’air sera infecté par des exhalaisons chaudes et sulfurées qui causeront une perte générale et une mortalité infinie. La famine qui suit ces sortes de maux, ne fera pas un moindre ravage.
Mais quel sera le désordre des éléments ? La terre par ses tremblements et sa stérilité, la mer par ses mugissements et l’agitation de ses flots, l’air par ses météores effrayants. Le Ciel par divers signes étranges qui paraîtront dans le Soleil, la Lune et les Étoiles. Toutes ces choses ensemble causeront une telle épouvante que les hommes en sécheront de crainte et d’effroi, dans l’attente de ce que devra enfanter un tel chaos.
Enfin, un feu d’une activité prodigieuse, se répandant au dehors, s’attachera premièrement à la terre et la brûlera, avec tous ses ornements, les plantes, les arbres et les édifices qui la décorent et la diversifient, pour n’en faire qu’une masse de charbon et de cendre.
Les Cieux étant donc détruits, les luminaires éteints, les Étoiles obscurcies, les Éléments brulés, le Globe terrestre devenu une masse de cendre et de charbon, dans ce débris général qui vont paraître :
Premièrement, plusieurs Anges, envoyez du Seigneur, feront retentir par tout l’Univers un bruit effroyable de trompettes, & de voix éclatantes. Les Juifs se servaient de ces instruments pour annoncer les fêtes, pour convoquer le peuple, pour s’animer au combat : Or c’est ici la grande fête du monde, l’assemblée du genre humain, & le jour des combats du Seigneur : à ce bruit surprenant, comme à un premier coup, tous les hommes se réveilleront du sommeil de la mort, & sortiront de leurs tombeaux.
À ces voix impérieuses des Anges, et à ces sons éclatant de leurs trompettes, tous les hommes ressuscités et sortis de leur sépulture, accourront en foule des quatre coins du monde, de l’Orient et de l’Occident, du nord et du Midi, pour se trouver au rendez-vous général du genre humain et à la grande assemblée de tous les hommes.
C’est à ce moment que les Rois de la terre, les Princes et les Tribuns, les Riches et les puissants, les libres et les esclaves, les grands et les petits, voudront se cacher, s’ils pouvaient, dans des cavernes obscures et qu’ils s’écrieront :
« O montagne, ô rochers, cachez-nous de devant la face de celui qui est assis sur le Trône et dérobez-nous à la colère de l’Agneau.«
Tout ceci sera inutile, car cette immense et infinie multitude d’hommes assemblée sur le Globe Terrestre, dont toute la superficie ne sera que cendre et charbon, tremblant de frayeur dans l’attente de ce qui va paraître, lèveront en haut leurs yeux étonnés, dit le Sauveur lui-même, parlant de cette heure-là en laquelle un Archange, que Saint Chrysostome croit devoir être Saint Michel, fera de nouveau, et pour la seconde fois raisonner dans les airs une trompette d’un fond incomparablement plus éclatant que celui des Anges précédents et d’un ton de voix plus fort, il commandera que tous les hommes soient prêts, parce que le Juge Souverain va descendre.
Cet Archange précurseur, paraissant donc le premier dans cet éclat et dans cette autorité, sera bientôt suivi de toute l’Église triomphante, dont l’Écriture nous fait encore la suivante description, elle nous dit :
- Que l’avènement du Seigneur sera semblable à un éclair qui brille en un instant de l’Orient à l’Occident
- Qu’il paraitra dans un corps resplendissant de gloire et de splendeur, auprès duquel le Soleil n’est que ténèbres et qu’obscurité.
- Qu’il viendra environné de tous les Esprits bienheureux, des Anges, des Archanges et de toutes les puissances célestes
- Qu’il sera accompagné de la nombreuse multitude des bienheureux qui peuplent le Ciel
Le voilà qui vient avec des millions de Saints pour juger la terre, dit un des premiers Prophètes du monde. Les patriarches, les prophètes, en un mot de tous les Saints du Paradis.
- On le verra venir au milieu des airs, ce Juge des vivants et des morts, entouré de nuées, en s’en allant de la Terre au Ciel le jour de son ascension, un nuage le déroba aux yeux des assistants, en venant du Ciel en Terre, un nuage le rendra aux yeux des hommes.
Mais voici quelque chose qui surprendra bien encore d’une étrange manière et qui produira des effets merveilleux, la Croix, comme l’étendant de cette formidable armée, paraîtra dans les airs, et sera placée comme sur un nuage et exposées aux yeux de tous les spectateurs. À cet aspect, un cri général s’élèvera et toutes les Tribus de la terre se laisseront aller aux pleurs et aux sanglots, tout retentira de regrets, de clameurs, de gémissements et de larmes.
Voici maintenant ce que l’Écriture nous apprendre de la procédure judiciaire de ce grand et dernier Jugement.
- Le Juge Souverain sera assis dans un Trône majestueux, entouré de ses Anges et ayant à ses côtés les Apôtres et les Saints, dont le nombre est marqué sous celui de vingt-quatre vieillards assis aussi dans des Trônes, comme assesseur du Souverain Juge et ne formant avec lui qu’une même chambre de justice, si l’on peut parler ainsi.
- On présentera des livres et on les ouvrira et il y en aura un particulier nommé le livre de vie, celui ci contiendra le nom des seuls Elus. C’est dans ces livres où par un effet de la sagesse et de la puissance Divine, on verra dans un clin d’oeil tout ce qui doit servir à la réprobation ou à la justification des hommes.
L’Église instruite de ces grandes vérités les chante sans cesse dans les Offices. Tous les hommes présents à ce spectacle, attentifs, et dans un silence profond, seront devant le Trône. Car il faut, dit l’Apôtre, que tous les hommes comparaissent devant le Tribunal de Jésus-Christ, afin qu’ils y rendent compte de ce qu’ils auront fait, soit de bien, soit de mal, pendant qu’ils éraient dans ce monde.
Après cela, l’examen achevé et toute cette terrible procédure conformée, tout vu, entendu, discuté et fini, que restera-t-il sinon de prononcer l’Arrêt décisif ?
Les Anges iront séparer les méchants du milieu des bons, ils les sépareront les uns d’avec les autres, tout ainsi que le Pasteur sépare les brebis d’avec les boucs. Ils mettront les brebis à la droite du Juge et les boucs à sa gauche.
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Quel éclat de tonnerre quand ils entendront ces paroles foudroyantes que les Anges adresseront aux élus :
« Retirez-vous de la société de ces impies qui vont être engloutis. Séparez-vous de l’assemblée de ces scélérats, afin qu’on les extermine. Ôtez-vous du milieu de ces malheureux, afin qu’on les perde.
À ces effroyables menaces, il semble que les réprouvés, sentant leur perte prochaine, s’iront mettre tous effrayés au milieu des justes, comme pour y trouver un asile, mais fort inutilement, parce que les Anges les en chasseront ignominieusement.